37. Tête bêche au moulin

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Jade

Je me mordille la lèvre en sortant de la douche, toujours sans solution. Qu’est-ce que je peux bien dire à Liz ? Et pourquoi est-ce qu’elle n’est pas partie passer la nuit chez Mathilde, d’ailleurs ? Je n’ai pas envie de lui mentir, mais je ne me sens pas prête à confier ce secret à une personne supplémentaire. J’ai l’impression que le poids sur mes épaules pourrait encore s’alourdir si je venais à le partager une fois de plus. D’autant plus alors que l’ambiance générale n’est pas au beau fixe. Je n’ai jamais autant ressenti de tension sur l’île. Tout le monde s’observe et se juge, se jauge comme si tout un chacun cherchait les auteurs de ces livres interdits, et tous ceux qui sont blancs comme neige observent ceux qu’ils savent coupables d’avoir osé lire une romance hétérosexuelle, de pervertir leurs esprits et d’avoir le fantasme de reproduire les erreurs du passé.

J’enfile ma robe et me coiffe rapidement alors que je vois le soleil tarder à se coucher à travers la fenêtre. J’ai tellement hâte. Nous n’avons plus partagé un seul moment en tête à tête depuis sa folie de passer me voir au cabinet, et j’ai l’impression que toute ma peau me démange de retrouver son épiderme, que mes lèvres trépignent d’impatience de retrouver la douceur des siennes. J’aimerais tellement que nous puissions vivre tout ça au grand jour plutôt que de devoir prendre mon vélo en pleine nuit…

Le regard de Liz se pose sur moi quand je sors de la salle de bain, et elle fronce les sourcils en constatant que je n’ai pas enfilé ma tenue de nuit. Oui, j’ai passé les deux heures qui précèdent à me demander comment lui dire que je ne dormais pas ici ce soir, alors je vais improviser, tant pis. Réfléchir n’a rien changé à mon problème.

— Elle s’appelle comment, la petite chanceuse ? me demande-t-elle avec un sourire en coin.

— Mystère. Contrairement à toi, je ne suis pas du genre à tripoter mon rencard sur le canapé de ma coloc et sous ses yeux, souris-je. J’aurais dû te le dire plus tôt, Mathilde aurait pu venir ce soir.

— Je peux toujours l’appeler maintenant que je sais que la place sera libre. Comme ça, je pourrai la tripoter où je veux.

— Mon lit est un territoire interdit, je vous préviens. L’une ou l’autre avec moi, OK, vous deux, faut pas pousser non plus, plaisanté-je en enfilant ma veste.

— Je vais lui proposer de nous retrouver toutes les trois, si tu veux. Je suis sûre qu’elle ne dirait pas non ! répond-elle en souriant, l’air déjà rêveur.

Un frisson d’excitation me parcourt l’échine, que je relègue rapidement aux oubliettes. Liz, Mathilde et moi, ça aurait pu être intéressant, dans une autre vie.

— Dépêche-toi d’appeler Mathilde au lieu de dire des bêtises, ris-je en lui tendant mon téléphone, il faut que je file, moi.

Je dépose un baiser sur sa joue et file remplir ma gourde et récupérer une couverture là-haut, que je fourre dans un sac à dos alors que j’entends ma colocataire parler bruyamment à sa petite amie pas encore officielle. Lorsque je redescends, son sourire jusqu’aux oreilles appelle le mien, et je ne tarde pas à quitter la maison et rouler dans l’obscurité. Le côté jovial d’aller retrouver Malcolm laisse rapidement place au stress de me faire prendre. Tant que je suis du côté de l’île où l’accès est autorisé aux femmes, j’ai une bonne excuse, mais si je me fais griller du côté des hommes, quand bien même je dois les soigner pour le moment, les gardes chercheront à savoir de qui il s’agit, décideront sans doute de m’accompagner jusqu’à celui à qui je rendrai visite, et je me ferai attraper en quelques minutes. Et puis, les mensonges et moi…

Heureusement pour moi, je ne croise personne lorsque je bifurque sur le sentier qui mène au moulin, et j’arrive sans encombres. Seule la Lune éclaire la vieille bâtisse, et je me perds quelques secondes dans les souvenirs de nos premières étreintes qui ont eu lieu sur la terre que je foule. Revenir ici me rend un peu nostalgique d’un temps qui n’est pourtant pas si lointain, mais où notre relation, déjà interdite, ne semblait pas peser si lourd.

