Chapitre 8

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 Théo était reconnaissant d’avoir Thomas dans sa vie. Quand son silence l’emmerdait quelques semaines plus tôt parce qu’il aurait dû être de son côté, désormais il lui faisait du bien. Il ne voulait pas entendre quelqu’un lui dire que Clara ne le méritait pas ou il ne savait quelles conneries.

 Il ne savait même pas s’il venait de vivre une rupture ou simplement une dispute qui précédait la rupture qu'elle lui annonçait. Et il n’aimait pas rester dans le flou.

 La soirée passa comme dans un brouillard. Thomas resta avec lui mais Théo était loin, loin dans ses souvenirs et ses pensées.

 Clara avait toujours été sèche, directe mais imprévisible. Il savait. Il la connaissait. Ou la connaissait-il vraiment ?

 Thomas dormit avec lui et Théo ne savait pas comment le remercier de rester toujours avec lui. Il n’aurait probablement pas géré seul. Ses pensées ne tournaient qu’autour d’elle. Clara, Clara, Clara, seulement Clara. Clara et ses sourires, Clara et ses mots durs, les deux s’associaient et se dissociaient et il ne savait plus où il en était.

 Thomas mena une bonne mission de changement d’air sur Théo en lui volant tout son temps libre, que ce soit en sortant avec leurs potes, en l’emmenant courir tôt le matin (la reprise allait être difficile, Théo aurait dû s’entraîner mais il l’avait trop peu fait), en passant le jeudi complet à alterner entre jeux et films…

 Il continuait d’envoyer des messages à Clara, tentait parfois de l’appeler, mais il n’obtenait pas de réponse. Il se disait qu’il irait la voir le week-end, qu’ils pourraient en parler calmement… Mais le samedi en fin de matinée alors qu’il se préparait et qu’il prenait son portable en vue d’envoyer un message à Clara, il fut attiré par une nouvelle notification. Clara. Il avait presque peur de ce qu’il allait y trouver…

 Il ouvrit le message. Et l’air lui manqua.

Clara – 27/08 – 11h47

 Hello,

 Je viens de prendre mon train pour Bordeaux. Je récupère mes affaires chez mon père et je pars pour Nantes demain. Mes cours vont commencer lundi (c’est une semaine de remise à niveau de certains concepts).

 Tu as le droit de m’en vouloir. Notre relation n’était ni juste ni bonne. Je te souhaite de trouver ton bonheur et d’apprendre à penser à toi. Moi, j’ai besoin de réapprendre à vivre, j’attends de respirer à nouveau.

 Passe le bonjour à Camélia.

 Clara, Clara, Clara… Tellement injuste.

 Il s’assit sur son lit, relisant le message une deuxième puis une troisième fois. Enfin, ses doigts s’activèrent.

Théo – 27/08 – 11h54

 Ça veut dire que c’est fini ? On ne se parlera plus ? Tu ne nous laisses même pas l’occasion de finir sur une note plus positive que mardi ?

 Sa petite tête apparut, signifiant qu’elle avait vu le message.

Théo – 27/08 – 11h56

 Est-ce qu’on pourra s’appeler ?

 Sa tête descendit. Pas de petits points, pas de réponse. Rien. Evidemment.

 Il inspira fortement et expira lentement en baissant la tête. Son portable glissa de ses mains et vint s’écraser au sol. Comment arrivait-il à rester si calme ? Il n’était pas surpris.

