53. Un popotin bien excitant

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Jade

“Je t’aime, Jade”. Jamais je n’aurais cru que ces petits mots, onze petites lettres assemblées, pourraient faire s’emballer mon cœur à ce point, mais c’est un fait : chaque fois que Malcolm me les dit, au creux de l’oreille, dans un murmure sensuel, ou en plongeant ses beaux yeux dans les miens, je vacille. Je frémis. Je souris niaisement. Bref, une petite midinette énamourée. Mais… est-ce qu’une midinette aurait sauté sur l’homme qu’elle aime comme ça, en mode furie en manque, en pleine nature, pour un petit coup vite fait ? Pas sûre.

Je glousse à cette pensée. Je devrais avoir honte, on dirait une mort-de-faim qui voulait sa dose, mais je ne pense pas que Malcolm ait été plus surpris que ça. Je crois que les signaux que j’avais envoyés, plus tôt sur la piste de danse, étaient clairs. C’est sa faute, aussi. Quand je suis arrivée, en retard comme toujours pour ce genre d’événements, je n’ai vu que lui. Est-ce qu’il avait fait des efforts de présentation ? Non, pas plus que ça. En a-t-il seulement besoin ? Clairement pas. Mais cette petite chemise en lin m’a illico donné envie de me jeter sur les boutons, sans parler de ce pantalon qui moulait tout ce qui devait l’être. Clairement, mes hormones m’ont joué un sale tour et ma température corporelle a grimpé en flèche à la seconde où je l’ai aperçu.

Un frisson me parcourt l’échine et je resserre mes bras autour du cou de Malcolm. Je ne sais pas trop depuis combien de temps nous sommes là, lovés l’un contre l’autre, encore imbriqués l’un dans l’autre, mais j’aimerais pouvoir mettre le temps sur pause encore un moment. Seuls l’océan et la musique en fond sonore perturbent la quiétude de cet instant, et nos souffles qui se sont apaisés après ce petit rodéo improvisé. Du moins, c’était le cas, jusqu’à ce qu’un cri strident nous sorte totalement de notre léthargie post-orgasmique.

— Nom de dieu de putain de bordel ! Jade, mais qu’est-ce que tu fous ?

Branlebas de combat, précipitation, Malcolm et moi nous séparons avec rudesse et nous rhabillons comme nous pouvons. Je n’arrive pas à croire que nous ne l’ayons pas entendue arriver et je commence à paniquer. Liz ne dira rien, c’est ce dont j’essaie de me convaincre, mais j’ai quand même en mémoire les mots qu’elle a pu me dire quand Zoé était à la maison : elle veut s’intégrer et vivre quelque chose avec Mathilde. Nous surprendre et nous balancer lui permettrait clairement d’être dans les petits papiers du Conseil. Mais non, mon cerveau part en vrille, voilà que j’imagine le pire, je suis persuadée qu’elle ne dira rien…

— Liz, je… il faut croire que j’ai trop bu de punch ? bafouillé-je bêtement en reboutonnant mon chemisier. Ou que je suis une vilaine fille ?

— Purée, j’en reviens pas ! continue Liz, toujours aussi énervée. Quand je pense qu’on a couché ensemble et qu’on pensait t’inclure dans nos jeux avec Mathilde alors que toi, tout ce qui t’intéresse, c’est une bite ? Non mais tu te rends compte de ce que tu fais, là ? Tu vas toutes nous faire recycler !

Bingo. Oui, le recyclage fait flipper, je le conçois. Il m’arrive même d’en cauchemarder, mais en quoi est-elle inclue dans cette possibilité ? C’est ma vie, mon problème.

— Aussi sympathique soit la proposition, je vous adore, mais effectivement, je ne suis pas intéressée. Et arrête de baliser comme ça, personne n’est au courant et tu ne seras pas impliquée là-dedans, soupiré-je en glissant ma main dans celle de Malcolm.

— Personne ne se fera recycler, Liz, sauf si tu nous dénonces, dit-il calmement en serrant mes doigts.

— Vu comme vous êtes discrets, pas besoin que je vous dénonce ! Toute l’île va finir par être au courant ! Vous êtes malades ou quoi ? C’est moi qui dois vous apprendre que les hommes et les femmes ne doivent pas se toucher ici ?

