10. Le rapprochement avant la tempête

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Malcolm

Une petite voiturette passe dans la rue avec un gros haut parleur qui diffuse un message assez alarmiste sur la tempête qui s’annonce. C’est rare que le Conseil mobilise autant de moyens et je me dis que les intempéries qui sont prévues doivent être terribles. Chez moi, dans mon petit appartement, tout est prêt et j’ai installé les planches en bois que l’on met de côté pour de telles circonstances, mais je suis inquiet pour la bibliothèque et ses grandes baies vitrées. Le dernier bulletin météo a prédit en effet une accélération des vents et la tempête devrait nous toucher dimanche au lieu de lundi. C’est fou comme elle fonce rapidement vers nous.

Après avoir un peu hésité, j’enfourche mon vélo et me rends sur mon lieu de travail bien que ce ne soit pas un jour où je devrais y aller. Je sais de toute façon que ce n’est pas Murielle, l’autre bibliothécaire, qui va faire quoi que ce soit. Les rues sont assez désertes et le peu de personnes que je croise semblent pressées d’arriver, quelle que soit leur destination. Lorsque je débarque à la bibliothèque, je file directement à la réserve au sous-sol pour y récupérer les grandes planches que je vais devoir installer seul sur les vitres. Cela ne va pas être évident mais je n’ai pas vraiment le choix. La localisation du bâtiment offre certes une magnifique vue sur l’océan mais l’inconvénient, c’est qu’il est en première ligne lorsque Mère Nature se déchaîne et vient tenter de nous démontrer à nous, pauvres Terriens, que nous ne sommes rien face à sa puissance et sa grandeur. Quelques vers me viennent à l’esprit que je note dans un petit coin de ma tête.

Mère Nature se révolte et n’accepte plus qu’on la martyrise aussi impunément

Elle nous montre par la force que nous ne sommes que de petites gens

Et nous qui sommes ses enfants, nous espérons qu’elle nous épargnera

Qu’après sa colère, la beauté de son calme elle retrouvera

Et ce sera pour nous le signal pour la célébrer et la fêter

De rire, chanter, danser, s’amuser et surtout la remercier

En réfléchissant à ce petit poème, j’ai commencé à installer mon matériel pour sécuriser les pièces. Je débute par l’étage où les risques sont les plus importants et je m’attelle à la tâche pendant quelques heures. J’en profite pour noter que les docs ont l’air présents dans leur cabinet au vu de la lumière que je discerne à travers les planches de bois. Une fois terminé, je redescends mon échelle et mes outils dans la grande pièce du bas. Je soupire car je me demande si je vais avoir le temps de tout faire et me dépêche donc de reprendre mes activités.

Alors que je suis en train de clouer une planche, mon attention est attirée par un perroquet qui vient se poser sur un petit poteau en face de la bibliothèque. Et là, les événements s'enchaînent sans que je ne puisse rien faire. Le coup que je porte avec le marteau est légèrement dévié et c’est mon doigt que j’écrase. La douleur irradie tout mon corps et je dois m’accrocher à un barreau de l’échelle pour ne pas me retrouver à terre. J’ai l’impression que mon poignet se déchire alors que je parviens difficilement à maintenir mon équilibre.

Lorsque je retrouve assez mes esprits, je constate que mon doigt est déjà tout gonflé et mon poignet me lance à chaque fois que j’essaie de le mouvoir. C’est grave, je pense, et il faut que je demande à Daniel, le médecin, d’examiner ce que je me suis fait. Cela ne peut pas attendre la fin de la tempête et je laisse donc tout en plan avant de me précipiter dans le bâtiment d’en face. La porte d’entrée est fermée et je me demande ce que cela signifie. J’arrive trop tard et les médecins sont partis ? J’insiste jusqu’à ce que je voie arriver sur le côté du bâtiment Jade, inquiète.

— Oh Jade, j’ai besoin de Daniel. Tu peux lui dire que je me suis blessé et qu’il faut qu’il s’occupe de moi ?

— Il est parti y a déjà une bonne demi-heure. Entre de mon côté, je vais voir ce que je peux faire. Qu’est-ce qui t’est arrivé ?

— J’essayais de sécuriser la bibliothèque, j’ai vu un perroquet et… je ne sais pas, je me suis tapé sur le doigt et je crois que je me suis foulé le poignet. J’espère qu’il n’est pas cassé. Tu es sûre qu’il ne vaut pas mieux que j’attende Daniel ?

— Eh bien, à toi de voir si tu préfères attendre qu’il revienne, après la tempête. Tu as peur de quoi ? Ils sont trop occupés à se terrer dans leur château pour voir qu’on se retrouve dans la même pièce, toi et moi, si tu penses aux membres du Conseil. Fais-moi voir ton poignet, viens à l’intérieur.

