Sorj : "rationnel et mesuré"

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En voyant revenir le nouveau, Sorj ne pensa d’abord qu’à une seule chose : « ça y est, il l’a brisé ». Épaules basses, mine sombre et démarche épuisée, Gerald Zrivian n’était plus que l’ombre de lui-même. Mais lorsqu’il releva le visage, et que Sorj croisa son sublime et brûlant regard vert, il comprit son erreur. Le jeune perædhel n’avait pas rendu les armes. Pas encore.

— Je vais le tuer... grogna-t-il à travers ses canines serrées. Je vais les tuer tous les deux !

Sorj se rapprocha de lui, mais il garda une distance prudente. Le nouveau ressemblait à une bête sauvage à qui on aurait marché sur la queue.

— Je croyais que t’étais mort... T’as bien disparu pendant plusieurs heures.

Qu’est-ce que Brüder lui avait fait ? Peut-être même que Nimrod l’avait reçu... Ce n’était pas impossible. Après tout, le nouveau était diaboliquement beau. Il ne devait pas laisser l’ældien insensible.

Gerald s’écroula soudain, juste devant lui. Surpris, Sorj eut le réflexe de le réceptionner dans ses bras.

— Merde... Ça va ?

— Le robot, grinça Gerald. Ce salopard de grille-pain... Je jure sur ma vie et toutes les étoiles de la galaxie que je vais me le faire. Tu m’as entendu, Sorj ? Je vais le défoncer.

Sorj ne put réprimer le frisson qu’il sentit descendre le long de sa nuque. Cette façon de parler, cette rage, ce feu dans ses yeux effilés... Il avait l’impression que le nouveau venait de lancer une malédiction vieille comme l’univers.

— Allez, viens boire un coup, l’invita-t-il doucement. Y a à manger aussi.

Quoiqu’il ait subi, il devait être affamé.

Gerald lui jeta un regard assassin, mais il le suivit néanmoins. Pendant son absence, quelqu’un avait dressé la grande table qui se trouvait dans la pièce au centre de leurs appartements. Une grande dalle en matière inconnue, qui trônait dans une salle froide festonnée de colonnades. À la vue des denrées extraordinaires qui s’y entassaient, toutes majoritairement rouges et jaune, les yeux félins du nouveau s’illuminèrent.

— C’est pour nous ?

Sorj se laissa tomber nonchalamment sur la haute cathèdre à l’extrémité de la table.

— Ouais. Cadeau du Maître. Allez, mange : tu l’as bien mérité.

Le semi-ældien lui lança un nouveau regard vipérin, mais il s’assit quand même.

— Je vais pas supporter ça, finit-il par lâcher en croquant rageusement dans une grosse pomme rubis.

Un bruit sec s’éleva lorsque ses dents pointues tranchèrent le fruit extraterrestre. Sorj, lui, n’avait jamais réussi une telle prouesse : il devait découper l’énorme pomme au couteau laser pour pouvoir le manger.

Mais lui, c’est un semi-ældien. C’est sa nourriture. Ses dents sont faites pour ça.

Sorj cessa de l’observer. Il saisit son couteau laser et entreprit de peler le fruit. Cela ne servait à rien de lui demander des précisions sur ce « ça » qu’il ne comptait pas supporter : le vétéran comprenait très bien de quoi il s’agissait.

— Qu’est-ce que tu comptes faire ?

— M’enfuir.

Sorj jeta un autre coup d’œil au nouveau.

— On peut pas.

— Toi, tu peux peut-être pas. Moi, je vais essayer.

— Brüder ne te laissera pas faire.

— Qu’il tente de m’arrêter, cracha Gerald. Je vais démonter sa sale carlingue !

Déformé par la rage, son visage ressemblait à celui d’un animal. Un animal féroce, prêt à ronger les barreaux de sa cage.

Peut-être que lui... songea Sorj. La possibilité d’une évasion commençait à germer dans son esprit.

— T’as un plan ?

Gerald secoua la tête.

— Pas encore, avoua-t-il. Mais ça va venir. J’attends l’occasion propice.

Au fond de son cœur — plus isolée désormais que ne l’était le puits gravitationnel du navire amiral —, Sorj sentit l’espoir revivre. Une toute petite, minuscule mais bien réelle, flamme.

— C’est impossible, souffla-t-il après avoir jeté un regard aux alentours. On ne peut pas.

Gerald, affalé dans son haut fauteuil comme s’il était le seigneur de ces lieux, posa sur lui son regard fluorescent.

— Et pourquoi pas ?

— C’est un navire ældien. On ne saurait même pas où sont les barges de secours... s’il y en a. Tout nous est incompréhensible, ici. J’ai jamais vu la salle de pilotage, mais j’imagine que les commandes sont configurées en glyphes ultari. Surtout, je crois que les ældiens ont un genre de connexion psychique avec leurs vaisseaux. Leur technologie est différente de la nôtre... c’est presque de la magie.

Gerald ricana brièvement. Ses longs doigts de Gerald jouaient avec sa chaine en argent, désormais vide de son pendentif. Les crocs... ils n’y étaient plus. Sorj remarqua que ses gestes étaient tout sauf nerveux.

— De la magie... non mais, tu t’entends ? On dirait une grand-mère superstitieuse des colonies agricoles !

Sorj jeta un regard noir au nouveau.

— T’en sais rien. Moi, ça fait des mois que je vis là. La plupart du temps, je suis plongé dans un rêve éveillé à cause des phéromones exogènes et de la chimie bizarre de l’air sur ce vaisseau.

