27. La fin du périple

9 minutes de lecture

Jade

— Attends, ne pars pas trop vite !

Je le retiens par la main et l’empêche de sortir du fourré pour me presser contre lui. J’ai beaucoup de mal à le lâcher, j’avoue. Depuis hier soir et notre découverte commune, depuis que j’ai senti ce que ça fait d’être touchée par un homme, d’être embrassée, caressée… j’ai envie de passer mon temps juste là, contre son torse. De sentir sa bouche sur la mienne, ses mains au creux de mes reins, ses bras qui m’enveloppent, son envie qui se fait ressentir contre mon ventre. Bon sang… j’ai réalisé hier soir que le Conseil nous privait de l’extase pure et dure. Il n’y a aucune comparaison possible entre la peau d’un homme et un jouet… Je me demande comment je pourrais encore jouir entre les mains d’une femme maintenant que j’ai connu l’extase grâce aux siennes…

Malcolm et moi avons passé la soirée à nous découvrir, à expérimenter, à admirer, à nous vénérer… Je crois n’avoir jamais autant rougi sous le regard d’une personne, mais cette lueur curieuse et excitée qui perçait dans ses yeux m’a embrasée autant qu’elle m’a intimidée.

Notre journée de marche pour rentrer a été parsemée de beaucoup plus d’arrêts que durant les deux premiers jours. Et je n’ai pas vraiment pu retrouver mon souffle lorsque nous faisions une pause. C’est simple, j’ai l’impression d’être devenue accro en un quart de seconde, et je ne saurais dire si c’est au moment où nous nous sommes enfin retrouvés nus l’un contre l’autre, où à l’instant où son sexe tendu s’est retrouvé niché en mon sein.

Je dois avoir les yeux brillants depuis vingt-quatre heures, la chair de poule depuis autant de temps, l’estomac retourné, la tête dans les nuages, les tétons pointés… Et la liste est non-exhaustive. Si je m’écoutais, je l’attirerais un peu plus loin pour profiter une dernière fois de cet interdit que je ne veux plus jamais éviter.

Mais nous sommes à quelques centaines de mètres du centre du village et ça ne serait pas du tout sérieux. Il faut que je rentre à la maison avant que Liz s’inquiète de ne pas me voir revenir. Et que j’essaie de digérer tout ça, d’analyser, de reprendre pied avec la réalité. Oui, c’est ce que je devrais faire… dans l’idéal. Sauf que j’aime bien trop sentir les mains de Malcolm passer sous mon débardeur pour caresser mes hanches. Et je me tortille lorsqu’il les remonte le long de mes flancs, gloussant jusqu’à ce que ses pouces atteignent la naissance de mes seins. Comment un simple effleurement, une caresse légère, peut-elle m’exciter à ce point ?

Je finis par soupirer lourdement et niche mon nez dans son cou, y pose mes lèvres, respire son odeur… Je prends ma dose, somme toute.

— Tu pourras faire demi-tour quand tu me croises ? murmuré-je. J’ai peur d’être incapable de ne pas te sauter dessus quand je te verrai.

— Si je fais ça, ça va se voir, non ? Il va falloir qu’on soit discrets si on veut rester hors des radars du Conseil.

— Ça se verra sans doute moins que si je te saute au cou et te déshabille au beau milieu du village, non ? Je… je sais qu’il faut qu’on fasse attention, en fait, je me demande surtout comment on va pouvoir se voir plutôt que comment rester discrets.

— On va trouver, on est voisins, ça devrait créer des opportunités. Ou on les créera nous-mêmes. Ne t’inquiète pas, quand je veux quelque chose, je fais tout pour l’obtenir.

— J’ai hâte de voir ça, beau poète, souris-je après l’avoir encore embrassé. Bon… je te laisse partir, cette fois, j’arrête de faire mon pot de colle. Rentre bien.

Il m’enserre dans ses bras et m’embrasse une dernière fois avant de me chuchoter à l’oreille :

— J’aime bien quand tu fais ton pot de colle. Tu n’hésites pas à le faire quand tu veux. A très vite, jolie merveille.

