CHAPITRE 14 (FIN)

5 minutes de lecture

Gurvan et Alice se cachèrent derrière un arbre et restèrent en retrait de longues minutes, à observer la cabane.

  • Nos réponses se trouvent ici. C'est ici que tout a commencé. C'est ici que tout doit finir, dit Gurvan
  • J'ai un peu peur, avoua Alice en se serrant contre lui. Ses yeux blancs... son chat infernal ! Et si elle mangeait les enfants ?
  • C'est normal, moi aussi j'ai peur, répliqua Gurvan. Mais jusqu'ici, nous avons affronté nos peurs et nous n'en sommes pas morts. Alors, allons-y ! A deux, je suis convaincu que nous ne risquons rien.

Alica acquiesca et tous deux sortirent de leur cachette, animés par la volonté farouche de connaître le rôle de cette vieille femme dans leur aventure.

Une fois devant la maison, il inspira à pleins poumons et leva son poing pour frapper sur la porte en bois, quand celle-ci s’ouvrit sur la vieille dame au regard blanc comme le sel. Désarçonné, le garçon resta le poing levé en l'air quelques instants, puis se résolut à l'abaisser.

  • Gurvan, Alice ! Je vous attendais ! Entrez, mes petits, fit-elle d’une petite voix faible mais enjouée.

Alice et Gurvan échangèrent un regard étonné et acceptèrent l’invitation. Ils pénétrèrent dans le salon douillet. Le feu de cheminée emplissait la pièce d’une douce chaleur et d’une délicieuse odeur de fumé. Le bois craquait dans l'âtre. Il faisait bon.

La vieille femme trottina jusqu’à son fauteuil, évita les circonvolutions répétées du chat roux entre ses jambes, puis s’assit. D’un geste, elle désigna deux chaises en face d’elle et déposa une couverture jaune et rouge sur ses genoux. Le chat bondit dessus en miaulant, elle le chassa d’un revers de la main.

  • Rouzik ! Pars d’ici tout de suite ! gronda-t-elle.

Le matou feula et s’en alla, la queue dressée et ébouriffée. Son regard de braise croisa celui de Gurvan qui grimaça.

  • Prenez-donc des petits gâteaux, proposa-t-elle en désignant une assiette remplie de délicieux biscuits dorés. Vous devez mourir de faim.

Gurvan hésita, mais, voyant qu’Alice enfourna une pâtisserie dans sa bouche, mit de côté sa méfiance et se laissa aller. Il avait l'impression de ne pas avoir mangé depuis des lustres !

La bouche pleine, il ne put s’empêcher de poser la question qui le brûlait..

  • Madame, ch’est vous qui êtes derrière tout cha ?

La petite vieille répondit par un sourire malicieux, Gurvan et Alice restaient pendus à ses lèvres. Enfin, elle répondit.

  • Oui. Et le chat aussi est derrière tout cha, comme vous dites.
  • Je ne comprends pas, répondit Gurvan.
  • Je vais vous donner les réponses à toutes vos questions, ne vous inquiétez pas.

La grand-mère regarda fixement Gurvan et Alice tour à tour. Puis elle fouilla un sac à ses pieds, en sortit deux aiguilles à tricoter qu'elle brandit fièrement. Gurvan déglutit. Alice se mordit la lèvre. Etaient-ils tombés dans un piège grossier ? Allaient-ils se faire embrocher vivants ? Et finir comme des cochons rôtis au-dessus d'un feu de bois, une pomme dans la bouche ?

  • Voyez-vous, reprit la vieille en se saisissant d’une pelote de laine. Cette laine et ces aiguilles sont magiques. Avec elles, je tricote des histoires. Je fais vivre des aventures extraordinaires à ceux qui s'aventurent un peu trop loin dans la forêt. Je lance des défis. Je dois dire que vous m'avez surpris, tous les deux. Vous avez affronté mes épreuves avec succès. Ce n’est pas le cas de tout le monde, croyez-moi. De nombreux chevaliers restent coincés quelque part dans les bois, faute d’avoir réussi leur dernière épreuve... Ils ne savent pas se défaire de l'amour qu'ils me portent et errent sans but dans le château que j'ai construit pour eux.

Gurvan sent une goutte glacée couler le long de sa tempe. Il détailla le visage ridé de la vieille.