Je grimace et me sors ces idées de la tête en cachant mon vélo dans un fourré avant de me diriger vers la vieille porte en bois qui grince lorsque je la pousse. Mes épaules s’allègent à la seconde où je tombe sur son regard, où les flammes des bougies qu’il a installées pour nous éclairer se reflètent et dansent. Elles masquent à peine le désir que je peux y apercevoir alors qu’il me détaille des pieds à la tête. Je ne patiente que quelques secondes avant de le rejoindre pour l’enlacer et retrouver le goût de ses lèvres. Le risque en vaut la chandelle, il me suffit d’un regard pour en être convaincue, d’un contact pour oublier la menace qui plane au-dessus de nos têtes.

— Bonsoir, Beau Poète, souris-je alors qu’il me serre contre lui. Tu m’as manqué.

— Quel plaisir de te retrouver, Femme de mes rêves ! J’ai pensé à toi chaque jour, sans trêve. Je crois que tu peux imaginer l’intensité de la joie que j’éprouve à te retrouver, car ton impatience et ta folie doivent au moins l’égaler.

Est-ce que j’ai l’air d’une nunuche, à apprécier ses déclarations ponctuées de rimes ? Je n’ai jamais été une grande romantique, du moins je ne me le suis jamais permis, mais j’adore l’écouter. Je crois que je ne pourrai jamais m’en lasser.

— Je pourrais passer mes journées à t’écouter, tu sais ? souris-je en l’attirant sur la couverture qu’il a déjà installée.

— Et moi, je pense que je pourrais passer ma vie à t’aimer, répond-il en m’embrassant à nouveau, toujours aussi passionné.

Je me laisse aller à cette étreinte avec une furieuse envie de fusionner nos corps. Ses mains se montrent à la fois douces et entreprenantes, sa bouche délicate et possessive, et il ne tarde pas à m’attirer sur ses cuisses sans cesser de me dévorer. Bon sang, c’est tellement bon, tellement excitant de sentir son empressement et sa propre envie, presque insatiable. Je me retrouve rapidement débarrassée de ma robe. Sa bouche dévore littéralement ma poitrine et je me liquéfie sous ses caresses. Pour autant, j’agrippe son poignet et le stoppe lorsqu’il cherche à glisser sa main dans ma culotte.

— Malcolm, je… j’aurais dû te le dire plus tôt, j’imagine, soufflé-je, haletante, mais… on ne peut pas aller au bout, je…

Pourquoi c’est si difficile de parler de ça ? Je n’ai jamais eu aucune difficulté à l’évoquer, mais face à un homme, le sujet me paraît tellement déplacé… C’est stupide.

— Je suis dans la période où je pourrais tomber enceinte. C’est trop risqué.

— Comment tu sais ça ? demande-t-il, ahuri en entendant mes propos.

— Heu… un calcul tout simple par rapport aux périodes de règles. Bienvenue dans le monde des femmes, mon Chéri.

— Les périodes de règles ? Quelles règ… Oh ! je vois ! Je… je n’avais jamais pensé à ça… Mais ça veut dire que tu n’as pas envie de faire l’amour ?

Je l’observe en silence avant de rire. Être sur cette île nous rend tellement étriqués niveau connaissances, c’est fou !

— Ça veut dire qu’on va éviter la pénétration, sinon, on risque d’être envoyés au recyclage sous peu. Ça n’a rien à voir avec l’envie, Malcolm, je t’assure.

Je le vois réfléchir un moment à ce que je lui ai dit, sans cesser de me caresser. Il plisse les yeux puis esquisse un sourire coquin.

— C’est juste la pénétration que je dois éviter, alors, n’est-ce pas ? demande-t-il en déposant des baisers sur mes seins avant de me renverser sur le dos pour poursuivre sa descente.

Oh bon sang… Je sens mon intimité palpiter d’anticipation. J’adore quand il plonge entre mes cuisses, la douceur de sa langue, de ses lèvres, qui contraste avec le frottement de sa barbe contre l’intérieur de mes cuisses et mon pubis sensible… C’est une combinaison qui me fait décoller à coup sûr. Pourtant, Malcolm s’amuse à me faire languir, il dépose des baisers humides à la lisière de ma culotte, son regard plongé dans le mien, quand bien même j’ai glissé ma main dans ses cheveux et l’incite à descendre plus bas.

— Bon sang, arrête de jouer, bougonné-je au bout de ce qui me semble être une éternité en soulevant les hanches pour faire glisser moi-même ma culotte sur mes cuisses.

— J’aime beaucoup jouer avec toi, tu sais. Je trouve ça tellement beau et excitant. Je t’aime, conclut-il avant de plonger sa langue entre mes lèvres qu’il caresse de ses doigts.

