Chapitre 3 : Posed

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Weildach, Rohr, an 319 après la Grande Révolution

Posed était le capitaine de Flotte Royale de Rohr depuis maintenant six ans. C'était Vinid, le précédent chef des armées maritimes, qui l'avait nommé lorsqu'il avait pris sa retraite. Son choix s'était directement tourné vers celui qui l'avait servi avec ferveur et loyauté pendant plus d'un quart de siècle. Vinid manquait beaucoup à Posed. Depuis sa prise de fonction, il aurait aimé à de nombreuses reprises avoir son ancien capitaine à ses côtés pour le conseiller ou simplement pour pouvoir se confier à lui et lui faire peur de ses craintes et de ses doutes. Posed était seulement âgé de quatorze ans lorsque le commandant de la flotte l'avait recueilli et ce dernier avait été un véritable père pour le jeune orphelin qu'il était.

Vinid n'était plus là. Il vivait désormais paisiblement avec sa femme dans un minuscule château sur la côte Nord de Rohr, à quelques kilomètres de Sastalin. Posed devait donc se débrouiller sans lui pour faire face aux terribles évènements qui l'attendaient.

Il n'était pas seul. Il savait qu'il pouvait se fier à chacun de ses hommes, ses cuisiniers comme ses lieutenants. Il comptait même de véritables amis parmi ses compagnons. Mais depuis qu'il avait été élevé au rang de capitaine, beaucoup ne le considéraient plus comme un camarade mais comme un chef, à la grande tristesse de Posed.

Ce soir-là, la veille de leur grand départ pour l'Océan Sanguin, il avait décidé de ne pas rester dans sa chambre à ruminer ses peurs et ses inquiétudes. Il avait besoin de penser à autre chose. C'était à la grande surprise de ses lieutenants qu'il avait donc accepté de les accompagner à l'auberge pour boire un petit verre.

— Une autre ! s'écria le lieutenant Jordi dès que tous ses camarades eurent fini leur chope de bière.

À chaque fois, cette demande suscitait autour de la table un tonnerre d'acclamation. Ils en étaient déjà à quatre litres de bière chacun et Posed semblait être le seul pour qui l'alcool commençait à faire effet. 

Il connaissait Jordi depuis presque vingt ans. Il l’avait rencontré quand ce dernier avait intégré la flotte royale et l’avait rapidement adoré. C'était un homme apprécié de tous et doté d'une grande gentillesse et d'une grande générosité. C’était pour cette raison qu’il l’avait nommé lieutenant à la minute où il avait été promu capitaine.

Dans la petite auberge, la bonne humeur était au rendez-vous. Tous ses hommes criaient, riaient, chantaient et sautaient sur les tables. Insouciants et heureux, savaient-ils qu’ils ne reviendraient peut-être jamais de leur expédition ? Étaient-ils vraiment conscients de ce qui les attendait ou était-ce simplement leur moyen à eux d'oublier, juste le temps d'une soirée, les dangers qu’ils devraient braver sur l’Océan ?

Poussé par les effets de l'alcool, Posed allait se lever pour délivrer un discours digne des plus grands chefs de guerre lorsqu'il fut coupé dans son élan par un air de chanson qui résonna dans toute l'auberge.

Toi, le maitre des mers,

Face à toutes les guerres,

Tu ne crains pas la mort,

Tu es, tu es, le marin de Roooooorh.

Le capitaine sourit. Il avait dû entendre ses soldats chanter ce refrain des millions de fois. Mais jamais il ne lui avait fait autant écho. Les paroles disaient vrai. Il était le capitaine de la flotte royale de Rohr. Son grand roi Tran III avait décidé d'envahir Opewaldia. Il n'avait aucune raison de craindre la mort. Il vivrait ou périrait pour la gloire de Rohr.

Euphorique, il but alors une grande gorgée tout en chantant à vive voix avec ses camarades. Lorsqu'il décida, quelques verres de vin rouge plus tard, de rentrer à sa chambre se reposer, ses hommes tentèrent de le retenir.

— Restez encore un peu, capitaine, lui dit Jordi en lui accrochant le bras. Il faut s'amuser ce soir.

— Je t'ai déjà dit d'arrêter de me vouvoyer Jordi. On se connait depuis si longtemps. Et je suis désolé mais je dois y aller. Ne rentrez pas trop tard quand même, ajouta-t-il en lui adressant un petit clin d'œil.

