Elle m'appelle

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Ris se réveilla. Il se lève du lit et remarque son frère devant la fenêtre. Vu la lumière astrale traversant la paroi transparente, Ris conclut que l’étoile s’est rallumée.

  • Qu'est-ce que tu regardes ? questionne-t-il.

Fendri tourne la tête vers lui et répond d’un ton las :

  • Rien. Je regarde dehors, c’est tout.
  • Il n’y a aucun monstre, mmh ?
  • Non, aucun. Sinon, je te l’aurais dit.
  • Alors, sortons.

Fendri lève les yeux au ciel et se dirige vers la porte pour l’ouvrir en grand. Ris ferme derrière lui. Cela leur fait bizarre de se réveiller en “pleine nuit”. Apparemment, le jour ici est une nuit, et la nuit est un temps d’obscurité totale, sans lune, sans étoile. Est-ce que le jour existe dans ce monde froid, lugubre et étrange ? Aucune réponse quand on vit habituellement à la surface, au soleil, et qu’on ne connaît rien sur ce monde.

Les deux frères continuent leur route et sortent du village hanté. La route mène vers une zone moins verte, plus grise. Plus le voyage dure, plus les arbres se font rares pour laisser place aux bâtiments. La route, jusque-là terreuse, est maintenant un pavé de pierres. Désormais, ils se retrouvent à la frontière de la zone où les bâtiments côtoient avec les arbres.

Un pont rouge et noir traverse une rivière, calme et paisible. Des objets sphériques transparentes sont accrochés aux poteaux du pont. Fendri court vers celles-ci et observe l’une d’elles de plus près. Plus grosse qu’un poing, cette boule est constituée d’une paroi en verre, d’une armature en métal et d’un couvercle en fils de barbelés. Il se demande alors à quoi sert cet objet. Il décide de l’attacher à sa ceinture, au cas où ils en auraient besoin.

Au bout de trois quarts d’heure à pieds, Fendri aperçoit au loin une statue sur une montagne de crânes de pierre. Il sent une étrange sensation. Des chuchotements. Des mots qu’il ne peut pas discerner. Quelque chose le lie à cette statue, une sorte d'appel. Alors, il s’approche de cette sculpture, sans que son frère ne se rende compte de son éloignement.

Cette statue est un guerrier, avec un casque dont les oreillettes ressemblent à des flammes et dont une queue-de-cheval blanche descend jusqu’à la nuque. Il porte des épaulières et des chaussures courbés et des gantelets avec des pointes sur les articulations. Au centre de la cuirasse, au niveau du ventre, est gravée une tête de dragon à la gueule grande ouverte. Au-dessus de celle-ci, il y a un trou. Une ceinture en cuir noir est autour de sa taille, avec un fourreau vide. Il garde une arme blanche dans ses mains, dont la pointe de lame est plantée dans un crâne. La statue a les yeux fermés.

Plus il s’approche de la statue, plus l’appel s’intensifie. Ris remarque son absence. En tournant sur lui-même, il trouve son petit frère à dix pas de la statue. Il crie son nom, mais le concerné l’ignore, trop concentré sur l’épée que tient la statue du soldat.

Elle l’appelle.

Fendri remarque à sa droite une stèle noire. De drôles de dessin sont gravés. Trois symboles alignés en verticale. Il ne les a jamais vus avant. Quand il s’apprête à aller plus loin, Ris arrive, essoufflé.

  • Qu’est-ce que tu fous ?! On doit continuer notre chemin !
  • Cette arme... Je la sens.
  • Quoi ?!
  • Je sens quelque chose... Je ne sais pas comment la décrire... Je crois qu’elle m’appelle.
  • Une arme qui appelle... Pff ! On aura tout entendu ! Je pense que tu es en train de perdre la tête. Viens, on s’en va !