 Parce qu’il aurait dû le savoir. Il l’avait déjà vécu. Quand, en 2018, elle avait arrêté d’aller chez ses grands-parents pour les vacances, quand il avait arrêté d’avoir des nouvelles d’elle de façon abrupte sans explication aucune. Il avait attendu un message. Un signe, n’importe quoi. Il l’avait inondée de messages. Jamais il n’avait reçu de réponse. Il avait fini par se faire une raison, supprimer son numéro, la détester, il y avait tellement de gens qui l’aimaient, il n’avait pas besoin d’elle après tout. Il avait passé deux semaines à s’acharner, jusqu’à ce que ses parents l’emmènent chez les grands-parents de Clara qui n’avaient pas dit grand-chose. C’est difficile à la maison… Tu sais que sa maman était malade ? Ils se reconstruisent avec son père, elle ne viendra plus avant un moment… Et c’était tout. Il n’avait que le droit d’accepter et de la fermer. Deux semaines de plus et il l’avait repoussée loin dans sa mémoire. Loin. Mais elle était revenue au début de cet été, toujours aussi franche et intéressante, encore plus belle qu’avant. Elle était revenue et il avait cru que c’était un signe. Mais août touchait bientôt à sa fin et se teintait de noir, il revivait la même chose. La vie lui permettait-elle d’apprendre la leçon qu’il n’avait pas apprise la fois précédente ? Quelle leçon devait-il en tirer ? Il ne savait toujours pas. Quand il l’avait revue, seul le souvenir de cette enfant diablement franche et intéressante était revenu. Il avait préféré oublier la fin. Sa mère était morte après tout, c’était une explication suffisante pour s’effacer de la vie. Il ne savait comment il réagirait si ça lui arrivait…

 Quand même, s’il s’était attendu à un départ identique… Un message, c’était tout ce à quoi il avait droit. Puis, un silence pesant. Il savait déjà qu’il ne tarderait pas à se rendre chez les grands-parents, peut-être cette fois aurait-il droit à davantage d’explications ou au moins un peu plus de compassion.

 Il aurait dû s’y préparer… Il aurait dû y penser, se le rappeler tout au long de l’été. C’était naïf de penser qu’elle changerait d’avis. Clara ne changeait jamais d’avis. Est-ce qu’il aurait été moins blessé s’il y avait pensé chaque jour de son été ? Aurait-il réussi à profiter de son été ? Enfin, avait-il profité ? Entre ses amis qui lui tapaient sur le système, sa peur de la rentrée, ses parents désintéressés, Clara et ses inconstances, il n’était pas sûr d’avoir bien profité… Il ne gardait en tête que le goût de petit beurre des lèvres de Clara après cette soirée à la plage et son rire qui résonnait si peu… Oui, c’est tout ce qu’il devait retenir. Que pouvait-il faire si elle ne le laissait pas s’approcher ?

 Il voulait, il voulait y faire quelque chose. Les choses n’étaient pas à leur place et c’était insupportable. Mais il savait qu’il ne pouvait rien faire et il en avait assez de ne pas se faire respecter… C’était un vrai débat interne entre son cœur et sa tête.

 Ce n’est que le soir qu’il s’effondra, quand Thomas fut rentré chez lui. Au fond de son lit à 21 heures, il fixait son plafond en réfléchissant mais il avait perdu le fil de ses pensées. Le silence et l’absence de vie devenait pesant mais il n’avait pas la force de bouger. Clara était sûrement en train de cocher sa liste de choses à emmener au fur et à mesure qu’elle récupérait ce dont elle avait besoin chez son père. Pensait-elle à lui ? Regrettait-elle au moins un peu ? Comment arrivait-elle à le laisser sans réponse comme ça ? Combien de temps avant qu’il l’oublie à nouveau ? Il avait bien réussi une fois, pourquoi pas deux ? Son cœur pouvait bien passer en hibernation une nouvelle fois, non ?

 Le lendemain, il fut une nouvelle fois reconnaissant d’être bien entouré quand Camélia se présenta à sa porte.

 — Toi là ! s’exclama-t-elle en plantant son index dans le torse de Théo. Je ne laisserai pas une glace me passer sous le nez comme ça, qu’est-ce que t’as cru ?

 Ça faisait plaisir à Théo de la voir regagner du poil de la bête comme ça. Après tout, chacun son tour. Un sourire fleurit sur ses lèvres mais Camélia abandonna vite sa véhémence.

 — Il s’est passé quelque chose ?

 Elle pencha la tête sur le côté et fit un tour autour de lui.

 — Tes cheveux sont encore plus en bordel que d’habitude et je t’ai rarement vu avec des cernes comme ça…

 Il soupira et se décala pour qu’elle entre et qu’il puisse fermer la porte sur le soleil qui tapait déjà fort.

 — Clara…

 — Encore ?!

 — Elle te passe le bonjour, soupira-t-il.

 — Qu’est-ce que ça veut dire ?

 Après l’explication en règle et un passage par leur conversation pour que Camélia voit de quoi il en retournait, elle s’énervait seule après les murs et Théo la regardait faire en silence.