Avant de partir, il jeta un dernier regard à l’assemblée qui festoyait. Les voir si heureux remplissait Posed de bonheur. Il aurait voulu rester là toute la nuit à s'amuser avec ses camarades mais il était déjà mort de fatigue et une grande journée l'attendait demain.

C'était le premier rayon de soleil qui le réveilla le lendemain matin. Doucement, le capitaine se leva de son petit lit, la boule au ventre. Surement un mélange des trop nombreuses bières qu'il avait bues hier et de la crainte qui commençait à monter.

La veille, il s'était couché confiant, épanoui. Le chant repris par cinquante de ses hommes l'avait galvanisé et sa peur s'était évanouie. Malheureusement, son état d'esprit courageux et optimiste avait disparu en même temps que le soleil était apparu.

Pour la première fois depuis des siècles, une flotte royale allait tenter de traverser l'Océan Sanguin. Plusieurs bateaux, comme celui de Vinid dans sa jeunesse, avaient déjà réussi cet exploit mais il y avait une différence entre naviguer un petit navire dans ces eaux impitoyables et diriger toute une flotte. On entendait beaucoup de légendes sur cet océan. Certaines évoquaient de multiples orages et tempêtes meurtrières, d'autres contaient la présence de créatures magiques et dangereuses comme des krakens ou des serpents de mer.

Comme pour le convaincre, le prince Toman lui avait expliqué qu'il avait de nombreuses fois survolé cet océan avec son hippogriffe et qu'il avait trouvé une île, à mi-chemin, sur laquelle les vaisseaux pourraient se réfugier en cas de tempête et également sur laquelle les créatures pourraient se reposer. Le deuxième point était très important car les hippogriffes étaient la clé de l'expédition. Posed et Toman comptaient s'en servir pour anticiper les différents courants et obstacles qui se dresseraient sur leur route et ainsi réduire le risque que la flotte tombe sur un tsunami, une vague scélérate ou même un iceberg.

Normalement, le voyage durerait une dizaine de jours, sauf incident, et ils ne devraient vivre aucune période de froid. En effet, Toman et lui avaient expressément choisi de partir vers le milieu du deuxième quintile qui était ascendant pour être sûr de ne pas mourir frigorifié en cours de route.

Chaque quintile était soit ascendant, soit descendant. Un quintile descendant signifiait qu’il commençait par de fortes chaleurs pour finir par une période de neige et de glace. A l’inverse, lors d’un quintile ascendant, la température montait au fur et à mesure des jours pour atteindre le point de chaleur culminant le dernier jour.

Mais pour bien respecter le calendrier, les navires devaient partir d'ici quatre heures et il n'avait toujours aucune nouvelle de Toman ou de ses cheveaux ailés. Le prince était également censé amener avec lui des soldats plus spécialisés dans le combat terrestre, une des lacunes de ses hommes. Sans ces trois éléments, la mission était vouée à l'échec.

Posed s'approcha du large port où résidaient les trente vaisseaux de la flotte royale ainsi que les dix navires de Weildach qui l’accompagneraient. Il s'agissait de grandes caravelles qui pouvaient contenir chacune quatre-vingts soldats. La sienne, encore plus grande que les autres, pouvait même transporter plus d’une centaine d'hommes. Toutefois, elle était très difficile à maitriser et Posed était un des seuls à y parvenir. 

Alors qu’il faisait les cent pas, il aperçut au loin la petite silhouette maigre de Walder, le responsable de la logistique, et ses cheveux bruns qui lui arrivaient à la poitrine. Il l'interpella d’un geste et l’homme s’avança vers lui. Il était tout l’inverse de Posed qui était, lui, roux, plutôt grand en taille avec quelques kilos en trop et une musculature assez développée.

— Comment vas-tu Walder ? Tout sera prêt à temps ?

— Oui Capitaine, répondit l'homme. Mais les hommes s'inquiètent. Où sont le Prince et ses hippogriffes censés nous mener vivants à Opewaldia ?

Le capitaine soupira. Il se posait la même question. Si Toman n'arrivait pas à temps, ils devraient repousser la date du départ et il connaissait ses camarades. Ils n'apprécieraient pas d'attendre indéfiniment. « Pitié, Prince Toman, nous avons besoin de vous », pensa-t-il fort.

C'était à ce moment-là qu'il entendit des cris d'exclamation venir de toutes parts autour de lui et qu’il vit que tous ses hommes avaient les yeux rivés vers le ciel. Il les imita et aperçut au-dessus de lui une dizaine de créatures volantes qui tournoyaient autour de la flotte, comme pour impressionner la foule qui s'attroupait sur le port.