Quand Ris prend sa main, Fendri se débat pour se dégager de son emprise. Il répète sans cesse de le lâcher, mais son frère ne cède et continue à exercer sa force sur son poignet. Au bout d’un moment, Fendri décide de capituler :

  • Ok ! C’est bon ! J’arrête !
  • Bien ! Alors, part...

Au moment où Ris le lâche, Fendri court vers la statue. Le grand frère émet alors une injure et court derrière lui. Soudain, le trou de la statue se met à scintiller de mille feux. Les deux frères s’arrêtent d’un coup, surpris. Quelque chose s’est réveillée... En la statue... Fendri peut sentir cette once de vie. Une aura malfaisante.

Soudain, la statue ouvre les yeux. Ceux-ci sont semblables à des feux. Elle sort l’épée du crâne de pierre dans laquelle elle a été plantée, puis descend de la pente du tas de crânes. Le guerrier de pierre est imposant, froid et agressif. Ses yeux luisants en disent long sur ses motivations : il a l’intention de les tuer. Pendant sa descente, elle parle dans une langue inconnue. Ses mots sont semblables à des murmures, sombres et profondes. Fendri recule en tombant sur ses fesses. La statue s’arrête et lève l’arme blanche au-dessus de lui, prêt à lui faire un coup de grâce. Le garçon se met en position foetale.

Tout à coup, Ris se met devant lui et pare l’attaque de la statue. Il tombe lui-aussi, à cause de la force impressionnante du guerrier de pierre, et atterrit à côté de son frère. La statue lève son pied et il esquive son coup de pied. Fendri se lève et s’éloigne pour regarder le combat.

Ris passe son temps à esquiver les attaques de la statue. Il cherche un point faible... Mais où la trouver ? Fendri ne sait pas comment l’aider car il se sent inutile avec sa dague. En plus, comment blesser un ennemi en pierre ? Soudain, il aperçoit dans le trou quelque chose, qui ressemble à un cœur, sauf qu’il brille comme de la lave.

  • Touche-le ! crie Fendri.
  • Mais où veux-tu que je touche cette chose ?! Je vais casser mon arme, sinon !
  • Mais non ! Touche à...

Soudain, il reçoit un coup de pied sur le ventre. Son dos heurte le sol. Fendri se sent, tout comme Ris, impuissant. La statue lève son épée. Non... Il ne peut pas perdre son frère. Pas comme ça... Hors de question que cette chose le tue !

Le taux d’adrénaline montant d’un cran, il fonce droit sur elle. Son cœur brûle d’envie de le casser en mille morceaux. Oh oui ! Il a bien envie de lui donner une bonne leçon ! De lui apprendre qu’il ne faut jamais faire du mal à son grand frère devant lui !

  • Laisse-le tranquille ! hurle-t-il, fou de rage.

La statue baisse un peu son arme, confus, et ne voit pas arriver l’enfant bondir derrière elle. Il s’accroche à son cou. Elle lâche son arme en essayant de le dégager, mais le petit, aussi furax que jamais, s’entête à rester comme une sangsue. Fendri trouve le cœur et plante sa dague.

Le guerrier pousse un cri aigu, strident. Du liquide gris argenté coule du trou. Indifférent de sa souffrance, Fendri donne un deuxième coup, puis un troisième, un quatrième... Il se donne à cœur joie en défoulant toute sa colère, toute la rage qu’il a.

Enfin, la statue arrête de crier et tombe sur ses genoux. Fendri descend avant qu’elle chute avec lui. Un lourd choc fait trembler la terre.

Immobiles, Ris et Fendri observent le corps de pierre, qui baigne dans une mare de sang argenté. Ils entendent seulement leurs cœurs se battre. Ils craignent qu’il se relève, mais rien ne se passe. La chose est aussi immobile qu’une statue. Tout à coup, son corps s’érode, jusqu’à devenir un tas de gravats, laissant seulement deux billes en bronze servant de yeux et un cœur gris intacts.

