CHAPITRE 6

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Gurvan leva le sourcil. Tous ces beaux discours sur le rôle du pont, sa mission envers les hommes, pour au final lui refuser le passage ? Cela n’avait aucun sens. Il brandit son épée, se composa une attitude guerrière et dit d’un ton de défi.

  • Pardon ? Et comment comptez-vous m’empêcher de passer ?
  • Si vous marchez sur mes planches, je m’écroulerai dès que vous atteindrez mon centre. Le ravin au-dessous n’est pas profond, mais la chute sera suffisante pour vous briser quelques os.
  • Je vous trouve bien menaçant, je pensais que nous étions amis, grommela Gurvan, le sourcil froncé.
  • Mais nous le sommes !
  • Alors, pourquoi m’empêchez-vous de passer ? se radoucit Gurvan.
  • Détrompez-vous, je ne veux pas vous interdir le passage, au contraire ! Je vous demande simplement de répondre à une petite énigme.
  • Une énigme ?
  • Oui. Le passage d’un pont se mérite. Si je laissais n’importe qui me franchir, quelle serait la valeur du service que je rends ? Si la réponse est juste, vous passerez. Sinon, vous ne tirerez pas profit de moi et devrez trouver une autre route pour rejoindre votre maison. C’est aussi facile que cela !

Gurvan estima la longueur du pont et la profondeur du ravin. Impossible de sauter par-dessus, même avec de l’élan. Impossible non plus passer par le lit de la rivière, il ne parviendrait pas à remonter la pente de l’autre côté. Il était obligé de céder aux caprices de ce pont têtu. Le jeune garçon haussa les épaules et soupira.

  • Très bien, allez-y, je vous écoute.

Le pont grinça de plaisir et articula, de sa voix cassée de vieillard :

  • Qui en manque tombe dans la boue, qui en redouble demeure debout.

Gurvan se gratta le menton. Voilà qui était nébuleux, mais cette devinette ne semblait pas insoluble. Il se prêta au jeu. “De quoi peut-on manquer, de quoi peut-on redoubler ? On peut manquer de tellement de choses… ” Il marcha de long en large sur la rive tandis que le pont demeurait silencieux. Soudain, un murmure se glissa dans son oreille, comme un souffle léger et frais. Il crut percevoir la voix grave du Hêtre de Ponthus, mais les mots étaient trop faibles. Son ami cherchait à l’aider, à lui faire passer un message. Qu’avait-il dit déjà lorsqu’ils s’étaient séparés ? Gurvan fouilla dans sa mémoire et parvint à en exhumer la dernière phrase prononcée par l’arbre : “Et n’oublie pas, redouble d’audace !”

  • Bon sang mais c’est bien sûr ! s’exclama Gurvan. L’audace ! Qui manque d’audace tombe dans la boue, qui redouble d’audace reste debout !
  • Bravo, mon ami, répondit le pont. Vous voyez, ce n’était pas insurmontable. Vous pouvez passer sans danger.

Gurvan posa un pied prudent sur la première planche et s’élança sur le pont. Une fois de l’autre côté, il soupira de soulagement : le pont avait tenu sa promesse.

  • Merci, fit Gurvan.
  • Je vous en prie, je n’ai fait que mon devoir.
  • Pouvez-vous m’indiquer la route à prendre, à présent ?
  • Continuez tout droit, sur le sentier, jusqu’à une immense clairière. Au milieu se trouve un joli château entouré de fleurs.
  • Un château ? Mais je veux juste rentrer chez moi !
  • Laissez-moi vous expliquer. Avec Ponthus, vous avez fait preuve de bonté en lui retirant l’épée de sa racine.

Gurvan ouvrit des yeux ronds. Comment savait-il ce qui s’était passé avec le Hêtre ?

Le pont reprit.

  • Ne faites pas cette tête, je sais beaucoup plus de choses que vous ne le pensez. Donc, avec Ponthus, vous avez prouvé votre bonté. Avec moi, vous avez montré que vous êtes astucieux. Au château, vous aurez l’occasion d’exprimer votre courage, lors d’une dernière épreuve. Il en va ainsi dans cette vallée, les lois des hommes ne s’appliquent pas : on ne sort pas d’ici tant qu’on n’a pas résolu une dernière épreuve. Certains sont coincés ici depuis des centaines d’années parce qu’ils ne parviennent pas à surmonter la leur, d’où le nom de Val sans Retour. Mais ne vous inquiétez pas, à coeur vaillant, rien d'impossible... J’ai confiance en vous. Une fois que vous aurez réussi, je vous assure que vous pourrez retourner chez vos parents.

Décontenancé, Gurvan dansa d’un pied sur l’autre, mal à l'aise. Les propos du pont faisaient écho aux chevaliers maudits par Morgane, incapables de réussir l’épreuve qui leur était assignée : renoncer à leur amour pour la sorcière. S’il échouait, errerait-il dans cette forêt à tout jamais ?

  • En quoi consiste cette dernière épreuve, au château ? se risqua-t-il.

Une fois de plus, sa dernière question resta sans réponse. Il n’insista pas. Le pont avait fini de parler, il fallait le laisser se reposer.

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