— C’est moi qui dois t’apprendre qu’il y a des règles de merde, totalement injustes et infondées ? Bon sang, Liz, tu crois vraiment qu’on le fait exprès ? Tu ne penses pas qu’à choisir, on préférerait rester dans les clous et ne pas prendre de risques ?

— Est-ce que toi, tu arrives à résister à Mathilde ? Tu crois que si c’était un homme, ce serait différent ? Tu en arrives même à ne plus vouloir partir de cette île ! renchérit mon amoureux.

— Putain… J’y crois pas, là… murmure-t-elle en nous dévisageant tous les deux avant que son regard se pose sur nos mains toujours nouées. Vous êtes dans la merde ! Vous êtes vraiment amoureux tous les deux ? Et ça fait longtemps que ça dure ?

— Merci pour tes encouragements, marmonné-je. Ça a commencé un peu après ton arrivée, donc, tu vois, nous sommes discrets !

— Oui, je vois. Je comprends mieux pourquoi tu as résisté à nos invitations, sourit-elle en s’asseyant sur le rocher à côté de nous. Et c’est quoi le plan ? Continuer à vous voir en secret jusqu’à la fin de vos jours ? Profiter d’un petit coup de temps en temps jusqu’à ce que vous vous fassiez gauler ?

— On n’a pas de plan, Liz… On vogue à vue, on… fait ce qu’on peut, je crois. C’est pas simple, mais qu’est-ce que tu voudrais qu’on fasse, hein ? Tu as bien conscience qu’on ne peut pas partir d’ici, et tu sais aussi ce que ça donne si on se fait griller, donc on fait tout pour profiter de notre relation en prenant le moins de risques possibles. Qu’est-ce que tu voudrais qu’on fasse d’autre ?

— On s’aime, Liz. Le reste, tout le reste, ça vient après. Et plus on essaie de résister, plus on souffre et on prend des risques quand on cède enfin à nos sentiments. Tu vois, c’est une spirale infernale. Magnifiquement et romantiquement infernale, mais on ne peut pas y échapper.

— Je ne sais pas, moi, vous ne pouvez pas continuer comme ça ! Et je suis sûre que vous n’êtes pas les seuls. Après l’histoire d’Oliver et de Zoé, je suis sûre que d’autres pourraient se joindre à vous. Il faut faire changer le Conseil, non ? Rebellez-vous ! Montrez le chemin aux autres !

Je jette un œil à Malcolm et ne peux m’empêcher de penser à notre petite randonnée, ou grand moment de torture pour ma part, qui avait pour but d’en découvrir davantage sur l’île. On a quand même un peu laissé tomber cette idée, je crois, trop préoccupés à nous trouver du temps en tête à tête. Pour autant, peu importe ce que nous trouverons, je ne vois pas comment nous pourrions renverser le Conseil. Ils ont tellement d’influence et de pouvoir que ça me paraît insensé.

— Le chemin pour le recyclage, tu veux dire ? Merci, mais non merci. Je crois que je préfère autant me planquer toute ma vie plutôt que de me retrouver seule à manifester et finir comme Zoé et Oliver… Si c’est le prix à payer pour s’aimer, on n’a pas trop le choix, j’imagine.

— Et moi, je suis déjà dans leur collimateur. Tu as vu ce que ça a donné quand j’ai manifesté ? Tout seul… Personne ne nous soutiendra, ici. La seule solution qu’on aurait, ce serait de trouver le moyen de partir, mais pour l’instant, je ne vois pas comment on pourrait faire. On est coincés ici et condamnés à se voir en cachette. On n’a pas d’autre choix…

— Je comprends, soupire-t-elle. C’est beau, votre histoire, mais c’est triste, je trouve. Soyez rassurés me concernant, je ne dirai rien à personne. Mais faites attention à vous ! Si ça avait été Jasmine à ma place, vous seriez déjà en route pour le recyclage, là…

Je grimace et me love contre Malcolm en soupirant. Effectivement, nous aurions pu très mal finir, il faut vraiment que je calme mes hormones folles, le risque est trop grand.

— On devrait y retourner avant que quelqu’un d’autre que Liz ne remarque notre absence, soufflé-je en déposant un baiser sur sa joue.

— Oui, merci Liz de ta discrétion. Je t’aime, Chérie, quel que soit le risque, dit Malcolm avant de m’embrasser.

