71. Un ex pas très coopératif

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Malcolm

Je quitte Clément, ravi de la tournure de l’entretien que nous avons eu. En effet, ce petit jeune qui m’avait déjà exprimé son admiration et son manque d’envie de se caser avec un autre mec est en réalité amoureux d’une petite jeune qui n’a pas l’air d’être indifférente à ses avances. C’est donc avec enthousiasme qu’il m’a promis de se joindre à nous pour la grève et de mobiliser dans ses connaissances ceux qui pourraient rejoindre notre mouvement.

Je regarde le prochain que j’ai mis sur la liste de gens à contacter et constate qu’il s’agit de Jérôme car il habite très près de Clément. Cela fait un bail que je ne l’ai pas croisé et surtout qu’on ne s’est pas retrouvés pour une partie de jambes en l’air. Durant toutes nos rencontres, il n’a jamais exprimé d’opinions sur le Conseil et je ne sais pas du tout à quoi m’en tenir par rapport à lui. J’ai le sentiment qu’il serait du genre à pouvoir bien nous soutenir et je me souviens d’avoir pensé qu’il se joindrait peut-être à nous en mémoire de ces orgasmes que nous nous sommes procurés l’un l’autre. Maintenant que je suis devant sa porte, je suis moins sûr de mon raisonnement mais je me dis que je n’ai rien à perdre et que ça vaut le coup d’essayer.

Je frappe à sa porte et l’entends crier qu’il arrive. La porte s’entrouvre sur son visage hirsute et ses yeux un peu dans le vague. Je peux voir dans l’embrasure qu’il est torse nu et qu’il ne porte qu’un caleçon pour tout vêtement.

— Bonjour Jérôme. Je te réveille ? Je peux entrer ? J’aimerais discuter avec toi de l’arrestation de notre Doc…

— Salut, Malcolm. Entre, je t’en prie. Disons que je profitais de la couette encore un peu. L’arrestation du Doc ? Ça fait un moment, pourquoi tu veux me parler de ça ?

— Je te parle de l’arrestation de LA Doc. Nous nous retrouvons sans médecin sur l’île ! C’est honteux ! m’exprimé-je avec virulence en entrant dans son appartement où je ne suis plus venu depuis très longtemps.

— Pourquoi elle a été arrêtée ? C’est quoi cette histoire ? Et comment on va faire ?

J’hésite un court instant avant de lui révéler la raison. Je me demande vraiment comment il va réagir à la nouvelle que je vais lui donner. Sans doute encore plus violemment que moi lorsque j’ai entendu deux patrouilleurs parler de la femme enceinte retenue par le Conseil.

— Le Conseil lui reproche d’être tombée enceinte. Comme si c’était un crime ! Ils nous privent de soins juste parce qu’elle est revenue à des choses plus naturelles que la séparation stricte imposée par le Conseil. C’est fou, non ?

— Oh, sourit-il en se laissant tomber sur sa chaise. La Doc prend son pied avec des mecs ? Excellent ! Quand je vais dire ça à Colin, il va être vert !

— Je ne pense pas que ce soit DES mecs, ne puis-je m’empêcher de râler. Enfin, je ne sais pas non plus exactement, mais je la vois plus n’aimer qu’un seul mec à la fois, tu vois. Bref, le Conseil l’a arrêtée et menace de la recycler, elle et son enfant qui va naître.

— En même temps, quand on va à l’encontre des règles… Entre nous, elle fait bien ce qu’elle veut, je m’en fiche totalement. Et donc, pourquoi tu me parles de ça ?

— Eh bien, il faut qu’on réagisse ! On ne peut pas laisser faire une telle infamie ! Il faut qu’on se mobilise, tu ne crois pas ? Et si tu te joins à nous, Colin pourrait se mobiliser avec nous aussi, non ? C’est ton nouveau petit ami ?

— Non, c’est mon voisin. Il préfère les nanas, mais bon, il n’a pas encore franchi le pas. Je crois qu’il craque sur la Doc. C’est peut-être même le père, tiens. Concernant ce sujet, je ne vois pas trop ce qu’on a à faire. Le Conseil doit avoir prévu le coup, on devrait avoir un médecin rapidement.

Ma première réaction en entendant qu’un mec craque sur ma partenaire, c’est une violente forme de jalousie. C’est qui ce type que j’ai à peine vu jusqu’à présent ? Il croit que c’est open bar ou quoi ? Jade, c’est moi qu’elle aime. Heureusement que je me reprends vite et finalement, je me fais une note mentale d’aller le voir ensuite pour qu’il rejoigne notre mouvement. Vu ses préférences, il pourra nous soutenir dans notre combat et c’est bon à prendre.