C’est lui, l’interdit merveilleux… Je lui souris et recule de quelques pas avant de lui sauter à nouveau dessus, et nous nous séparons finalement… Malheureusement. Honnêtement, j’ai eu très envie de lui proposer de venir en douce chez moi, mais avec Liz, c’est impossible. Et trop risqué, j’imagine. Même si j’ai confiance en elle, je préfère ne pas tenter le diable. Dès les premiers jours, ce serait quand même un comble.

Je récupère mon vélo et l’enfourche finalement pour rentrer à la maison. J’adore mon chez-moi, vraiment, mais je crois bien que c’est l’une des premières fois où y retourner me déprime plus que ça me fait du bien. Même s’il m’arrive de m’y sentir seule, du moins c’était le cas quand Liz ne partageait pas les lieux avec moi, j’aime quand même retrouver mon petit monde et m’occuper de mes plantes, cuisiner, me poser pour lire un livre… Sauf que là, j’aimerais surtout retrouver Malcolm dans mon grand lit. Ou sous la douche. Sur le canapé. Le plan de travail. Le transat. Ouais… je crois qu’il m’aura suffi d’une nuit pour devenir accro. La question reste entière : Accro à quoi ? Au sexe avec un homme ou à lui ?

Je dépose mon vélo sur le côté de la maison et referme le portillon en m’étirant. La douche… J’ai hâte. Je n’ai absolument rien contre un lavage au moulin, surtout si c’est le poète qui me frotte le dos comme ce matin, mais j’avoue que l’eau chaude et le shampoing me manquent. Je ne suis pas sûre d’économiser l’eau, ce soir.

Je soupire en constatant que toutes les lumières sont déjà allumées en bas. Liz n’est vraiment pas économe, et pas seulement en ce qui concerne la flotte. Dès qu’elle y voit un peu moins bien, elle allume tout. Ma maison est un sapin de Noël continental, comme j’en ai vus dans les livres qui nous apprenaient combien les gens d’aujourd’hui gaspillent. J’entre, laisse tomber mon gros sac dans l’entrée et bloque totalement sur le tableau qui m’est offert, davantage dans le reflet de la baie vitrée qu’en direct.

Je me racle la gorge bruyamment et croise le regard de Mathilde qui se redresse, les seins à l’air, avant que Liz ne pointe à son tour son nez, rouge écarlate.

— Bonsoir… Je dérange, peut-être ?

— Oh, tu es déjà là ? demande Liz qui me dévoile à son tour sa poitrine.

— Techniquement, je suis en retard sur l’horaire prévu, mais… oui, je suis déjà là. Désolée pour votre petite sauterie.

— C’est nous qui sommes désolées, Jade, me dit mon ancienne sexfriend. Mais je crois qu’on n’arrive plus à se séparer… C’est fou comme c’est bon, ajoute-t-elle en dévorant du regard la jolie blonde.

Je n’arrive pas à déterminer ce que ça me fait de les trouver toutes les deux. Je n’ai pas la petite pointe de jalousie que j’ai ressentie lorsque Mathilde est venue voir Liz sur demande du Conseil, c’est sûr. Je crois que, finalement, je suis plus gênée d’être tombée sur cette scène que par le fait qu’elles puissent se fréquenter. Si Mathilde est heureuse, ça me va, et si Liz se sent mieux sur l’île grâce à ça, pareil. Je dirais que je suis quand même un peu jalouse, en fait, mais surtout parce que j’aimerais être moi-même sur ce canapé, et pas avec elles.

— Je vais prendre une douche, je vous laisse préparer le dîner. Je vous abandonnerais bien pour votre intimité, mais c’est chez moi, quand même.

Je parle de manière posée, sans pour autant sourire ou leur donner un quelconque indice sur la façon dont je prends les choses. Et je me réfugie dans la salle de bain et me glisse sous l’eau chaude rapidement en me demandant pourquoi ça ne me fait rien du tout. Les trouver là, toutes les deux, alors que j’ai moi-même pu embrasser, caresser et faire jouir leurs corps, ne m’a rien fait. Pas d’excitation, pas de déception, pas de jalousie, pas de colère. Non, la seule chose que je me suis dit, c’est que j’aurais aimé rentrer ici avec Malcolm. Maintenant, je me dis que je m’emballe carrément à cause du beau poète. J’ai la sensation d’avoir atterri dans un univers parallèle, là. Ou de me réveiller après des années d’un sommeil profond, d’un coma, d’un rêve étrange. Ma curiosité sur l’histoire du Conseil et les raisons qui ont pu pousser nos ancêtres à diviser l’île en deux ne fait que croître, tout comme mon envie de faire tomber ces murs entre hommes et femmes.