  • Vous êtes donc…
  • La fée Morgane. Oui, c’est bien moi. Je suis la Reine de Brocéliande. La détentrice des secrets de ce royaume où Merlin m’a emprisonnée il y a fort longtemps. Mais dans cette prison, j’ai réussi à m’offrir une parcelle de liberté : je peux créer des histoires où l’on peut devenir un héros... ou être maudit à jamais...

La vieille saisit la couverture sur ses genoux et reprit.

  • Regardez, cette couverture rouge et jaune. Le jaune, c’est ta couleur, Alice. C’est ton histoire que j’ai tricotée, une maille à l’envers, une maille à l’endroit. Le rouge, c’est ta couleur, Gurvan, encore une fois, une maille à l’envers, une maille à l’endroit. Et regardez, au bord de la couverture, les deux couleurs s’entremêlent, c’est le passage avec le dragon, quand vous avez formé une belle équipe. Car vos histoires étaient liées depuis le début, vous deviez vous rencontrer devant ce château, face au monstre, je l'avais écrit dans les grandes lignes, mais vous avez fait le reste.

La grand-mère tendit la couverture à Gurvan et Alice, qui la saisirent aussitôt avec précaution, de peur de l'abîmer. La laine était douce et chaude. Ils échangèrent un regard complice.

  • Ce cadeau, je vous l’offre en remerciement des bons moments que j’ai vécus en votre compagnie. Vous pouvez la conserver pour toujours. Avec elle, vous n’aurez jamais froid.

La vieille femme bâilla, ses yeux se plissèrent.

  • Je suis fatiguée, vous pouvez rentrer chez vous à présent.

Alice remercia affectueusement la grand-mère et se leva. Gurvan, quant à lui, resta assis sur sa chaise, le visage barré par le souci. Des questions lui trottaient encore dans la tête, il ne partirait pas sans avoir obtenu de réponse.

  • Madame Morgane, j’ai encore une question à vous poser, demanda-t-il.
  • Vas-y, mon petit Gurvan.
  • Le fantôme, c’était vous aussi ? Pourquoi me suis-je endormi sur l'esplanade ? Pourquoi est-ce que j’ai été tiré en arrière une fois au château ? Et Ponthus, a-t-il survécu à l’incendie ?

La vieille éclata de rire. Un rire bruyant, presque effrayant car il détonnait avec la frêle silhouette dont il émanait. Elle fixa ses yeux blancs dans les siens.

  • Le fantôme, c’était ce satané Rouzik ! dit-elle en désignant le chat roux qui somnolait sur un coussin. J’étais en train de tricoter tranquillement ton histoire au coin du feu, tout se passait pour le mieux, tu avais passé les épreuves avec succès. Tu allais combattre le dragon, quand je me suis assoupie. A mon âge, il m’arrive parfois de me laisser aller à un petit roupillon… Quand je me suis réveillée, j’ai retrouvé cet idiot de Rouzik en train de détricoter ma laine ! Ah, ça, on peut dire qu’il m’a mis les nerfs en pelote ! Tout était à recommencer ou presque !
  • C’était donc ça, le fantôme qui m’a tiré en arrière, le tonnerre et l’incendie, dans la forêt ?
  • Oui, mes colères sont épouvantables, explosives, parfois meurtrières, mais elles sont également passagères… répondit Morgane en reprenant les mots du pont.
  • Et le Hêtre de Ponthus ? demanda Gurvan, soucieux. Comment va-t-il ?
  • Bien. Jamais je ne lui ferai de mal, c’est un très vieil ami... Bon, je suis fatiguée, à présent, vous pouvez rentrer chez vous, il suffit de suivre le chemin qui quitte ma maison. Même si le temps ici s’écoule plus lentement que chez les hommes, vos parents vont s’inquiéter. Et je gage que vous n'avez pas envie de me mettre en colère, n'est-ce pas, Gurvan ?

Gurvan sourit timidement, se leva de sa chaise et remercia Morgane poliment.

Il prit la main d’Alice et quitta la maison sans se retourner, emportant avec lui une couverture magique, des souvenirs merveilleux et une amitié à cultiver.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 3 versions.

Vous aimez lire Caiuspupus ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0