Secret : Impossible Muse

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Afin de me calmer, je contemple l'installation artistique oscillée légèrement avec précision et essaye de calquer mon rythme cardiaque sur le même tempo ; or, cette misérable tentative se solde par un échec cuisant.

J'entends encore Armèle me dire :

" _ Tu ne peux pas le savoir Alexandre, tu n'as même pas essayé."

Eh bien voilà, j'ai tenté l'expérience et c'est une connerie monumentale !

Je n'aurais jamais dû prendre en compte cette suggestion absurde.

Il faut être réaliste, bordel ! Je suis l'angoissé de service, le solitaire, un taré hystérique qui reste seul tout le temps selon mon géniteur.

Anxieux, je remarque la foule grossir à vue d'œil et j'ai presque envie de détaler tel un lapin, mais pour quelqu'un qui a tout intérêt à rester discret ce n'est pas une brillante idée.

Bon sang, qu'est-ce qui m'a pris ?

Introvertie à outrance, je suis loin d'être impulsif d'habitude, bien au contraire. Je suis organisé à l'excès, exigeant, très méticuleux au point que certaines de mes manies rendent parfois les personnes de mon entourage complètement cinglées.

Pourtant, sur un coup de tête et contre toutes formes de bon sens, je suis venu à Pantin dans la galerie Thaddaeus Ropac pour l'exposition. L'Alexandre rationnel n'aurait en aucun cas fait un truc pareil et pour cause puisque celui-là au moins est pragmatique.

Mon stress s'aggravant de façon exponentielle, je sens la crise de panique arrivée.

_ Elle vous fascine, vous aussi.

Concentré sur ma respiration, je n'avais même pas remarqué l'homme à mes côtés.

Pris au dépourvu et distrait, je l'interroge.

_ Pardon ?

Je profite qu'il reprenne la parole, pour l'observer.

Tout comme moi, il est brun ce qui est sans nul doute notre seul point commun. La petite trentaine, mystérieux, élégant et saisissant de beauté dans son smoking haut de gamme, il semble occuper tous l'espace.

Je suis incapable de dégager une telle assurance malgré mon mètre quatre-vingt-sept.

Armèle me dit très bel homme avec mes yeux vert et ma musculature, mais je n'y crois pas du tout. J'ai toujours l'impression d'être cet ado complexé qui ressemble malgré mes récents efforts au geek rachitique d'autrefois.

_ L'installation, me dit-il en désignant la sculpture.

Reprenant mes esprits, je l'observe attentivement comme si je ne l'avais jamais vu, alors que c'est loin d'être le cas.

Passionné, l'homme reprend.

_ Semblable à une femme sortant du lit de son amant, elle semble presque capable de nous étreindre.

Percevant enfin ce qu'il suggère concernant l'œuvre, je me détends spontanément, éclate de rire et rétorque.

_ Voilà qui est curieux, vous donnez un sens plutôt poétique à quelque chose qui se veut clairement décadent.

Cette fois, c'est mon interlocuteur qui éclate de rire.

_ Décadent certes, mais bien plus sensuelle que vulgaire vous ne croyez pas ?

Emmerdeur sur les bords, je lui demande.

_ Vous connaissez l'artiste ?

_ Pas personnellement, mais vous devez certainement le savoir me répond-t-il avec un rictus moqueur.

Voyant que je ne réplique rien, il explique.

_ Alex Gournelle est un artiste pluridisciplinaire de génie, mais vous êtes au courant, j'imagine. Il marche si je puis dire dans les pas d'Andy Warhol, mais cet homme ne vit que pour son art. Très créatif et particulièrement doué pour le dessin, la gravure, la photographie, la peinture, la sérigraphie, la sculpture, la cinématographie et la musique, il ne sort presque jamais de son atelier parisien ; s'il on en croit ses proches. J'ai bien essayé d'obtenir un entretien, mais c'est peine perdue, tout est verrouillé autour de lui. Bien que très en vogue, encensée par la critique, les mécènes et la presse ce type refuse indéniablement de se montrer. Je donnerais n'importe quoi pour posséder un de ses portraits, mais il n'accepte pas aisément ce genre de commande.

Oubliant mon stress, j'affiche alors un piètre sourire de dérision que j'imagine discret ; mais il ne l'est pas du tout apparemment.

_ Vous vous moquez ?

Me reprenant, j'objecte immédiatement.

_ Quel intérêt aurais-je à me railler de votre désir de rencontrer cet homme ? Je suis juste surpris, je ne savais pas cet artiste si connu. Il faut dire, que pour moi, c'est l'art qui prévoit avant tous. Mais qui sait après tous, je suis de ceux qui conçoivent et approuvent ce genre de discrétion. Je contemplais simplement son travail sans jugement critique influencé par une quelconque notoriété. Je suppose finalement que ma perception est plus que novice.

_ Loin de moi de juger à vos compétences, me dit-il avant de me tendre la main.

_ Adam Authier, se présente-t-il.

Le contact de sa main virile me prend au dépourvue, elle chaude et envoie de l'électricité dans chaque parcelle de mon être. Réflexion faite, le patronyme maternel me sera enfin utile. Comme hypnotisé, je m'accroche à son touché et m'exprime pratiquement du bout des lèvres.

_ Alexandre Angevin.

Nos yeux ne se quittent plus contenant en leur sein un message caché qui me déroute.

_ Adam ?

Je crois comprendre qu'une voix sucrée souhaite interrompre notre échange ; mais perdu dans ses orbes bleu azur, j'ai du mal à revenir sur terre jusqu'à qu'il se détourne de moi pour accorder son attention à une splendide jeune femme.

Merde, qu'est-ce que je fous ?

En accord avec mon corps, ma conscience me pousse à prendre la fuite. Ce qui fatalement à cet instant est une excellente suggestion, quand Adam décide d'introduire son interlocutrice.

_ Puis-je vous présenter ma femme Clémence ?

Sa femme ?

Gêné et honteux, je brouille une excuse et m'éloigne rapidement en direction de la sortie.

Les quinze minutes de trajet en voiture vers mon domicile passent plus vite que prévu, ce que je trouve rassurant. Et c'est avec joie que je retrouve la sécurité de mon loft ou plutôt celui de mon atelier.

C'est là qu'au cœur de l'ancien village St-Germain-de-Charonne, dans une ancienne usine réhabilitée, intégralement rénovée, lumineux sous une verrière Gustave Eiffel de sept mètres de haut, que le souhait d'Adam va se réaliser sans qu'il ne le sache.

Envoyant valser ma veste sur un fauteuil scandinave, je m'équipe avant d'installer une nouvelle toile. Me stimulant, les odeurs de solvant ainsi que l'amas de couleurs rares que je viens tout juste de préparer me donnent une vision clair de ce que sera ce portrait.

Je ferme les yeux et redessine de mémoire les traits puissants d'Adam Authier, le reflet unique de ses yeux bleu, la sensualité de ses lèvres pleines, les quelques boucles de ses mèches sombres.

Cet homme me plaît. 

Fasciné par son visage, je visualise alors un projet de grande envergure, puis je me souviens que si Alexandre Angevin à bien discuté avec Adam Authier ; Alex Gournelle lui n'est pas censé l'avoir rencontré.

Et là j'ai presque envie que mon secret n'en soit plus un.

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