 — Lâche l’affaire, Cami… J’aurais dû le savoir…

 — Mais c’est pas une raison ! On fait pas ça ! Ce manque de respect, j’y crois pas !

 — Je peux rien y faire de toute façon…

 — Tu veux que je t’emmène voir ses grands-parents ?

 Il lui sourit. Il se sentait bien plus plein d’énergie que la veille, il se nourrissait de l’énergie des autres.

 — Tu lis dans mes pensées. Viens, on va manger dehors, je t’achète ta glace et on y va.

 C’est ainsi qu’ils se retrouvèrent chez les grands-parents de Clara une heure et quelques plus tard.

 Angélique ne fut pas surprise quand elle leur ouvrit la porte.

 — Je me doutais que tu ne tarderais pas. J’ai fait un brownie. Entrez, les enfants. Tu dois être Camélia ?

 — Oui. Enchantée.

 Ils la suivirent dans la cuisine où elle leur servit un jus de fruit et du brownie.

 — Clara t’a parlé ? demanda Angélique d’entrée de jeu.

 Théo but une gorgée et prit un morceau du brownie. Il fondait sous la langue.

 — J’ai eu droit à un message cette fois. Alors qu’on s’est engueulé la dernière fois qu’on s’est vu.

 Il soupira.

 — Angélique, je crois que je ne la comprends pas…

 — On ne peut pas toujours comprendre les gens, même ceux qu’on pense connaître par cœur… Tu sais, elle est partie sans nous dire grand-chose. Elle veut découvrir la vie, loin de tout ce qui lui rappelle sa mère et toute la souffrance qui entoure son adolescence…

 — Vous paraissez soucieuse, intervint Camélia.

 — Je le suis, mon enfant, je le suis. Elle est partie en laissant bien comprendre qu’elle ne voulait plus aucun contact… Je ne suis pas encore si vieille mais mon temps est compté. La vie m’a enlevée ma fille donc si elle pouvait ne pas m’enlever ma petite fille aussi…

 — Elle n’a pas changé d’avis sur la thérapie ? demanda Théo.

 — Je lui ai donné le contact d’un bon psy. J’espère qu’elle ira mais ça ne peut venir que d’elle. C’est ce qui est dur : on peut orienter mais pas faire à sa place. Et maintenant qu’elle part, on ne peut qu’espérer qu’elle trouvera la paix avec elle-même…

 Le silence s’installa. Théo laissait fondre le brownie miette par miette et il sentait le regard de Camélia peser sur lui. L’abondance de beurre du gâteau l’écœurait. Il ne savait plus quoi dire. Y avait-il encore quelque chose à dire ? Elle était partie, elle avait choisi de les laisser derrière, c’était tout. Qui étaient-ils pour l’empêcher de prendre son envol ? Après tout, Clara avait raison, il fallait qu’ils se concentrent sur leurs propres chemins, eux aussi, tout comme elle le faisait. Il grimaça. C’était une chose de le penser, une autre de l’accepter.

 — Quand je pense qu’elle va se retrouver complètement seule, soupira Angélique. Elle ne choisit pas les changements les plus faciles…

 — Ça a l’air plus simple pour elle de repartir de 0 que de gérer ce qu’elle connaît déjà, remarqua Camélia.

 — Certaines choses blessent trop profondément…

 — Ce n’est pas une chose en particulier, corrigea Théo. Elle ne m’en a pas beaucoup parlé mais je crois qu’il y a beaucoup de choses à démêler qui se sont construites les unes sur les autres…

 — Bon, intervint Angélique, arrêtons d’en parler comme si elle n’existait plus. Elle reviendra.

 — Jamais deux sans trois, sourit Théo.

 Camélia et Angélique lui sourirent, indulgentes.

 — Elle t’a laissé un mot dans sa chambre. Et Etienne est dans le jardin, il sera content de vous donner des melons à emmener.

 — Dans le jardin à cette heure-là ?! s’indigna Camélia. J’espère qu’il porte une casquette et qu’il a de l’eau.

 Angélique haussa les épaules. Elle avait abandonné depuis longtemps à essayer de le raisonner.

 Théo finit son verre de jus et monta les escaliers, suivi par Camélia.

