La porte

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Sorj avait cru que l’insémination aurait au moins eu le mérite de mettre un terme au calvaire de son compagnon d’infortune. Mais c’était loin d’être le cas. Brüder venait le chercher avec une régularité d’horloge quantique, et le conduisait aux appartements privés de celui qu’il fallait désormais appeler le « maître ». De sa poigne de fer, il escortait un Andei résigné vers une autre porte, située à l’exact opposé de leur prison dorée. Une sorte de bracelet, qu’il portait au poignet, lui servait de sésame.

Sorj ne perdait rien de ces manœuvres douanières. Maintenant qu’il n’avait plus de bites en silicone à sucer, et que son anus pouvait enfin se reposer, son esprit était libre. Libre de calculer, d’imaginer… et d’échafauder des plans. Ce n’était pas un rêveur, comme le petit Andei, mais un technicien. Lorsqu’il y avait un problème, cela avait toujours été son boulot de le résoudre.

Et ce « maître » était un problème. Or, un problème, on s’en débarrasse.

Le véritable obstacle, c’était le robot. Mais ce dernier était accaparé par les soins apportés à Andei. Pourvu d’un utérus que la créature avait débouché puis rempli, le malheureux se trainait un ballon énorme. Sa poitrine avait même pris des formes suggestives, boostée par le cocktail d’hormones que lui faisait avaler Brüder. Sorj était désolé pour lui : il n’y avait pas plus grande violence que d’empêcher quelqu’un d’être ce qu’il voulait être.

Et en plus, le pauvre gamin continuait de passer à la casserole.

— Ce maître a vraiment un appétit insatiable, ironisa Sorj alors que Brüder, pour une fois, supervisait à l’entretien de son anus.

L’entretien en question visait à le garder bien souple, bien préparé pour le jour où le « maître » viendrait lui planter son zgeg dans le derche. Pour l’instant, l’ange gardien de Sorj travaillait dur pour que cette éventualité n’arrive pas. Et c’était le gosse qui prenait tout.

— Dites-lui que je prêt, Bon Dieu de merde, finit-il par lâcher à un Brüder mutique. Je suis prêt à servir de sac à foutre extraterrestre. Le petit peut pas continuer comme ça, il va finir par se foutre en l’air, vous comprenez ?

L’androïde prenait sa tâche très au sérieux. Il lui massait l’orifice avec concentration, poussait son pouce dans l’anneau musculaire et l’enduisait d’un produit entre la graisse à traire les zubrons et le lubrifiant mécanique. Le pire, c’est Sorj était loin de trouver l’opération désagréable.

— Le Maître fait ce dont il a envie, quand il en a envie, répliqua calmement Brüder tout en vissant un plug dans son intimité. Pour l’instant, c’est votre jeune ami qui bénéficie de ses faveurs. Quant à servir de sac à foutre… (Brüder lui saisit les bourses de sa pince de fer) Seule la femelle peut avoir cet usage, et sa portée doit être arrosée régulièrement. Sans compter le désir qu’elle a du Maître : elle ne peut plus s’en passer, maintenant.

Sorj voulut se retourner. Qu’est-ce que ce grille-pain fêlé lui racontait là ?

— Andei n’est pas une femelle, rectifia-t-il. C’est un homme, comme moi !

— Vous n’avez ni vagin ni utérus. Lui, oui.

— Il a aussi un pénis et des couilles… Ouch (Il grogna sous la poigne de Brüder). Et votre « maître » le détruit !

Brüder se redressa. Il se rinça les mains au pistolet hydrosonique, imperturbable.

— Vous verrez. Vous connaîtrez ça bientôt. C’est douloureux au début, oui… puis on apprend à apprécier la douleur, la soumission. La dissolution totale… Et, comme votre petit camarade, vous en redemanderez. À genoux, le cul tendu et la bouche ouverte.

— Arrêtez de l’insulter, grinça Sorj, de plus en plus hors de lui. Vous en parlez comme une vulgaire pute… Andei n’en redemande pas. Il déteste ce que cette créature lui fait !

Brüder continua de le toiser, un microsourire sur ses lèvres fines. Puis il lui tourna le dos et repartit en sifflotant.

Sorj guetta l’ouverture de la porte. Entre le moment où le clic de décompression se faisait entendre et celui où Andei apparaissait, il s’écoulait un certain laps de temps, de plus en plus long. Ce monstre le mettait dans un tel état !

Cette fois, Sorj n’attendit pas. Il s’était résolu à agir. L’ældien devait dormir, saoulé de viols. Le repos du bourreau !

C’est maintenant ou jamais, se décida-t-il en entendant le déclic familier.

La porte s’entrouvrait sur un noir d’abysse. Sorj prit une grande inspiration et y plongea.