Fendri s’approche de cet organe étrange. Il ressemble vraiment à un cœur humain, sauf par sa couleur métallique. Il s’agenouille et avec beaucoup d’hésitation, le touche avec son doigt. La texture est aussi lisse qu’un muscle, mais elle est aussi brûlante qu’un feu. C'est pourquoi il éloigne vite sa main. Le liquide qui sort des veines et des artères se solidifie.

Ris s’approche tout doucement de lui, qui murmure :

  • Je l’ai tuée...
  • Ne t’en fais pas : elle n’est pas humaine.
  • J’ai tué un homme de pierre ! Je n'arrive pas à y croire!

Il écrase le cœur gris en déchainant toute sa colère.

  • Tiens ! Prends ça !

Il remarque l’épée avec quoi la statue utilisait. Elle se tient devant lui. La pierre du pommeau brille d’une douce lueur orange. Il s'approche de l’arme. Il se sent une attraction étrange lié entre l’épée et lui. Des murmures, douces mais incompréhensibles, pénètrent dans son esprit. Il se laisse transporter par ces voix étrangères. Elle l’appelle.

  • Fendri ? Qu’est-ce que tu fous ? Ne t’approche pas de cette chose ! Si ça se trouve, elle est maléfique !
  • Pourquoi ? Il faut bien que nous nous défendions contre tous les monstres que nous croiserons !
  • Non, c’est hors de...

Soudain, têtu comme il est, Fendri saisit l’épée. Il ressent subitement des maux de tête aigus, et tombe à genoux en mettant une main sur la tempe, sans lâcher l’arme de l’autre. Ris se précipite sur lui à son secours. Il arrache l'épée de sa main et en ressentant une vive brûlure dans sa main, il la lâche tout de suite. Il observe la paume de sa main tremblante : elle est rouge, toute l’épiderme et une partie du derme ont disparu, laissant une surface d’aspect rose et rugueuse. Il pleure toutes les larmes de son corps en poussant un cri étouffé.

Pendant ce temps, Fendri, l’air perdu, est en train de se remettre de l'expérience qu'il vient de vivre. Il voit son frère pleurer. Il se lève, s’approche de lui, pose sa main sur son épaule et questionne :

  • Ris, est-ce que ça va ?
  • Est-ce que ça va ?! Bien sûr que non ! Regarde ce que ton épée a fait de mes mains ! hurle-t-il en les tendant vers lui, rouge de colère.
  • Oh... Désolé..., dit-il, honteux, les larmes aux yeux.
  • Eh ben, tu peux être désolé ! Quand je te dis quelque chose, tu obéis, c’est bien compris ?! Montre-moi tes mains !

Fendri exécute. Ris observe chaque centimètre de ses petites mains avant de conclure qu’il n’a rien. Soulagé, il dit :

  • Ouf ! T’as eu chaud ! Mais tu aurais pu te faire tuer !
  • Pourtant, je suis encore vivant... Sans égratignure...
  • Heureusement pour toi ! Maintenant, ne touche plus à rien ! Qu’on laisse cette maudite arme ici !
  • T'as raison... Désolé encore pour tes mains...
  • Tu peux être désolé ! Suis-moi !

Ris se retourne et poursuit son chemin. Fendri le suit, sur le point de brûler. Il se sent tellement coupable de lui avoir infligé cela qu’il ne dit plus rien. Quant à Ris, il avait tellement peur pour son frère qu’il est parti dans l’hystérie. Bien sûr qu’il est soulagé qu’il n’ait rien mais il est encore en colère pour son caractère têtu. Il n’obéit jamais et n’a jamais conscience du danger. Tellement qu’il risque sa propre vie ! Il aimerait qu’un jour, Fendri change afin qu’il ne soit plus inquiet pour lui.

Une question se pose dans son esprit : comment cela se fait-il que Fendri n’ait rien en touchant l’arme ?

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