 La chambre était telle qu’il l’avait vue avant que Clara ne parte, la valise dans le coin en moins. Si ses souvenirs n’étaient pas si frais, il aurait pu penser que personne n’avait dormi ici depuis des mois.

 — T’es sûr qu’elle dormait ici ? demanda Camélia.

 — Oui.

 — Elle n’a rien touché ou alors ses grands-parents sont maniaques au possible…

 — Elle ne s’est jamais vraiment installée.

 — Alors ça ne date pas d’hier son envie de partir, dit Camélia en s’approchant du bureau. Tiens, elle a quand même laissé un bonnet.

 Elle marqua une pause pendant que Théo s’approchait.

 — Un bonnet en été ? reprit-elle.

 — C’est Clara, soupira-t-il.

 — On dirait une fatalité. Et t’expliques tous ses comportements avec ça… Si c’est Clara, alors c’est bon, c’est ça ?

 — On parle juste d’un bonnet là ?

 — Oui, mais c’est pareil pour tout le reste. Elle est partie comme ça mais c’est Clara alors c’est normal. Et hop, pardonnée ?

 Théo ne répondit pas tout de suite. Le bonnet était gris et en laine. Il le connaissait, c’était celui qu’elle avait porté tous les hivers qu’ils avaient passés ensemble.

 — C’est pas ça. C’est juste qu’on aurait dû s’y attendre, parce qu’elle est comme ça. Ça veut pas dire que je l’accepte et que je lui pardonne…

 — N’empêche que si elle revenait vers toi dans deux semaines, tu ne dirais rien, j’ai tort ?

 Son absence de réponse fut assez éloquente.

 — C’est déjà ce qu’il se passait avant que sa mère ne meure, non ?

 — Comment ça ? s’étonna Théo.

 — Je vois… soupira Camélia. Chaque fois qu’elle venait en vacances, t’étais heureux comme tout mais, en vrai, à chaque fin de vacances tu n’avais plus aucune nouvelle jusqu’aux vacances suivantes, j’ai tort ?

 — Et c’est grave ? On était des amis de vacances, je savais que je la verrais aux vacances suivantes.

 — Ne fais pas celui qui ne voulait pas plus. Je sais que chaque fois tu as essayé de la contacter et qu’elle ne t’a jamais répondu. Et chaque fois tu lui as demandé quand elle revenait que vous gardiez contact, elle ne te répondait pas. Chaque fois, tu étais malheureux comme tout et chaque fois quand elle revenait tu retrouvais le sourire. Franchement, je te connais, Théo, et je t’ai vu toutes ces années être obsédé par cette fille… J’ai espéré que ça aille mieux cet été, vous avez tous les deux grandi. Mais je vois qu’elle n’a pas changé, au contraire, dit-elle l’air dégoûté. Dommage, en discutant avec elle, j’ai découvert qu’elle pouvait être intéressante.

 — J’étais un gosse, mes réactions étaient exagérées et je pense que tes souvenirs le sont aussi…

 Il se rappelait l’attente, l’attente des vacances, l’attente de la retrouver. Il se rappelait la joie de la revoir. Mais il avait effacé les périodes de creux, il ne se rappelait pas la douleur, la douleur de la séparation et la douleur de l’incertitude.

 — Oh non ! Tu as juste la mémoire courte.

 — Tu parles comme ta mère, souffla Théo.

 — Avec toi, il faut bien ça.

 — Tu exagères.

 — Non, Théo. Et j’aimerais bien que tu réalises que Clara est très égoïste et que tu te laisses manipuler et tu te plies à elle.

 — Regarde avec Luc, contra-t-il. J’ai su arrêter quand ça n’allait pas.

 — Tu ne connaissais pas Luc avant. Mais ça fait longtemps que Clara a cette emprise sur toi. Je ne pense pas qu’elle le fasse exprès d’ailleurs, contrairement à Luc. Ce n’est pas pareil. Avec Clara, c’est ancré en toi…

 Il secoua la tête, refusant de la croire.

 — Tu y réfléchiras. Maintenant, tu étais censé avoir un mot quelque part.

 Théo, le bonnet dans les mains, lança un regard au bureau. Tout y était parfaitement rangé. Alors, il fit la seule chose qu’il pensait sensée : il retourna le bonnet et il en tomba un petit papier replié au maximum.

