À l'ombre des regards

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Bien des situations me laissent régulièrement avec cet étrange sentiment d’appartenir à un autre monde, de me trouver ici-bas comme un extraterrestre ayant tout oublié de son crash. Et ce depuis ma plus tendre enfance.

Devant moi, une table entourée de conversations typiquement masculines. Travaux à gauche, sport à droite, soit un ensemble fort ennuyeux pour les esprits introvertis, toujours en quête de hauteur et de profondeur, trop pour apparaître un tant soit peu captivant au regard des autres. Mais parfois, une question inopinée me tombe dessus, à laquelle je m’efforce néanmoins de répondre avec sincérité par un visage silencieux affichant à la fois dépit, désespoir et dédain.

Chiant. Rabat-joie. Pas drôle. Défauts redondants d’une âme inadaptée à de nombreux milieux. Qui plongerait un poisson de mer dans un étang ?

Puis un jour, voilà qu’arrive un portrait imparfait, soutenu par des formes du même acabit, le genre de corps qui ne fait pas l’unanimité, de la race des « quelconques », comme certains diraient.

Mutique, j’observe ses traits, ses accessoires, écoute chacun de ses mots, la tournure de ses phrases, ses gestes, ses postures, ce sublime mélange de nuances révélatrices de notre personnalité. Alors je me décide à sonder cet esprit en lançant un jeu de mots subtil, suivi d’un autre, chacun déclenchant chez elle un sourire presque retenu, timide, sous le regard confus du reste du troupeau.

Nos pupilles se croisent, aussi vite qu’apparaissent et disparaissent les étoiles filantes. Parce qu’elle n’ose pas. Parce qu’elle ne connaît pas. Et peu m’importe. Je ne crains pas la contemplation. Je ne crains pas de fixer mon regard sur un tableau tandis que d’autres s’attardent sur la qualité de la toile ou la forme du cadre.

Les joues rubicondes, elle s’éclipse aux toilettes. Au son de la porte verrouillée se succède celui de l’eau qui s’écoule du robinet ; de l’eau qu’on laisse retomber dans l’évier après l’avoir retenue dans ses paumes ; du robinet que l’on referme avant de s’essuyer le visage avec le papier du distributeur situé à hauteur de tête, à côté du miroir ; mais pas le son de la chasse d’eau.

Elle revient. Plusieurs gouttes absorbées par son col la trahissent davantage.

Mon téléphone professionnel sonne et affiche un numéro rêvé, comme si Dieu, en bon voyeur caché derrière un nuage, avait décidé de m’assister.

Aussitôt debout, j’annonce à l’équipe la raison de l’appel avant de terminer ma phrase par une invitation du regard, que ma congénère accepte après un temps d’hésitation.

Dans l’ascenseur et les couloirs commence notre valse de questions au sujet de nos passions respectives, de nos hobbies, du livre posé en ce moment-même sur notre table de chevet, autant de sujets lassants pour ceux que nous ne sommes pas. Hélas, il suffit de quelques discussions endiablées à la vue de tous pour entendre ceux-ci beugler qu’une attirance est palpable, irrépressible, peut-être même le futur mariage est-il déjà consommé. D’où ma préférence pour l’ombre, leçon apprise au fil des mauvais choix. Car si ces autres, pour qui nous en sommes aussi, ne peuvent pas forcément ressentir ce que nous ressentons, ils peuvent cependant remarquer cette mystérieuse attirance cérébrale et la pointer d’un doigt amusé, jaloux ou moqueur. Même l’ombre a ses traîtres et ses espions, quoique moins. Qu’ils fabulent, qu’ils fantasment, mais qu’ils ne voient jamais nos lèvres leur donner raison.

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