Un semi-humain sans valeur

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L’analyse du sang et de la salive du prisonnier confirma ce que Vlad avait deviné : le jeune humain avait des origines ældiennes. Au moins un de ses parents était un pur représentant de la race des maîtres, et les petits crocs montés en collier – petits pour un mâle ældien adulte, mais impressionnants pour un humain – lui appartenaient probablement.

Après avoir décacheté et lu la lettre demandant à l’échanger contre un manutentionnaire du nom de Sorj Mannel détenu par le seigneur Nimrod, Vlad réalisa la valeur que pouvait avoir le perædhel. Quel dommage que ce ne soit pas une femelle ! Mais, comme le suggérait Hosseini, on pouvait toujours l’échanger contre une reproductrice. Æshma avait abandonné l’idée d’avoir une descendance, pourtant, c’était encore possible… il allait falloir le convaincre du bien-fondé de son plan. En lui forçant un peu la main, si nécessaire. En attendant, il convenait de donner sa réponse au Contre-Amiral. Ils auraient les coudées plus franches, une fois le cair éloigné de sa station. Il pouvait changer d’avis, faire des histoires et demander à récupérer son émissaire… qui, en outre, était particulièrement joli. Il y avait toujours de l’usage pour ce genre de minet, chez les organiques.

À cette heure-là, Æshma était enfermé dans son temple, plongé dans les souvenirs oniriques de son monde disparu. Mieux valait ne pas le déranger. Vlad avait été accepté comme co-navigateur par le cair : il pouvait le faire décoller lui-même. De toute façon, Æshma aurait vite oublié la station. Ces derniers temps, il n’était pleinement présent que lors de rares éclaircies, pendant lesquelles il mentionnait beaucoup trop Tyr-ann-nagh. L’arrivée d’une aslith femelle lui redonnerait goût à la vie, et l’arrivée de petits, un but. En cela, le jeune Gerald Zrivian serait utile : si Æshma boudait les jeunes mâles, ce n’était pas le cas du fougueux Nimrod.

— Valarog, prépare-toi à mettre sur la dernière destination connue du Seigneur Nimrod, s’il te plait, demanda Vlad à voix haute. Nous partons.

Mais d’abord, il fallait informer Hosseini.

*

Enfant, la violence naturelle de Gerald lui avait permis de rester en vie. L’espèce humaine avait eu beau frôler l’extinction, l’existence des mutants ne valait pas bien cher. Des rumeurs racontaient même qu’une nouvelle police secrète – le SVGARD – abattait sans sommation ceux qui présentaient des gènes altérés, dans le secret des caniveaux et des interstices de la mégastructure. Gerald avait retrouvé un corps, une fois. Et il avait si faim ce jour-là qu’il en avait salivé, avant de s’enfuir, honteux, dans une ruelle adjacente.

Gerald avait connu la maltraitance institutionnelle, les sévices sexuels, la faim, les coups. Mais il avait survécu à la rue. Sa débrouillardise et surtout la violence sauvage et soudaine qu’il était capable de mobiliser en situation d’urgence lui avait toujours sauvé la mise. Mais aujourd’hui, c’était différent. Il s’opposait à une force qui le dépassait, contre laquelle il ne pouvait ni se battre ni composer.

Cela dit, le robot ne perdait rien pour attendre.

Gerald n’avait jamais vraiment eu l’occasion d’aimer ou même d’apprécier quelqu’un au cours de sa courte vie. Mais aujourd’hui, il pensait ne pas pouvoir haïr plus qu’il ne haïssait l’IA qui lui avait ôté la liberté, le peu de dignité qu’il possédait et la peau du dos, par-dessus le marché. Heureusement, sa mutation lui permettait de cicatriser vite.

Le jeune homme tâtonna, cherchant autour de lui ses effets personnels. Il était nu. Mais le robot avait nettoyé et plié ses affaires, qu’il avait laissées là, sur une tablette. Le collier de dents reposait sur la pile de vêtements, ainsi que son utilitaire portatif. Avant même d’enfiler ses sous-vêtements, Gerald attrapa le pod d’un geste vif et se hâta de la fixer sur son poignet. Dans le même mouvement, il saisit le collier de croc pour le passer autour de son cou, avant de porter le poignet devant ses lèvres.

— Aki, murmura-t-il. Aki… tu m’entends ?

L’écran noir se mit à luire faiblement. AKI n’avait presque plus de batterie. Mais une silhouette féminine pas plus grande qu’une main finit par apparaitre dans la paume de Gerald, qu’il tenait ouverte. Il savait que cet hologramme n’avait pas besoin de support physique autre que la mémoire du pod, mais lui ouvrir sa main comme si elle pouvait s’y poser constituait une habitude ancrée en lui depuis son acquisition – il avait craqué un an de paye pour ça – de cette petite IA intégrée. Le modèle AKI était une IA peu autonome, dont on avait depuis arrêté la production. Mais il aimait son design un peu désuet, ce côté mignon et pur qui contrastait avec la crasse et la violence désespérée du monde dans lequel il vivait. Gerald l’avait configuré lui-même, lui donnant l’apparence d’une petite fée volante aux cheveux bleus. La lueur argentée qu’elle irradiait éclaira momentanément la pénombre, se reflétant sur la paire de canines banches qui pendaient sur le torse sec de Gerald.

— Je t’entends, Gerald, finit par lui répondre Aki.

Sa voix était pourtant faible. Sa silhouette clignotait, comme si elle était sur le point de disparaître d’un instant à l’autre.

— Pour l’instant, je ne peux pas te recharger. Je suis prisonnier d’une IA qui a pété les plombs… il faut que tu envoies un message au Contre-Amiral Hosseini. Dis-lui que je suis retenu sur le cair de son petit pote et qu’il faut qu’il vienne me chercher. (Il fit une pause rapide, avant d’ajouter:) Mets les formes, évidemment.

Il était désormais évidemment qu’Hosseini l’avait envoyé là pour éviter de faire courir le moindre risque à ses hommes. C’était un bon chef, finalement. Il avait juste jugé que Zrivian valait moins que le reste du cheptel. Ce constat mettait Gerald en rage : pourquoi, depuis son enfance, fallait-il toujours que ce soit lui qu’on piétine, qu’on écrabouille allégrement ?

Parce que tu n’es rien. Un semi-humain sans valeur, inutile.

La voix d’Aki le tira de ces pensées noires.

— C’est fait, Gerald.

Le susnommé dressa l’oreille. Son ouïe, plus fine que la normale, lui avait fait percevoir des pas en approche. C’était sûrement le robot : il ne fallait surtout pas qu’il comprenne que son pod abritait une autre IA.

— C’est tout pour le moment, murmura Gerald. Repose-toi et économise tes forces. Je ferais sûrement appel à toi plus tard.

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