— J’y vois très clair, pour ma part, claqua Gerald avec un rictus aussi cruel qu’ironique. On est dans la vieille carlingue d’un vieux briscard pervers qui profite de votre crédulité et de votre docilité naturelles pour planter sa grosse nouille dégueulasse dans vos fions en toute impunité.

Sorj ouvrit de grands yeux.

— Là t’y vas fort... on voit bien que t’as pas encore vu Nimrod. Il est...

— Je parlais du robot.

De nouveau, Sorj s’étonna. Le robot... C’était lui, que Gerald avait désigné comme ennemi.

— Faut se débarrasser du robot. Entre deux phases de rut, l’ældien ne se souvient même pas que vous êtes là.

Sorj plissa les yeux.

— Qu’est-ce que t’en sais ? Il montre une certaine considération pour Andei...

— Il se fout de vos petites existences, coupa brutalement Gerald. Si ce grille-pain recyclé de Brüder ne vous amenait pas à lui, il ne vous calculerait même pas.

— Comment tu peux être aussi péremptoire ?

— Parce que je suis semi-ældien. Je sais comment pensent ces créatures.

Sorj regarda attentivement Gerald. Enfin, il lui dévoilait le fond de sa pensée.

— Développe.

— Ils sont pas foutus de se concentrer plus de deux minutes. Le temps s’écoule trop différemment pour eux... et ce sont des animaux. Il suffit d’une distraction, d’un odeur plus intéressante, une couleur... et leur attention est détournée pour un temps plus ou moins long.

Sorj fronça les sourcils.

— Tu te considères donc comme un animal stupide, gouverné par ses instincts ?

— J’ai ça dans le sang, concéda Gerald. Mais je le combats. Et l’esprit humain, rationnel et mesuré, est dominant chez moi.

Sorj garda un silence prudent. Pour qualifier Gerald, il aurait utilisé d’autres qualificatifs que « rationnel et mesuré »... mais mieux valait garder son opinion pour lui.

— Faut se débarrasser de Brüder, continua Gerald. C’est lui, le problème. Je saurais me démerder avec les commandes, fais-moi confiance. J’ai un instinct pour ça. Ensuite, on se fait la malle. Et on laisse l’ældien se taper la queue tout seul. Il ne nous poursuivra pas. Les ældiens se foutent des humains : pour eux, on meurt comme des mouches, sans qu’ils s’en rendent compte.

— Andei attend des petits. Il doit accoucher bientôt... t’en fais quoi, de lui et de sa portée ?

Gerald grimaça.

— On les balance dans l’espace.

En voyant la tête que faisait Sorj, il ajouta :

— Je parlais des perædhil.

— Tu ferais ça ? Tu te sens capable de balancer des bébés, même à moitié exogènes, dans l’espace ?

Gerald rompit le contact visuel. Ses doigts arachnéens — qu’ils étaient longs ! — tapotèrent la table en quartz.

— On les laisse à Nimrod. Ça l’occupera.

— S’il y a une femelle dans le lot...

Le regard de Gerald fusa.

— On devra la tuer, grinça-t-il. On peut pas laisser les ældiens se reproduire à nouveau !

Sorj prit un moment pour réfléchir aux implications du plan du nouveau. S’il avait raison... oui, il y avait bien une chance pour eux de fuir.

Au moment de répondre à Gerald, Sorj se rendit compte que le semi-ældien n’était plus en face de lui. Il dormait, roulé en boule sur le canapé, ses longs cheveux presque blancs déployés sur son visage d’ange. Debout face au sofa, Sorj le contempla en silence. Puis il s’empara d’une couverture et en recouvrit la silhouette du nouveau endormi.

Tu parles de rébellion, mais t’es encore qu’un gamin, songea-t-il.

Cependant, les paroles pleines de feu de Gerald avaient ranimé quelque chose en lui. Des étincelles, les bribes de quelque chose qu’il croyait éteint depuis longtemps.

Je ne veux pas finir mes jours ici, servir d’esclave sexuel jusqu’à ma mort.


***

Et voilà la suite qui s’est tant faite attendre ! J’espère que vous êtes encore là... Je pense pas, mais bon, je déteste laisser des histoires sans fin ! Donc je continue d’updater, même s’il n’y a personne. :)

Encore désolée pour avoir mis autant de temps. Vous n’êtes sans doute pas au courant, mais j’ai édité mon premier roman, une romance SF qui se passe dans le même univers que Sirius, mais des millénaires plus tard, alors que la guerre contre les Korridites est terminée et les ældiens disparus (officiellement). Sauf qu’il y en a un qui réapparait alors que l’humanité pensait en être débarassée... qu’est-ce que ça va faire à votre avis ? Vous connaissez ce pitch ? Bingo, c’est le Vaisseau Noir ! Dans une version remasterisée, corrigée et réécrite, avec un nouveau titre, plein de nouveautés et notamment deux passages spicy rajoutés. Et il est dispo à la vente sur Amazon, en numérique, depuis mercredi dernier, pour la modique somme de 5,99 euros ! (17,50 en papier). Si vous aimez cet univers, je vous encourage fortement à aller l’acheter. Si ça marche bien, je pourrais en sortir d’autres, et me concentrer sur mes autres projets inachevés, comme Sirius. Allez donc jeter un œil !

Infos :

Titre : Je brûlerai ton armure

Auteur : Lotte Sardane

Éditeur : Rival

436 pages

Prix : 5,99 (numérique), 17,50 (papier)

TW : violence, mention de violences sexuelles

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