Petit cœur qui s’emballe. Sourire niais. Quand est-ce qu’il arrêtera de me faire autant d’effet ? Jamais, j’espère…

Nous nous bécotons encore quelques secondes et je ne manque pas son petit sourire lorsque je lui dis que je l’aime. Il faut croire que cette histoire nous rend tous les deux parfaitement niais, mais je fais avec, et je savoure, même.

Liz et moi l’observons partir devant, et je ne manque pas son regard dans ma direction. Je commence à la connaître et j’ai bien peur qu’on parte sur un sujet interdit aux moins de dix-huit ans. D’un autre côté, je ne peux m’empêcher d’entamer moi-même la conversation en repensant à son arrivée.

— Non mais, franchement, gloussé-je, as-tu déjà vu un popotin aussi agréable à regarder ? Et ne fais pas genre, je t’ai vue loucher dessus !

— Disons que c'est un beau spécimen et que son soldat au garde à vous n'a pas grand-chose à envier à nos dildos ! Mais tu es complètement folle…

— Je suis amoureuse, Liz. Aimer est une folie, c’est comme ça. Je te jure qu’on fait plus attention, d’habitude, mais… on a voulu mettre de la distance pour ça, et au final, on vient de se sauter dessus comme deux animaux en rut.

— J'en reviens toujours pas… Même pour moi qui ai toujours préféré les femmes, vous voir tous les deux en train de copuler, ça m'a un peu excitée, rit-elle. J'ai presque envie d'essayer à mon tour pour ne pas mourir idiote. Mais tu n’as vraiment pas choisi le bon endroit pour tomber amoureuse d'un mec. Même s'il a un joli cul et qu'il sait se servir de sa queue !

— Tu n’as même pas idée, soufflé-je en souriant. Je n’ai jamais vu autant d’étoiles que depuis qu’il m’envoie au septième ciel. Bref ! On y retourne ? Mathilde va s’inquiéter de ne pas te voir… Manquerait plus qu’elle te pose des questions, je ne veux pas te mettre dans l’embarras auprès d’elle…

— Je crois que je vais lui sauter dessus direct. Et l'emmener dans votre petit coin pour soulager toutes les envies que vous avez réveillées chez moi. Je te jure que je dois être au moins aussi trempée que toi, là ! Crois-moi, elle ne va pas avoir le temps de me poser des questions !

Je pouffe et glisse mon bras sous le sien pour regagner la fête en me disant que je serais bien partie sur un second round, moi. J’en ai marre de ces petits moments volés, tout ce que je veux, c’est pouvoir vivre cet amour tranquillement, aux yeux de tous. Mais autant dire que c’est un doux fantasme que je ne suis pas près de voir se réaliser.

Il suffit qu’on retrouve la place pleine de couples et de gosses pour que je retrouve ce sentiment de solitude qui ne s’est estompé que lorsque je me suis retrouvée dans les bras de Malcolm. Je soupire et m’installe sur une chaise alors que Liz file retrouver Mathilde sur la piste de danse. Elles ne traînent pas bien longtemps sur place et ma coloc entraîne rapidement la fermière à l’écart.

Je me perds dans mes pensées et, forcément, reviens mentalement sur mes pas, remontant le temps de cette dernière heure. Pas sûre que ce soit l’idéal pour me calmer, mais je pourrais presque sentir ses bras qui m’enlacent, son souffle chaud et saccadé sur ma peau, ses muscles sous mes doigts… Bon sang, il me manque déjà atrocement, en fait, même s’il est à quelques mètres de moi, en train de discuter en me lançant des œillades fréquentes. Je n’avais absolument pas prévu de l’entraîner dans un coin pour lui sauter dessus. A vrai dire, j’y ai réfléchi quelques secondes à peine tout à l’heure, sous la douche, et j’en étais venue à la conclusion que ce serait trop risqué… Pourtant, j’ai été bien incapable de me retenir. Et malgré la satisfaction de notre corps à corps, je me rends compte du risque qu’on a pris. Je retombe même plutôt brutalement sur terre en constatant que nous avons fait l’amour sans même que j’aie fait attention à mon cycle. Oui, gros retour sur terre, là, parce que j’en viens même à me demander s’il n’est pas déjà trop tard, en fait. Pourquoi est-ce que je n’ai pas eu mes règles ? Je pourrais mettre ça sur le compte de la fatigue, du stress du travail ces derniers temps, mais un retard à ce point ?

Je crois que le doux rêve d’une vie tranquille vient de virer au cauchemar, pour ma part.

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