 Camélia s’allongea sur le lit.

Je te laisse mon bonnet fétiche. Il porte trop de souvenirs pour moi et te permettra de garder un bout de moi.

 Il le lut à voix haute pour Camélia.

 — Elle te connaît bien, remarqua-t-elle.

 — Mmh… Tu crois que ça veut dire qu’elle compte revenir ? Je l’avais presque oubliée avant cet été, peut-être qu’elle a peur que je l’oublie à nouveau et qu’elle compte revenir.

 — Théo Théo Théo… S’il te plait, range-moi cet espoir. Tu pourras exposer ton trophée dans ta chambre et ne jamais t’en remettre mais n’espère pas son retour… Je veux dire-

 Théo ne l’écoutait plus. Cami le ramenait toujours sur Terre mais c’était dur. Il retourna le petit bout de papier.

Il est temps d’avancer.

 Un soleil était dessiné à côté de ces mots et son cœur s’accéléra malgré lui.

 — Elle dit ça pour elle ou pour toi ? s’agaça Camélia. En même temps, elle n’a pas tort.

 Finalement, le soir, quand Camélia fut parti et qu’il se retrouva seul chez lui, il pensa : J’ai donné trop d’importance à Clara. Maintenant, j’ai l’impression que rien ne pourra combler le vide béant qu’elle a laissé en partant.

 Ses parents étaient là ce soir-là, évitant à Théo de se retrouver seul.

 — Quand est-ce que tu finis à l’épicerie déjà ? demanda son père.

 — Le 2.

 — Ok, j’avais bien retenu alors. Ta mère et moi avons posé quelques jours du 5 au 8, on ira voir Papy à Toulouse, tu viens ?

 Quelques jours avec ses parents, pour voir son papy qu’il voyait très peu, alors qu’il n’avait rien de prévu à ce moment-là ? C’était parfait.

 — Oui !

 — Parfait.

 Il était bien entouré, suffisamment pour se tenir occupé et éviter de trop ressasser le souvenir de Clara. Après tout, il ne savait pas quand il la reverrait. Mais, comme il l’avait dit à Angélique : jamais deux sans trois. Camélia pouvait dire ce qu’elle voulait, il y croyait. Peu importait que ça le blesse ou non. Au contraire, ça l’aidait à accepter. C’était un premier pas.

Thomas – 28/08 – 22h01

 Tu viens à la soirée mercredi ?

 Théo – 28/08 – 22h02

 Quelle soirée ?

 Thomas – 28/08 – 22h02

 Ah !

 Thomas – 28/08 – 22h02

 Celle de Boris

 Thomas – 28/08 – 22h03

 Soirée de fin d’été, comme d’hab, l’occaz de tous se voir avant les études

 Théo – 28/08 – 22h04

 Et pourquoi j’étais pas au courant ?

 Thomas – 28/08 – 22h04

 Maintenant, tu l’es…

 Théo – 28/08 – 22h07

 T’es libre mardi ? On se fait une rando ?

 Thomas – 28/08 – 22h08

 Chaud

 Théo – 28/08 – 22h09

 On en parlera à ce moment-là…

 Thomas – 28/08 – 22h09

 Te prends pas la tête avec ça

 Théo – 28/08 – 22h09

 Mouais

 Il n’avait pas besoin de ça. Enfin, il se doutait que quelque chose n’allait pas avec ses potes. Il n’était pas sûr de comprendre.

 Le mardi, avant de parler de ce sujet, alors qu’ils commençaient tout juste leur randonnée, Théo dut d’abord relater l’histoire avec Clara à Thomas. Contrairement à l’indignation de Camélia, lui resta neutre tout du long, hochant simplement la tête de temps en temps. Il ne fit pas de commentaire et Théo lui en fut reconnaissant.

 — Bon, et alors, qu’est-ce que j’ai fait pour qu’on me boude ? demanda Théo.

 Thomas soupira.

 — On ne te boude pas…

 — A d’autres ! C’était déjà tendu avec Alex, l’autre jour il a sous-entendu que j’étais pas un vrai pote, t’y crois toi ?

 Thomas haussa les épaules en guise de réponse. Ils progressaient rapidement sur le chemin caillouteux, donnant peu d’attention au paysage les entourant.