J’inspire bruyamment et me cambre, savourant chaque contact que je parviens à discerner tout en sentant cette boule de plaisir qui prend naissance au creux de mon ventre. Oh mon Dieu, je pourrais mourir pour ces sensations. C’est tellement bon que je me demande comment je fais pour ne pas jouir en trente secondes top chrono. Et je ne sais pas non plus comment j’arrive à avoir encore un minimum de lucidité pour me redresser et l’inciter à en faire de même pour le stopper. Ma bouche s’abat brusquement sur la sienne tandis que je déboutonne son pantalon, et je ne m’arrête que le temps de lui enlever son tee-shirt. Honnêtement, c’est une torture, je crève d’envie de le sentir en moi, de retrouver ce plaisir d’être imbriqués l’un dans l’autre, de ne plus faire qu’un. Mais cette nuit, c’est impossible, il nous faudra rester sages, du moins, ne pas pousser notre chance trop loin non plus.

Il ne nous faut pas bien longtemps pour lui retirer ses vêtements, et entre nous se dresse son sexe, tendu au possible, qui me nargue et me donne envie de prendre notre chance. Mais il ne faut pas, surtout pas, c’est trop risqué, trop dangereux, alors quand il m’entraîne à nouveau en position horizontale, je le repousse pour l’allonger et nous nous retrouvons rapidement tête-bêche. Si son regard me manque presque instantanément, sa bouche reprend ses assauts suffisamment vite pour m’empêcher de penser, et je lui rends coup pour coup, caresse pour caresse, de mes mains, de ma bouche, de ma langue. Ses gémissements répondent aux miens, son corps se tend sous moi et je peine parfois à garder les idées claires, mais nous avons le même objectif et, même si je jouis la première, je ne m’avoue pas vaincue et poursuis ma torture jusqu’à ce qu’il explose finalement dans ma bouche dans un grognement guttural qui me donnerait presque envie d’attaquer déjà pour un second round.

Je finis par bouger pour retourner me lover dans ses bras, tout contre son corps alors qu’il attrape une couverture à côté de lui et nous isole du petit courant d’air qui se fraie un chemin par je ne sais où.

— Je t’aime aussi, murmuré-je à son oreille avant de déposer des baisers le long de sa mâchoire.

— Ça fait vraiment du bien de te retrouver et de pouvoir passer du temps avec toi, Madame la Gourmande.

— Ne m’en veux pas si je m’endors vite, je suis gourmande, mais aussi crevée par mes journées au cabinet. Enfin… rien ne t’empêche de me réveiller dans la nuit quand même.

Je lui souris et l’embrasse tendrement avant de poser ma tête contre son épaule. Et effectivement, je ne mets pas bien longtemps à trouver le sommeil, bercée par sa respiration et ses doigts qui massent mon cuir chevelu et jouent avec mes cheveux.

Je ne suis pas beaucoup plus reposée quand je récupère mon sac à dos le lendemain matin. Malcolm m’a effectivement réveillée cette nuit, d’une manière bien trop agréable pour que je décline l’invitation au plaisir. Sentir son sexe me pénétrer comme il le fait d'habitude avec ses partenaires, retrouver cette fusion dans des sensations nouvelles, quelle expérience !

Les premiers signes de l’arrivée de l’aube se font voir à travers les vitres du moulin et il ne faut pas que je tarde à prendre la route. Pourtant, je peine à quitter la chaleur de ses bras. Je ne sais trop combien de baisers nous échangeons, combien de “au revoir” répétés car il nous est difficile de nous séparer, mais quand je suis enfin sur mon vélo, je n’ai plus besoin d’allumer ses éclairages pour y voir quelques chose et je ne fais pas du tout la maligne sur le territoire des hommes, tendant l’oreille, m’arrêtant avant chaque virage qui ne me donne pas la visibilité nécessaire pour savoir s’il y aura quelqu’un sur ma route quelques mètres plus loin. Et je fais bien, parce que l’un des embranchements fait s’emballer mon cœur, et pas d’amour ou de plaisir, loin de là. A quelques dizaines de mètres sur ma gauche, se trouve un troupeau de gardes en marche en direction du village, et j’ai à peine le temps de descendre de mon vélo pour m’engouffrer dans le sous-bois que je commence à distinguer leurs voix. Je regarde rapidement autour de moi et m’allonge derrière le premier buisson qui me semble suffisamment fourni pour pouvoir me cacher. L’une des pédales de mon vélo me martyrise la hanche mais je ne bronche pas, ne bouge plus, et grimace en entendant les pas et les voix qui s’élèvent tout près de moi. Mon rythme cardiaque est encore plus élevé, je sens le rythme effréné de mon palpitant cogner dans mes tempes et mes oreilles, et je ne me rends compte que je retenais mon souffle que lorsque mon corps se détend, mon cerveau réalisant qu’ils sont passés et ne m’ont pas vue.

Je ne veux pas que toutes nos nuits se terminent comme ça. C’est bien trop désagréable après avoir passé des heures dans les bras l’un de l’autre ! L’ascenseur émotionnel est trop fort, trop brutal. A ce rythme-là, c’est la crise cardiaque avant quarante ans !

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