La Nuit est froide qui coule sur Praïzan

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 Depuis longtemps, Praïzan a des visages.



 C’est une ville où il ne pleut pas, il pleure, et dans cette nuit, froide pour une nuit d'hiver, Praïzan pleure à gouttes fine. Et elle accueille dans ses ventres de pierres des reflets et des remous où miroite une troupe bien mouillée et bien belle. Ah, de ces gens, il y aurait les noms à nommer, quelques récits à conter, et bien une légende ou deux à chanter. Qu’importe, ils se donneront bien eux-mêmes.

 Six, assis en chaos sur le porche d’un vieux palais de plaisance, ruisselant peut-être d’histoire, en tout cas de flotte, leur paquetage à l’abris mais eux, six membres d’une troupe de vagabonds, plus que famille, moins que tribu, coincés au pas d’une porte, les pieds sur une flaque et les épaules adossées à celles d’un ami. L’exception à cette scène est un homme du nom de Ztaav, qui, dos au mur qui borde l’embrasure, à les pieds sur la tête d’un ami.

 Ils ont le cœur chaud, et baillent, et grignotent, et pas un ne parle, et pas un n’a besoin de parler ; l’air a trop de paix dans le vent. Comme dirait Ztaav, “ct’un petit bout de rien, laissez-moi m’y laisser.” Les autres diraient bien autre chose, d’une autre voix, d’un autre ton, d’un tempérament bien différent ; ils ne disent rien et s’y laissent. Mais ils ne vont évidemment pas y rester à jamais ; il faut bien revenir au monde, lui n’est pas de partie à partir ou à oublier, et tout les membres de la troupe, secrètement, même en baillant, regardent à travers les ruines de la ville, en direction d’un petit village au milieu des débris que l’on nomme « La Porte ». Leur chef et leur cuisinier en reviendront bientôt, apportant les nouvelles et, ils l’espèrent, la clé du palais. Plus que le palais, ce sont les lits dedans qu’ils attendent. L'un de La troupe doit dormir, son souffle vole, ses poumons se laissent mais il passera cette nuit. La suivante… La route et le repos sont de bons compagnons, cependant, ils ne voyagent pas bien ensemble. Mais, tout cela attendra, pour l’instant laissons-nous, endormons.


 Minuit est sur l’horizon, l'heure de Poraxe et de Pregammon lentement descend sur ces yeux endormis.

 Le rêve malade est profond, il se diffuse dans l’image d’un mur, vieux mur, vieille pierre et de la pierre de fonte que le temps a fondue et qu’a durcie le feu. La ville est un vestige dénué de songes. Ni chaleur, ni froid, rien que rien, un monde gravier où les cheminés ne respirent plus ni les cendres ne volent. Le dormant refuse même le nom. Le dormant refuse même de l’appeler ville morte ; c’est lui donner vie. Et il n’y a que les fantaisistes, ceux qui rêvent sans sommeiller, pour voir des mirages dans la roche, pour penser que les choses ont des qualités autres que leur forme. Le dormant, en rêvant, refuse de rêver. Le dormant a un nom. Il le donnera bien lui-même. Pour l’instant, réveillons.


 Lok ouvre l'œil, épit un instant le silence et le referme. Un temps. Deux temps. Et au bout du troisième lève des paupières paresseuses et ne se rendort pas. La tête malade demande à s'assoupir dans les soupirs de la troupe mais il a la ville dans le crâne, autre maladie, autre infection, la ville morte de Praïza- Non, pas cela, pas de nom, pas de vision de ruines hantés, juste les pierres, rien que les pierres ; il a les pierres dans l'œil et elles ne respirent pas ni ne sentent de sang ou d'embaume ou de chair de cité. Et il y a des fenêtres de fer devant lui mais ce ne sont pas des yeux. Et il y a bien des portes mais elles n'ont pas de dents. Et la ville est bien traversée de rues et de venelles mais elles ne portent pas le sang ! Et il y a bien une lumière fantôme qui verse dans les ruines mais elle bouge ! Et il y a bien- Elle bouge ?!

 Elle bouge, une torche dans la rue qui se pavane. Droite sur gauche et tombe, le fantôme danse.

 “Ztaav…”

 Lok tapote les pieds sur son épaule.

 “Ztaav…!”