 — Non mais vraiment, qu’est-ce que j’ai fait ?

 — Mec, soupira Thomas, tu viens quasiment plus en soirée ni en sortie, t’étais toujours avec Clara alors qu’avant t’étais le premier à organiser des trucs pour le groupe, l’autre jour on t’a proposé un accrobranche, un putain d’accrobranche et t’es pas venu alors qu’il y a pas meilleur singe que toi, genre ! Même le sport, d’habitude tu continues d’en faire super régulièrement l’été, là à part prendre ton vélo pour aller voir Clara, je t’ai pas vu faire grand-chose… T’adores le sport, t’adores sortir, et finalement je crois que tu aimes un peu trop Clara et que tu en as oublié que le reste existait.

 — Mec t’exagères, souffla Théo. Je viens toujours à la majorité des soirées, et le vélo c’est du sport et j’en ai fait plus que les autres années donc forcément je ressens moins le besoin de faire autre chose…

 Thomas secoua la tête, peiné.

 — Tu ne t’en rends pas compte. T’as même pas été à la fête foraine ni à l’anniversaire de Zoé.

 — Zoé ? On n’est même pas proches !

 — Mais tu vas toujours à l’anniversaire de Zoé !

 — Oui ben y a des choses qui changent, tu devrais le savoir, toi.

 — Moi je le sais, parce que je te vois. Pas les autres.

 — Déso, répondit Théo, je t’agresse alors que t’y es pour rien.

 Au contraire, il aurait dû être reconnaissant que Thomas sorte de sa zone de confort pour lui dire les choses.

 Une fois au sommet, ils s’assirent tous deux, un peu essoufflés.

 — J’avoue, va falloir que je me remette plus sérieusement au sport.

 — Y a la course de Saint Gély le 11 septembre, faut que tu reprennes vite. La coach va en parler dimanche quand on va reprendre. Et tu vas te faire démonter de pas avoir fait les exercices demandés…

 — J’en ai fait les trois quarts !

 — Sans moi ! s’exclama Thomas, faisant mine de défaillir.

 — Sans toi, confirma Théo en souriant sadiquement.

 Quand même, il rumina les paroles de Thomas. Avait-il été si absent ou passait-il 100% de son temps avec ses potes avant ?

 — Vous allez être contents, reprit-il d’un ton amer, maintenant que Clara n’est plus là je vais être plus présent.

 — Théo… Je t’en veux pas, tu sais ? Je parie que t’as passé un été plus intéressant qu’Alex, rit-il. C’est surtout que les autres ne savent rien de ce qu’il se passe dans ta vie.

 Théo hocha la tête.

 — Je prends note.

 — Sinon, j’ai passé une aprem avec Luc l’autre jour, dit Thomas, l’air de rien.

 Théo fit mine d’être intéressé mais parler de Luc était bien la dernière chose dont il avait envie.

 — Il était comme d’hab, mais je crois qu’il n’a pas trop compris ce qu’il s’était passé entre vous, il n’a pas l’impression d’avoir fait grand-chose.

 Un rictus prit place sur les lèvres de Théo.

 — Il n’y a pas grand-chose à comprendre, qu’il lâche l’affaire.

 — Il n’est pas si détestable que ça, soupira Thomas. En tout cas en tant que pote.

 — Pourquoi tu prends sa défense ? demanda Théo, offensé.

 Thomas fronça les sourcils, l’air de réfléchir.

 — J’en sais rien, désolé.

 — Et si on ne parlait plus de Luc ? Je parle pas de bannir son nom mais juste je veux pas parler de lui et moi, il n’y a plus rien à en dire, j’aimerais mieux oublier, dit Théo avec un petit sourire.

 Thomas hocha la tête et ils se relevèrent pour continuer leur randonnée, un peu plus concentrés sur ce qui les entouraient mais un peu trop habitués au paysage pour s’en émerveiller.

 Quand ils arrivèrent près de la voiture, Théo prit son portable pour envoyer un message à Boris :

Théo – 30/08 – 18h28

 Thomas m’a prévenu pour demain, je serai là, préparez-vous à mon grand retour !

