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Après toi, Tombeau, je retourne à ma sécheresse de femme, à la fuite des fleuves. Retour à ma soif. J'échoue dans des bars où la poésie esquisse des contours de réconfort, j'y bois les mots de l'autre, approche le cercle, la meute. J'y déclame mes textes, sors de l'ombre, noue des liens. J'y rencontre l'Aride, un homme à la peau de désert, à l'âme sèche, craquelée par la drogue. Il s'abreuve de solitude et se nourrit de son spleen. C'est un rappeur que tu m'avais fait découvrir quelques années auparavant, même si je l'ai oublié. Un poète souffleur de vers. Je m'accroche à ses mots qui résonnent à moi lorsqu'il me souffle son dernier son, "en héritage" :

Nos ombres sont caniculaires, portant le poids d'âmes en tissage,
et dans ces ports de métissage, ma parole n'est que lacunaire.

D'autres densités, jamais miscibles, le rejet s'immisce et se fraie,
la cité des non-admissibles, j'esquisse un rap de balafré.

Je tords tous ces mots de passage, évitant le disciplinaire,
C'est à Hugo ou Baudelaire que je dois mon atterrissage.

Depuis les manuels scolaires, dans leurs rangs suis en dépistage,
Mais j'ai reçu pour héritage un pacifisme sans colère.

De côté, à part, pris pour cible, de l'exclusion je ne souffrais,
L'identité, ma part sensible : tout pour père, mère et mon re-fré.

Je retrouve régulièrement l'Aride dans l'été de la ville, partage avec lui des kébabs, des poèmes, des mots, des sourires, des questionnements suspendus. Dans ces premières esquisses de tendresse, lors d'une virée nocturne, l'on traverse symboliquement les quais juste devant ton Alfa Roméo qui a foulé le sang. Tu es au volant, ouvres ta fenêtre. Je te salue, Tombeau. Sais-tu que tu es magnifique dans ta chemise et ton pantalon blancs ? Je crois que j'aurais dû monter dans ta voiture, ce soir-là, te prendre en otage, ordonner "enfuyons-nous, ne perdons plus de temps l'un sans l'autre". Mais prendre une autre direction. Le destin. L'Aride dit "Mektoub".

Cette même nuit, l'autre m'ouvre les portes de chez lui, dans la cité d'or où s'épuise le soleil, où s'entassent les brûlures en monticules de cicatrices laissées vives. Il enlève sa paire de Nike et découvre son corps sec et musclé sur lequel je m'imprime une première fois.
Alors, c'est cela, le destin ?

Mektoub cruel.

Quelques semaines plus tard, dans ces moments d'apaisement, je pars avec lui à la rencontre du désert, de l'immense et du sable. Partout écrire et baiser, ensemble, seuls pourtant. Dans les ocres de Saragosse, je pensais vivre libre, mais ce qui m'éblouit, c'est ton fantôme, Tombeau.

Durant ces premières années sans toi, je ne connais pas la faim. Des actes de dévoration. Je me comble, me rassasie : bouffe, queues, mots, ce que les autres portent, dans mes interstices. Nourrie. Et puis s'obliger à jeûner. La sensation qui épouse le ventre, ressentir ses contours. Découvrir que ce n'est pas de lui que j'ai faim, ni d'un autre. Seulement de toi, Tombeau. Et cela depuis toujours.

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