 …

 “Ztaav !

 -Hmm ?

 -Lumière, dans la rue… Ztaav, réveille-toi, y’a de la lumière !

 - Hmm, Lune.

 - Mais non ! Ça bouge ! Et ça vient sur nous…

 - T’inquiète, la Luisarde s’avoisine pas aux gars pieds sous roc. T’as la couronne trop proche de la boue pour elle.

 - Ztaav… S’il-te-plai- Hrrr”

 Ses poumons le brûlaient.

 Et il plaît parfois à Ztaav d’argoter, mais toujours d’aider un ami. De l'ami il retira ses pieds et comme un grand frère il sourit, puis, comme un grand père, il lui frotta les cheveux d’une main rugueusement douce.

 “Lok, c’est le chef qui r’vient.”

 Et se leva, ne passa le manteau à l'épaule mais sortit, un presque-rien entre lui et la pluie sinon le petit broc de tissu que l'on nomme le mépris. C'est à rendre malade.

 “Réveille les autres, s’il te plait.”

 Et partit.


 Des ruines partout, même les pavés sont cassés et noirs, de vieux temps ou de bonnes guerre qu’importe, c’est partout brisé mais toujours suant de pluie, de brume et de bruit. Les murs en luisent sous Lune et gouttent et gouttent sur de petites fleurs dans les gerçures de la ville. Ça pousse un début de Paronne et des fins troncs d’Orchises, des petites vertes comme on les appelait dans les Villages. Ztaav regarde en passant les pétales se tendre et s’ouvrir comme pour attraper un peu de cette torche au bout de la rue. Elles devaient manger plus d’ombre que de Soleil ; elles avaient poussées proche d’un bric-à-brac de pierre et de brique qui avait vaguement la forme d’un cadavre d’horlogerie ; une ombre qui prenait encore sa part du ciel. Il pouvait voir un gong calciné, pendu sur un bout de métal, hors d’atteinte, hors du monde. Tout le quartier portait une marque de feu, vieille flamme de siège qu’avait adoucit la pluie et que guérissait les petites vertes.

 La nuit est froide qui coule sur Praïzan, et avec ou sans torche, la nuit est belle.

 “Oh, Gorgyo !”

 Ztaav tonne et la torche se lève et s’avance, dessous le chef parle.

 “Qui vient dans cette pluie portant si peu ?

 - Ton mauvais ami.

 - Le seul.

 - Z'avez fait vite, La Porte prend ses mois pour ses affaires. Entre la sagesse et la paperasse, ils ont fait leur choix.

 - Ce n'est pas mauvaise chose, si un peuple a peu d'esprit, autant bien le distribuer. Comment se porte la troupe ?

 - Ça dépend sur s'qu'on rapporte. Ils ont déjà le ventre qui grogne, faut faire attention à c'que le bec fasse pas d'même.

 - Et Lok ?

 - Il a besoin de sieste et d’soin, l’air commence à pourprer autour d’sa bougie.

 - J’ai pu obtenir les herbes dont il aura besoin. Des fleurs de Trébles.

 - On a pas d’quoi payer ça, pas de crédit avec La Porte, pas d’faveur avec leurs villageois. Et le maire, nos dettes il les chasse, les siennes on les attend, pas prés d’accepter la manche celui-là. T’as fait quoi pour avoir les fleurs ?

 - ...Du reste j’apporte de la nourriture, pas de sommeil, et une mauvaise affaire. Asquin, prends la torche.

 - S'passé quo- c’qui lui ?”

 Derrière le chef se tenait un homme d’un âge indécis, deux yeux, deux bras, une, deux jambes ; oui, c’était un homme. Son vêtement flottait, et la torche était comme aspirée par une caverne dans sa main, ça lui faisait des ombres mais qu’importe, c’était un homme.

 “J’ai fait une erreur, Ztaav, mais nous en parlerons plus tard. Et il se nomme Asquin.”

 Gorgyo serra l’épaule de son ami, et d’un sourire trop vieux pour son âge, il s’en fut dans l’obscurité. Il l’entendit saluer le nouveau venu puis saluer leur cuisinier qui tirait une carriole grinçante. Et tout les quatre, entre la nuit et une lumière froide, se dirigèrent lentement vers un vieux palais où une mauvaise affaire allait avoir lieu.

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