Posed, qui avait déjà eu la chance de voir des hippogriffes de tout près lors de ses venues à Geiburg, n'était pas le plus émerveillé. Il était surtout soulagé. Alors que les hippogriffes et les hommes qui les montaient atterrissaient doucement sur le port, à quelques mètres du capitaine, il chercha à reconnaitre Toman parmi eux mais il ne le trouva pas.

— Où est Son Altesse le Prince ? demanda-t-il au premier jeune homme qui avait posé pied à terre.

Sa belle armure en métal et sa façon de la porter avec grâce et fierté détonnait avec son physique assez ordinaire qui n’effrayait personne.

— Alors déjà bonjour ! Vous devez surement être Posed, le capitaine de la flotte. Je me présente, Capitaine, je m'appelle Boris Mygrin. J'imagine que vous connaissez mon père, le Commandant de l'armée royale. Pour ce qui est de Son Altesse le Prince, il devrait arriver dans quelques instants, ne vous inquiétez pas. Il est bien accompagné.

Posed serra son poing. Certes, il avait eu tort de ne pas saluer son interlocuteur avant de l'interroger mais il n'avait pas aimé la façon dont ce minot l'avait fait remarquer, surtout devant tout le monde. Il tacha toutefois de rester le plus calme possible. Il s'adressait au fils de de Mison Mygrin, pas au premier pêcheur venu. Il s'efforça de sourire.

Avant qu'il ne puisse lui demander avec une politesse feinte par qui Toman était accompagné, il eut sa réponse. Encore une fois, de multiples réactions se firent entendre. Cette fois, elles relevaient à d'un mélange d'effroi, de surprise et d'admiration. Posed se retourna et aperçut au loin de gigantesques silhouettes qui marchaient droit sur eux. Le premier réflexe du capitaine fut d'empoigner son épée mais rapidement, il comprit que cela n'allait pas être nécessaire. Il s'agissait des alliés promis par Toman et ils étaient de taille.

Plus ils s'approchaient de lui, plus la vue de leurs gigantesques corps l'ébranlait. C’étaient des géants, des vrais. Ils n'étaient pas seulement grands, ils étaient également très épais. Mais Posed remarqua avec surprise qu'ils avaient, mis à part leur nez un peu rond et leur absence de cheveux, un visage très humain. Tout le monde s'écarta pour laisser passer le cortège. Certains de ses hommes, comme lui, observaient ces créatures avec émerveillement, mais d'autres, apeurés, fuyaient le plus loin possible. Ces deux réactions différentes firent sourire Posed.

Alors qu'il essayait de compter le nombre de géants, il reconnut Toman et son hippogriffe qui survolait juste au-dessus d’eux. Le prince et sa bête ne semblaient faire qu’un. Il paraissait maitriser sa bête mieux que quiconque, malgré son bras manquant et avait juste à pencher un peu son corps sur un côté pour être immédiatement imité par son hippogriffe. C'était tout aussi impressionnant que les géants qu'ils accompagnaient.

— Comment allez-vous Capitaine ? lui demanda le prince une fois posé au sol. Regardez ce que je vous amène.

Le jeune homme lui adressa un signe pour l’empêcher de se baisser pour le saluer puis ils partagèrent une accolade chaleureuse.

— Très bien et vous Votre Altesse ? Je dois vous avouer que je suis très surpris. Comment avez-vous…

— Nous avons un long voyage pour parler de tout ça, le coupa Toman. Je vous propose que nous finissions les préparatifs et que nous mettions les voiles au plus vite. Ensuite, j'aurai tout le temps de vous expliquer comment ils sont arrivés là et surtout, comment nous allons vaincre les waldiens.

Toman avait parlé avec une telle confiance que Posed ne put qu'acquiescer. L'arrivée de ces renforts de taille le rassurait sur un point : s'ils parvenaient à traverser l'Océan, ils n'auraient aucun mal à défaire les armées d'Opewaldia. Il avait tant de fois entendu le célèbre proverbe qui disait : « Un géant vaut peut-être cinq rohriens mais il vaut surtout cinquante waldiens ». Si c'était vrai, la flotte royale de Rohr ne ferait qu'une bouchée de leurs ennemis. À condition toutefois de survivre à leur dangereux périple.

Toi, le maitre des mers,

Face à toutes les guerres,

Tu ne crains pas la mort,

Tu es, tu es, le marin de Roooooorh.

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