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Leurs comptines, en compte-gouttes, versées comme des poings sur mes pleurs,
Carabinent, m'arc-boutent, à brûle-pourpoint je me fais peur.

Ils me saisissent et me "sévices", je perds de vue mes rêves purs,
Dans ces prémices à l'injustice, j'opère de plume mes brefs vers,
Et dans l'enfer des rages tues, à fuir le bon mot pour le dur,
Ils me retiennent face au mur, de leurs yeux tristes et sévères

Mes parents ?
Mon père est cadre. C'est un cadre serré, étouffant, limitant. Un travail taillé pour lui. J'apprends à ne jamais déborder du cadre, comprends que c'est trop de risques.
Après quatre années à mourir, de désespoir, il m'emmène consulter. C'est là qu'il se découvre magnétiseur. Les autres, il les guérit, à moi il me fait la guerre. L'ambivalence de cette main : la main qui soigne, la main qui saigne. Je scrute longuement mes plaies, lorsque la lune fait couleur sur les chairs tuméfiées, sur cette peau depuis longtemps étrennée par la main qui baptise. Est-ce que c'est dans l'écho de sa violence sur ma peau qu'il puise l'énergie pour guérir les autres ? Je ne sais pas. Mais quand la main s'abat sur moi, je les sens mes contours, je suis vivante, je suis réelle. C'est l'indifférence qui me gèle l'âme. La plus grande violence de mon père, c'est l'indifférence.

Et je lave par mes larmes les blessures d'autographes dessinées par mon père au crayon de douleur : du rouge, du bleu. Sous ses mains de prophète, des prédictions violentes qui voltigent sur ma peau de cristal. Petite chienne ébréchée à ses ongles, ce qu'il me promet : un avenir de sang. Et dans cette famille, je crois qu'on aime tenir ses promesses, malheureusement.

Et toi qui vois, témoin du drame, mais qui jamais ne réagis,
Et moi qui ploie, qui prie, qui brame, à cris de sang mon élégie,
Protège-moi des ombres infâmes qui courent en colère sur ta fille,
Je n'ai que froid, je n'ai plus flamme, quand toutes mes douleurs tu les nies,
Maman...

Ma mère est secrétaire. Ma mère est secré-taire. Je crois qu'il faut entendre : celle qui tait les secrets. Les secrets du sang versé, de la violence immobile et des poissons-chiennes. Ce qu'elle aime également, c'est nourrir le feu. La main de ma mère, c'est une main qui gave, qui remplit la gamelle. C'est une main qui tasse, dans ma bouche à mâcher. Je mange solitaire, enfermée dans ma cage. Mon père ne supporte pas d'entendre cet appétit qui l'oppresse, cette bouche qui dévore, cela réveille des craintes que je ne soupçonne pas.

Chaque jour, chaque minute, chaque fois que je m'apprête à parler, on m'apporter le plateau rempli de nourriture. Tant que l'on avale, tant que l'on mastique, on ne peut pas régurgiter, nommer ce qui doit être tu. Ce qu'ils n'avaient pas prévu, c'est que là où la bouche s'occupe s'en cesse, la main s'ennuie. Les doigts n'ont appris ni le poing ni le grain, mais ils se mettent à poursuivre la plume, y trouvent une liberté d'oiseau. Pendant que je me laisse écorner jusqu'aux marges, l'écriture devient mon premier pépiement.
S'abandonner à elle, à ses courbes familières, la laisser héberger mon langage.
Des années à s'écrire pour ne plus s'écrier.
Chercher les mots qui parlent.
Chercher les mots qui parent.
Calligraphier l'histoire. La sublimer. Qu'elle quitte l'indicible.

Et puis rêver de toréer, torrides corridas silencieuses,
Le mal en soi, le noir coma dont ils me matent à mort,
Coeur encorné d'une existence, vécue comme sourde et douloureuse,
Habit de soie, voeu de lumière, devenir matador.

De passe en passe vaincre les fantômes, jupes virevoltant au vent d'avril,
En face à face, affronter l'homme, à ondoyer jusqu'au péril,
Avec la bête, un corps à crocs, une blessure de picador,
Avec la langue, une mise en mots, une estocade, une mise à mort.

Je scrute tes mains, Tombeau, tomber sur ma peau avec tant de politesse. J'y ressens des mains de sauvetage, inespérées. Des mains d'évidence.
"Abysse..." susurres-tu en me serrant contre toi. Tu voudrais m'apprendre à dire "je te la laisse, ta violence", jeter la laisse, tirer un trait sur cette enfance ravagée. Piétiner leur putain de brûlure. Cet avenir, tu ne cesseras de me le rêver. Jusqu'à ce qu'un jour, il finisse par se matérialiser.

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