 Boris – 30/08 – 18h30

 Le retour du roi, j’aime

 Un sourire fleurit sur le visage de Théo. Ses potes n’attendaient pas la lune de lui, simplement qu’il soit présent et qu’il leur parle. A quand remontait sa dernière vraie conversation avec un autre que Thomas ?

***

 Théo arriva vers 18 heures chez Boris, il avait pu terminer plus tôt à l’épicerie. Le groupe habituel était posé sur la terrasse avec des bières, les autres arriveraient plus tard.

 — Regardez, un revenant, dit Alex quand Théo se pointa au niveau de la baie vitrée.

 — Salut tout le monde, salua-t-il accompagné d’un geste de la main.

 Thomas se tenait juste derrière Théo et s’exclama, les bras levés :

 — Acclamez le retour de notre roi ! Inclinez-vous devant sa présence ! Soyez prêts à être stupéfiés par sa grandeur !

 Boris entra dans son jeu et Théo rit de les voir si enthousiastes. Alex, de son côté, tirait la tête. Les autres souriaient simplement. Tout n’était pas si terrible. Il y avait toujours de la lumière quelque part.

 — J’ai une surprise pour toi, déclara Thomas en abattant ses mains sur les épaules de Théo.

 — Ah oui ?

 — D’ailleurs ça m’étonne que tu n’aies pas paniqué par rapport à l’appart…

 — J’avais la tête ailleurs, avoua Théo.

 — Ça, on l’avait remarqué, attaqua Alex, la tête bien cachée entre deux jambes.

 — Alex, menaça Boris, pas de ça dans ma soirée. On est là pour célébrer.

 — Célébreeeer la viiiie, chantonna Thomas. Eeeeet, roulement de tambouuuurs, célébrer la petite trouvaille de notre coloc sur Lyon !

 — Mais non ? s’exclama Théo en se retournant. On a un appart ?

 — Eh oui, pour deux, quartier Jean Macé, on va pouvoir faire un joli cadeau à mes cousins qui ont dégoté ça.

 Théo en avait complètement oublié la rentrée qui allait arriver deux semaines plus tard. La course, la rentrée, ses potes… Thomas avait peut-être raison, il avait passé beaucoup trop de temps avec Clara, toute son attention était sur elle et il avait mis sa vie sur pause. Même la musique, il avait repris la basse certes, mais ça faisait bien longtemps qu’il n’avait pas pris un après-midi entier pour jouer ou composer quelque chose – à part pour son entretien.

 La sonnette le tira de ses pensées. Les autres étaient en train d’arriver pour la soirée. Laissant de côté ses pensées moroses, il se leva pour les saluer, se promettant de rattraper en une soirée toutes celles auxquelles il n’avait pas participé. Camélia avait raison, ne pas faire les choses bien, c’était souvent rattrapable à son échelle. Sauf en amour, déduisit-il. Quoique ?

 Lorsque 21 heures sonna, ils levèrent tous leur verre (leurs verres pour certains) pour célébrer la fin de l’été. Les rires fusaient de tous côtés et Théo se sentait à la fois très heureux, à sa place, et à la fois comme un étranger en terre nouvelle. Mais comme tout le monde – ou presque – s’amusait, l’étrange sentiment finit par disparaître et il se mit vite, lui aussi, à danser, son verre au-dessus de sa tête, riant aux éclats.

 Quelques verres plus tard, il se sentait plus léger. Autour de lui, tout le monde l’acclamait alors qu’il tentait de se concentrer pour viser ce foutu verre avec sa balle de ping-pong. Voilà quatre fois qu’il ratait, il ne pouvait se permettre de continuer de rater, il avait une réputation à tenir. Ou plutôt à reconquérir.

 La balle rebondit sur le bord et il mima de s’effondrer sur la table de manière dramatique.

 — Attention le verre !

 Il se redressa tout sourire.

 — Je l’ai esquivé !

 Quelqu’un le bouscula et il se retourna pour trouver Alex, la main tendue, qui demandait la balle.

 — Je vais te montrer comment on fait, je crois que tu vois flou.

 Théo prit sur lui pour ne pas l’envoyer chier. N’empêche qu’il avait raison, il voyait un peu flou.

 Alex mit la balle du premier coup et les applaudissements furent bientôt plus forts que la musique.

 — Je m’incline, admit Théo.

 Puis, il ajouta :

 — Pour l’instant.