Il s’était attendu à trouver Andei derrière. Mais il n’y était pas. L’avait-il déjà franchie ? À son insu ?

Sorj regarda autour de lui. Partout, ce n’était que du noir. Des ténèbres. Il avait l’impression de marcher sur une paroi de verre, de s’enfoncer dans la mélasse. L’air était chaud et épais. Un environnement optimisé pour une vie exogène ? Après tout, il ne savait rien sur ces ældiens… Andei s’était montré incapable de lui dire à quoi son violeur ressemblait. Il était plongé dans une stupeur permanente, une sorte de rêve.

Je t’attendais.

La voix résonna dans sa tête. Surpris, Sorj leva les yeux, scanna de nouveau le décor. Il finit par discerner quelque chose, comme une lumière, vers laquelle il se dirigea.

Une lune. Une lune qui luisait, gibbeuse, sur une mer d’encre. Plus il se dirigeait vers elle, plus les environs changeaient. Le glacis noir avait laissé place à un sable blanc.

C’est donc ça, la mer, pensa Sorj en contemplant l’immensité.

Oui. Ton compagnon a eu la même remarque.

De nouveau, Sorj se retourna, alarmé.

— Qui me parle ? Montrez-vous !

Tu le sais.

— Vous êtes le Maître ?

La voix de Sorj n’avait aucun écho dans cette bulle étrange.

Toi, tu es celui qui refuse de se soumettre. Le guerrier humain.

— Je ne suis pas un guerrier. Juste un intendant, répliqua Sorj en scrutant les ténèbres.

C’était quoi, une illusion ? Un décor artificiel, comme dans les lupanars spaciaux ? Soudain, ce paysage onirique perdit tout son attrait.

Tu n’aimes pas ma création ? Je pensais que les humains aimaient ce paysage.

— Vous jouez avec nous. Pourquoi tout ça ?

La mer s’effaça. Elle disparut, tout simplement. Ce n’était pas un univers virtuel, qui, lui, se désintégrait progressivement.

Sorj s’aperçut alors qu’il était dans un grand lit. Un immense lit rouge. Et il était nu. Entre les cuisses monumentales d’une créature. Une créature immense, si blanche qu’elle en irradiait, si blanche qu’elle en devenait bleue.

Et devant lui se dressait cet organe qu’il avait déjà appris à redouter. Il était avide et engorgé, encore plus monstrueux que dans ses pires cauchemars.

Accomplis ton office, guerrier humain, lui ordonna la Chose. Montre-toi à la hauteur de ton serment envers ton petit compagnon.

Sorj tenta de reculer. Il s’était attendu à tout, sauf à ça.

— Mon... montrez-vous...

Une poigne à la force phénoménale s'empara de ses cheveux. Son visage fut renversé en arrière. Une ombre noire vint le couvrir, immense, et l'enfourcha. L'énorme appendice s'enfonça dans sa bouche béante, l'ombre d'un ventre mâle, musclé et tendu, situé au-dessus de lui. C'était tout ce qu'il pouvait voir. Ce ventre de statue.

Sorj avait imaginé cette scène bien des fois : il l'avait rêvée comme une confrontation. Mais il fut incapable de se rebeller. La lutte était trop inégale. C'était David contre Goliath, un petit enfant contre un dinosaure. Heureux d'être encore en vie, il accepta cette queue exogène avait impatience et reconnaissance, la laissa se glisser dans son œsophage. Il la suça de toutes ses forces, aussi fort qu'il le pouvait. La peur s'évapora, laissant place à une excitation fébrile. Son anus frémissait, attendant l'assaut du pal. C'était ainsi qu'on l'avait dressé. Il attendait la douleur, le déchirement. Il aspira plus à fond, encore plus, avala les jets de foutre qui jaillissaient dans sa gorge. Quelque chose vint titiller ses bourses, son intimité d'homme. Il fut saisit, les cuisses écartées avec brutalité, les genoux ramenés devant ses yeux hagards.

Puis il le vit. Croisa son regard. Trois gemmes de feu... et la peur revint, le brûlant à blanc. C'est à peine s'il sentit le liquide lubrifiant couler entre ses fesses, ni la coupure de la griffe qui le travaillait. Il était comme une souris hypnotisée par un serpent. Les yeux immenses, plongés dans ceux de l'ældien, fasciné par ce visage inhumain. La pression sur son anus le réveilla, et il lâcha un cri bref, implorant. Puis il fut ouvert. L'organe, d'une largeur et d'une dureté insoupçonnable, s'enfilait sur son anus contracté de spasmes. Toute réalité autre que celle-ci avait disparue. Son anus n'était plus qu'une bouche tremblotante et empalée, fourrée et à vif. Lorsque se mit à aller à venir en lui, il gémit, cherchant par tous les moyens à contenir son cri. Jamais il ne s'était senti plus vulnérable, distendu. Il avait l'impression de n'être plus que ça, un anus énorme, palpitant autour du phallus gigantesque qui le violait.