— Le Conseil n’a rien prévu, ils naviguent à vue ! Tu crois quoi ? Qu’ils ont plein de docs sous la main ? Non, c’est sûr ! Je sais que les femmes sont en train de se mobiliser de leur côté, il faut faire de même du nôtre. C’est un appel à la grève que je veux lancer. Plus personne ne fait quoi que ce soit pour le Conseil jusqu’à ce qu’on obtienne la libération de Jade ! Sinon, c’en est fini de nos libertés !

— Tu plaisantes ? C’est quoi cette idée ? Évidemment que le Conseil va gérer les choses, enfin ! Ils ne peuvent pas nous laisser sans soins ! Tu te rends compte que ton idée est absurde et dangereuse ?

Mince, il n’a pas l’air de vraiment comprendre l’enjeu, là. Il va falloir que je sois plus clair.

— Et tu crois qu’ils vont trouver où, un nouveau Doc ? ils vont demander au coiffeur ? Je te dis que la seule solution, c’est d’éviter le recyclage de Jade. Et pour ça, il faut leur montrer notre mécontentement. On ferme tout, on arrête de travailler et ils vont céder, c’est sûr ! Le Conseil, c’est quand même nous, non ?

— Tu es fou, ricane-t-il avant de m’observer en silence. Tu te rends compte que cette conversation pourrait me retomber dessus si je ne dis rien ?

— Comment ça, si tu ne dis rien ? commencé-je à paniquer. Tu veux en parler à qui ? Tu ne vas pas me dénoncer, quand même !

— Si je ne dis rien et que le Conseil vient à apprendre que tu as essayé de m’embarquer dans tes magouilles, je vais me retrouver dans la panade à cause de toi.

— Si tu ne dis rien, ils ne le sauront pas. Tu ne vas quand même pas aider ces abrutis qui ont si peu de respect pour nous et ce que nous faisons ! Et puis, le Conseil sait qu’on a couché ensemble, ils vont te suspecter aussi si tu vas leur parler de moi !

— Ou me suspecter si je ne leur parle pas de ta visite, soupire-t-il, l’air blasé. Tu devrais éviter de te rebeller comme ça, Malcolm, il va t’arriver des bricoles.

— Mais j’en ai marre de voir tout ce qu’il se passe. Comme avec Oliver et Zoé ! La Doc, maintenant. Après, ce sera qui ? Colin, ton voisin ? Si dès qu’on dévie un peu du cadre, on se met à trembler de peur, c’est qu’il y a un souci quelque part, non ?

— C’est dans l’intérêt de l'Île et de ses habitants, que veux-tu ? Pourquoi tout devrait changer aujourd’hui ? Ça marchait très bien jusqu’à présent.

— Oui, tu as raison, ne changeons rien. Je vais te laisser à ta petite vie et à tes amants, vu que c’est tout ce qui compte pour toi. Merci de m’avoir écouté.

— Tu ne peux pas t’attendre à ce que tout le monde se mobilise parce que tu l’as décidé, Malcolm. Si la vie ne te plaît pas ici, pars. Mais pour ceux qui se sentent bien sur l’île et n’imaginent pas la vie autrement, ton idée est totalement farfelue et dangereuse. Je refuse de prendre le risque de me faire recycler à cause d’une nana qui se tape des mecs, et je suis désolé pour toi, je t’apprécie, mais je ne le ferai pas non plus pour ça. Tu devrais arrêter tout de suite ta vendetta, Malcolm, parce que si je ne dis rien, d'autres le feront quand même.

— J’espère que je saurai convaincre les autres du bien-fondé de ma démarche. Si on ne réagit pas maintenant, Jade va être recyclée, on sera sans médecin et l’injustice va continuer à s’installer. Un autre monde est possible, Jérôme, mais je crois que nous n’avons plus les mêmes priorités. Si jamais un jour on les a partagées. Bref, merci de ton écoute. Bonne fin de journée.

— Il n’y a pas d’injustice, Malcolm. Elle n’a pas respecté les lois, il faut qu’elle assume, c’est comme ça. Je te conseille de te dépêcher de mettre ta connerie en place, parce que j’ai beau t’apprécier, ce que tu dis ne me plaît pas du tout et je ne sais pas si je garderai ça pour moi bien longtemps. Bonne fin de journée à toi, soupire-t-il en m’ouvrant la porte.

Je sors sans ajouter un mot. J’essaie de me rassurer en me disant qu’il ne va pas nous dénoncer, qu’on sera prêts à l’action avant qu’il ne se décide à tenter quoi que ce soit contre nous, mais je sais désormais que ce n’était pas une bonne idée de venir le voir. J’ai un mauvais pressentiment et je me réconforte en me disant que j’ai au moins appris le nom d’une personne supplémentaire à convaincre de nous rejoindre. Pour le reste, je n’ai aucun moyen de contrôler les choses, alors il vaut mieux les oublier un peu et vivre dans le présent. Et le présent, c’est l’urgence de la situation de Jade. Pour la sauver et pour sauver notre enfant, il faut que je prenne tous les risques. Et ça, quel qu’en soit le prix à payer.

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