 Quelques verres de plus et il faisait moins le malin, tenant à peine sur ses jambes. Ce fut Thomas qui dût le retenir pour ne pas qu’il se fasse mal lorsqu’il s’effondra dans l’herbe. Ils étaient à part des autres qui riaient toujours un peu trop fort plus loin.

 — Mec, t’as trop bu, vas-y mollo.

 — Même qu’avant je tenais mieux que ça…

 — Je suis pas sûr de ça… Et puis t’as pas bu beaucoup à part à ta soirée.

 Théo eut un hoquet.

 — Ça me réussit pas…

 — Ça réussit à personne t’inquiète.

 — En plus, Alex il a gagné.

 — Hein ?

 — Alex il a gagné.

 Thomas n’insista pas pour comprendre.

 — Tu gagneras la prochaine fois.

 — Tu crois que Clara elle est forte au bière-pong ?

 — Euh… J’en sais rien ?

 — Clara elle boit pas, elle.

 — D’accord ?

 — T’façon, Clara elle est trop forte.

 — Ah oui ?

 — Et elle est trop maligne.

 — Mmh mmh…

 — Peut-être que je suis trop con pour elle.

 — Dis pas des conneries comme ça. Et redresse-toi, tu vas pas être bien après.

 — J’ai la tête qui tourne.

 — Putain, quel enfant…

 — Mais Clara elle est trop belle.

 — Oui oui, soupira Thomas. Allez, tourne-toi sur le côté au moins.

 — Ça fait mal au ventre.

 — Mais ferme là un peu.

 — Tu t’énerves jamais sur moi d’habitude…

 — Je m’énerve jamais tout court mais là tu fais l’enfant.

 — Tu veux pas d’enfants plus tard ?

 — Putain Théo, je suis pas ta go !

 — Je suis sûr que je serai plus heureux avec toi qu’avec Clara t’façon.

 — Oh c’est pas vrai, s’agaça-t-il. Je suis toujours hétéro alors détends-toi, et si tu veux vomir tu vas plus loin, ok ?

 — T’es pas gentil avec moi.

 — Putain, je sais pas si je t’ai déjà vu dans un état pareil…

 — Oh, Alex a dit qu’il avait amené du bon rhum, je l’ai pas goûté !

 Il se leva brusquement mais un haut-de-cœur le fit se courber en avant.

 — Putain, arrête de gigoter, tu vas pas boire maintenant, t’as vu comment t’es mal déjà ?

 — J’ai envie de vomir. Mais ça va.

 — Non. Est-ce que tu t’es mis une mine pour ne pas penser à Clara ?

 — C’est qui Clara ?

 — Joue pas au con.

 — Pourquoi t’es sérieux ? Et pourquoi t’es en triple ?

 Thomas se massa les tempes.

 — Je perds patience. T’es dans un sacré état, viens, on va te trouver un matelas.

 — Tu dors avec moi ?

 — Si tu veux, céda Thomas.

 Le lendemain, Théo mit longtemps à émerger mais, quand ce fut le cas, il regretta de ne pas avoir dormi davantage. Tout plutôt que se rappeler des bribes de la soirée tout en sentant son corps en miettes. Son sang pulsait dans ses tempes et il avait l’impression que le moindre mouvement pourrait le faire vomir.

C’est donc pour ça que je ne voulais plus boire autant que le 1er juillet, pensa-t-il. Et après toutes les soirées suivantes aussi. Il tourna la tête vers l’autre côté du lit où Thomas était allongé, les yeux déjà sur son portable. Les volets avaient été fermés et la maison était calme. Thomas, encore une fois, s’était occupé de lui. Il était là, toujours là, évidemment qu’il commençait à en avoir marre, Théo ne faisait pas d’effort, finirait-il par partir un jour ? Ce serait pire que le départ de Clara.

 — Chalut, dit Théo la bouche pâteuse.

 Thomas tourna la tête pour le regarder, ne répondit pas et se reconcentra sur son portable.

 Théo retourna le regard vers le plafond, avoir la tête tournée lui donnait des nausées.

 — Désolé. J’étais chiant hier, je crois.

 — Mmh mmh.

 Il soupira. Ils parleraient plus tard. Théo allait devoir parler à beaucoup de personnes.

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