3

4 minutes de lecture

Courant sous un déluge de pluie et de vent, Brunilde et Ambroise ne voyaient rien en dehors de leurs semelles rebondissant sur le pavé. Une minute avait suffi pour imbiber leurs manteaux légers et l'eau ruisselait dans leur cou. La maison n'avait jamais paru aussi loin. Brunilde tentait de maîtriser sa peur, elle se répétait comme un mantra qu'ils seraient bientôt en sécurité.
Ambroise s'arrêta net, quelque chose clochait.
_ Brunilde, regarde la pluie... Elle n'est pas de la bonne couleur...
Brunilde dont le cœur tambourinait contre sa poitrine, n'avait pas vraiment envie de s'attarder sur les bizarreries de son frère. Néanmoins, elle réalisa que les rigoles qui s'écoulaient en torrents dans le caniveau, au lieu de ressembler à des eaux saumâtres, avaient la couleur d'un tube de gouache dilué à l'eau. Tout le goudron semblait s’être paré de teintes inhabituelles. Comme si quelqu'un avait décidé de jouer les artistes peintres en se servant des éléments. Si elle n'avait pas été aussi effrayée, ça l'aurait sans doute fait rire mais cette nature détraquée lui collait des frissons. Son frère, dont les cheveux blonds dégoulinaient, avaient des sillons sur le visage, le faisant ressembler à un clown triste. Elle chercha du regard quelqu'un pour les rassurer mais toutes les portes des maisons étaient closes, les enfants derrière eux sur le chemin braillant et piaillant, s'étaient volatilisés. Les rues s'étaient vidées sans bruit en un temps record. La panique se frayant un chemin dans ses veines, elle respira un grand coup et choisit la seule option qui s'offrait e la pluie cesse. Elle repéra un porche de maison qui abritait une balancelle d'été. Une fois à l'abri, le cœur de Brunilde ralentit l'allure, elle s'autorisa à reprendre son souffle et contempla le paysage surréaliste autour d'eux. Ambroise ne pipait mot, cherchant en vain une explication à ce phénomène. Mais alors qu'ils se croyaient saufs, un grondement sourd explosa derrière eux. Un tremblement de terre fit vibrer les fondations du porche et Ambroise réagit avant qu'ils ne finissent ensevelis. Il les projeta tous les deux sur le bas-côté avec une force inouïe pour son âge mais décuplée par l'adrénaline. Ils rampèrent pour se mettre à couvert derrière l'abri de jardin. Alors, de toute sa hauteur, dominant la maison fracassée sur laquelle il venait de marcher, se dressa une silhouette que les enfants n'osaient reconnaître. Ambroise voulut hurler mais aucun son ne sortit, sa voix se bloqua, éteinte par la stupéfaction d'une manifestation impossible à croire. Sa sœur s'époumona au contraire, un cri d'une puissance effrayante, à la démesure de ce qu'elle avait sous les yeux. C'est ce hurlement qui guida Tess jusqu'à eux. Elle errait depuis de longues minutes dans le brouillard quand elle entendit sa fille crier. Lorsqu'elle émergea de la nappe de brume, guidée par son instinct, elle atterrit sous une pluie battante. Le contraste entre les deux côtés de la rue était saisissant. D'un côté régnait une atmosphère digne d'un cimetière, émanation de fumée blanche, silence de mort, froid glacial. De l'autre, une pluie polychrome avait bariolé rues, façades et jardins dans une explosion de couleurs dignes du magicien d'Oz. Tess avait l'impression d'halluciner. L'heure n'était pas à la contemplation, Vorrag empoignait tout ce qui lui tombait sous la main et cela semblait le ravir de massacrer le paysage. Mais il ne semblait pas s’intéresser à eux contrairement à Roshdur qui avançait derrière lui, les babines légèrement découvertes, prêt à goûter les enfants dont il était friand.
_ MAAAMMMMANNN !!!!
Les enfants se précipitèrent dans les bras de Tess dont le cœur explosa de soulagement. Ils se retranchèrent derrière une haie qui offrait une cachette temporaire et se laissèrent quelques secondes pour souffler. Seulement il fallait agir vite, déjà Roshdur se rapprochait dangereusement. Tess était avant tout une mère et son instinct de protection se décupla quand elle vit ses enfants en danger. Elle se jeta entre le loup et sa progéniture, empoigna les enfants pour les forcer à se relever et hurla :
_COUREZ ! RENTREZ A LA MAISON ! JE SUIS JUSTE DERRIERE VOUS !
Comptant sur le brouillard pour tenter d’échapper aux mâchoires carnassières, Tess s’élança. Elle sentait le souffle du loup sur ses talons. Pour avoir lu les contes maintes et maintes fois, elle savait que son odorat était puissant et, quoi qu’elle fasse, il finirait par la rattraper. Soudain le loup fut sur elle, la forçant à reculer, acculée contre un chêne séculaire qui sortait d'on ne sait où. Elle sentit l’haleine putride de la bête se frayer un chemin jusqu'à ses narines, il lui sembla même que l'odeur descendait en elle insidieuse, pour prendre possession de tout son être. Elle ne vit que le trou béant de sa gueule et ses mâchoires luisantes, deux rangées de dents prêtes à déchiqueter sa peau. Au bord de la mort, Tess eut une pensée d'amour pour ses enfants qu'elle espérait à l'abri dans une cachette. Cette pensée fut son phare, sa lumière dans les ténèbres vers lesquelles elle dérivait, elle s'y accrocha de toutes ses forces. Quand elle ressentit la douleur des crocs plantés dans sa chair, la peur n’était plus qu’un souvenir.

Annotations

Vous aimez lire May Barber ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0