Mais nous sommes bien loin de tout ça. La réalité est là : deux femmes avec qui j’ai couché et pris du plaisir semblent vouloir se mettre en couple, et ça me fait plaisir pour elles, même si ma solitude revient en force alors que je regagne le salon, dans mon short et mon tee-shirt de nuit. Elles sont toutes les deux devant l’évier, rhabillées, et chuchotent comme si elles préparaient un plan pour me faire accepter leur relation, qu’elle soit amoureuse ou purement sexuelle.

Je jette un coup d’œil à la trace de bronzage sur mes cuisses, unique preuve physique de mon voyage alors que mon corps a subi bien des choses durant ces dernières vingt-quatre heures. Le soleil et le sexe, si ça, ce n’est pas le pied, je me demande ce qui pourrait bien me satisfaire.

— On mange quoi, les filles ? leur demandé-je, les faisant sursauter toutes les deux.

— A part le minou de Liz ? pouffe Mathilde en lançant une œillade à ma colocataire. Ce soir, c’est gratin de pâtes et petits légumes.

OK, je vois qu’elles ne semblent finalement pas si gênées que ça. J’ai quand même un petit pincement au cœur, j’avoue. Je sais bien qu’il n’y avait rien de sérieux avec Mathilde, et pour cause, c’est moi qui l’imposais, mais j’imaginais quand même qu’elles seraient un peu mal à l’aise de s’être fait griller, non ?

— Super. Des potins sur ces jours que j’ai manqués ? Enfin, je veux dire, à part vous en train de vous dévorer sur MON canapé, j’entends, continué-je platement en mettant la table.

— Désolée, Jade, intervient Liz, beaucoup plus mal à l’aise. La prochaine fois, on ira chez Mathilde, on ne va pas te déranger… Et pour les potins, il y a juste Marguerite qui ne va pas très bien depuis le recyclage de Gislaine. Je lui ai proposé de venir te voir pour que tu la soignes si elle en a besoin.

— J’irai la voir demain, soupiré-je en sentant mes épaules s’affaisser brusquement. Je n’aurais pas dû partir trois jours. Quant à vous… vous ne me dérangez pas, mais ne comptez pas sur moi pour vous laisser mon grand lit. Après deux jours à dormir par terre, je ne rêve plus que de le retrouver.

Même si, honnêtement, je paierais cher pour dormir par terre si je suis enveloppée dans les bras de Malcolm. Et je me sens affreusement égoïste, tout à coup, de penser à ça alors que Marguerite est malheureuse.

— Donc, toutes les deux ? continué-je pour me changer les idées. Je dois comprendre que je n’ai plus rien sous la main pour m’amuser ?

— Disons que si tu veux t’amuser, je pense qu’il va falloir nous partager… Je crois que Liz m’a donné envie d’arrêter d’aller voir un peu partout, là. Et je n’ai rien contre toi qui se joindrait à nous, mais je doute que ma blonde soit vraiment d’accord avec ça.

Honnêtement, je ne sais même pas si je ne vais pas finir avec une réputation de nonne au village, parce qu’aussi agréables soient-elles, toutes les deux… la seule personne avec qui j’ai envie de remettre le couvert a de la barbe et manie les mots comme personne d’autre sur cette île. Sans parler de ses mains baladeuses, douces et fermes à la fois, caressantes et sensuelles… Oh là, là, on se calme, Jade.

— Je prends note. Vu le boulot que j’ai, de toute façon, je vais faire du boulot-vélo-dodo dans les semaines à venir.

Parce qu’après les “vacances”, c’est parti pour les bilans gynécos avant que le Conseil ne sélectionne les grandes gagnantes… Et pour une fois, je crois que je vais apprécier un peu plus. Non pas que j’adore faire ça, mais j’aurai l’excuse parfaite pour rester tard au village… et, qui sait, créer des occasions, je l’espère !

Annotations

Vous aimez lire XiscaLB ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0