La cadence s'accéléra. La pénétration se fit plus profonde. Alors, cette fois, un hurlement lui déchira la gorge. Et avec lui, il explosa.

*

Étendu sur le ventre, Sorj tentait de se remettre de la nuit de tortures et de délices qu’il venait de passer.

Les tortures, une évidence. Les délices, un peu moins. Et pourtant…

Sorj s’était fait déchirer le cul. Littéralement. Il avait sucé jusqu’à en avoir la bouche irritée, gobé de la bite extraterrestre à en étouffer et avalé du sperme jusqu’à plus soif. Son anus était béant, élargi par le phallus monstrueux qui l'avait si impitoyablement pilonné.

Et pourtant, il avait joui comme jamais il n’avait joui dans sa pauvre vie. Aucune bio-pute ou autre droïde de plaisir ne lui avait procuré une telle jouissance, jamais.

Il s’était évanoui un nombre incalculable de fois. Il avait supplié, hurlé, pleuré. Pas toujours dans cet ordre, et pas toujours en négatif. Cette créature… c’était superbe, atroce. Tout simplement diabolique.

Et pendant tout ce temps, Andei avait subi tout ça. Quotidiennement.

Pas étonnant qu’il ne puisse pas en parler.

Pour le moment, un caisson médical volé aux humains réparait les dégâts. Le Maître s’en était occupé lui-même pendant la rencontre, à plusieurs reprises. Il le réparait, puis il le reviolait. Encore et encore. Sorj ne savait même pas combien de temps cela avait duré. Il avait perdu la notion du temps.

Brüder fit irruption dans la pièce aseptisée.

— C’est Andei qui y retourne ce soir, lui apprit-il. Si vous voulez le voir, c’est maintenant.

— Combien de temps suis-je resté dans le caisson ? s’enquit Sorj tandis que l’androïde actionnait l’ouverture du couvercle.

— 27 heures. Vous aviez de nombreuses contusions et déchirures au rectum : comme je l’avais dit, vous n’étiez pas assez préparé.

— Et là-bas, derrière la porte… J’y ai passé combien de temps ?

Brüder le regarda.

— Soixante-douze heures. Vous avez offert un vrai répit à votre ami, Sorj. Sachez qu’il vous en a maudit.

Soixante-douze heures… Trois jours solariens.

— Vous connaissez mon nom…

Brüder s’offrit le luxe d’un bref sourire.

— Bien sûr. Je connais tous les noms des esclaves de plaisir. Je les note dans un petit carnet, qui me suit partout.

— Un carnet ?

— Un vrai de vrai. Les Anciens appelaient ça moleskine. Allez, levez-vous. Votre ami attend.

Si Andei attendait quelque chose, ce n’était pas lui. Son ami ressemblait à un dormeur en manque d’ayesh. Les yeux brillants, les joues hâves. Dès qu’il aperçut Sorj, il se tourna vers lui.

— Tu y as été !

Sorj hocha la tête, lentement. Brüder était toujours derrière lui.

— Salaud ! Tu m’as pris ma place ! Alors que j’en ai besoin, tu m’entends ?

Sorj se figea, incrédule. Un malaise glacial se mit à inonder son circuit nerveux.

— C’est pas ce que tu crois. Je te cherchais !

— C’est faux, répliqua Andei, les yeux brûlants de fièvre. Tu veux tout pour toi ! Le plaisir… la douleur ! L’oubli et la dissolution !

Il est fou, réalisa Sorj. Cette situation, ce vaisseau, cette créature… ils l’ont rendu fou.

L’androïde intervint en séparant les deux hommes.

— Allons allons les garçons, pas de jaloux. Ce soir, le Maître prendra Andei, qui a besoin de soins spéciaux. Sorj devra attendre son tour, et il le comprend. N’est-ce pas, Sorj ?

Le regard de Sorj passa de l’humain au robot.

— Je… bien sûr.

Cet énoncé du programme parut calmer Andei. Brüder lui lissa les épaules, le guidant gentiment vers la fameuse porte. En passant près de lui, Sorj eut juste le temps de lui glisser à l’oreille :

— Souviens-toi. Qui tu es. Qui est notre ennemi.Ne lui cède pas. Résiste !

Sa recommandation passa inaperçue : rien dans le comportement empressé d’Andei ne montra qu’il l’avait comprise. Il franchit la porte sans se retourner, disparaissant dans l’oubli.

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