De quoi j’ai peur ? Tout simplement que la douleur ne soit pas suffisante pour m’empêcher d’avoir le même type de pensées que j’ai depuis quelque temps maintenant et qui occupent mon esprit, même quand je suis avec un mec. La nuit avec Marco a été particulièrement érotique et pourtant, j’ai presque tout le temps eu les images de Jade en tête. C’est fou.

— Je te suis, j’ai trop mal, il faut faire quelque chose. Mais j’espère que je ne vais pas te retenir trop longtemps, il faut que tu rentres chez toi aussi !

— Chez moi ou ici, ça ne changera pas grand-chose. Si je peux être utile, ce sera avec plaisir, sourit-elle en entrant dans le cabinet des femmes.

Je la suis en faisant attention à ne pas cogner mon poignet ou mon doigt martyrisé. Le perroquet qui a causé tous ces problèmes semble me narguer sur son poteau et je le vois s’envoler une fois que la porte du cabinet se referme sur moi, comme s’il avait accompli sa mission.

— Attention, je suis un peu douillet. Tu vas me faire quoi ?

— J’hésite. Soit je coupe la main, soit je coupe le bras complet. T’en penses quoi ? Assieds-toi, le poète douillet, que je regarde à quel point c’est grave.

— Je crois que je vais attendre Daniel, finalement, dis-je en souriant. Ses solutions ont l’air moins drastiques que les tiennes !

Je m’assieds sur la banquette médicale où elle m’installe et je suis obligé de fermer un peu les yeux lorsqu’elle dirige le faisceau lumineux sur moi. Je sens sa main qui se pose sur mon bras et elle remonte délicatement la manche avant de palper un peu partout sur mon membre endolori. Je ne peux retenir un petit cri lorsqu’elle manipule mon poignet.

— Tu sais, je crois qu’il est là le problème. Je ne suis pas médecin mais je sais où j’ai mal ! grimacé-je alors qu’elle est toujours en train de me torturer.

— Vous êtes vraiment des chochottes, vous, les hommes, c’est fou, rit-elle. Je comprends que Daniel vous bichonne. Ça n’a pas l’air cassé, mais il faudra faire une radio. Je vais voir si j’ai une attelle suffisamment grande pour ton poignet en attendant que tu puisses aller à l’hôpital en toute sécurité, au cas où. Mais ça devrait le faire. Tu veux quelque chose pour la douleur ?

— Oui, je veux bien un truc, mais pas un de ces cachets bio qui ne servent à rien. J’ai vraiment mal, là. Et pour mon doigt ? demandé-je en montrant l’autre main.

— Tu ne t’es pas raté, dis-donc. Je vais te ramener de la glace pour éviter le gonflement et pour apaiser la douleur. L’arnica, c’est bio, et ça marche bien, tu sais ? Il va falloir que je justifie la sortie de médicaments, soupire-t-elle en mordillant sa lèvre inférieure. Bon, on verra plus tard pour la justification.

— Tu n’auras qu’à dire qu’ils se sont envolés, personne n’ira vérifier. Mais merci pour ton aide, en tout cas. Je… ça me fait plaisir que tu t’occupes de moi ainsi.

— Avant d’être un homme et une femme, nous sommes des être humains, non ? Si je ne te soigne pas, ça fait quoi de moi ?

— Tu es un bon médecin, c’est sûr. Par contre, tu entends le vent ? Il est déjà fort… Tu crois que tu vas pouvoir rentrer chez toi ? Moi, avec l’attelle que tu m’as mise, c’est mort pour le vélo. Je vais aller me réfugier au sous-sol de la bibliothèque.

— Eh bien… je vais rester là en attendant que ça passe, au pire. C’est pas bien grave, Liz va tout fermer, je lui ai montré comment faire.

— Tu ne vas pas rester ici ? Le cabinet est encore plus exposé que la bibliothèque et pas aussi sécurisé ! Ça te dit de venir avec moi ? Enfin… ajouté-je gêné. Il y a de la place. Ce serait juste mieux pour ta sécurité, je trouve.

— Tu m’offres le refuge ? Eh bien… comment dire non ? J’espère que le sous-sol n’est pas trop bas de plafond, je suis claustrophobe, je te préviens. Je risque la crise de panique à chaque instant. Tu es sûr de toi ?

— S’il t’arrivait quelque chose ici, je m’en voudrais toute ma vie. Alors, viens avec moi, oui. Et puis, il faut que tu assures la surveillance de ton patient, non ? Ah, et le plafond est à hauteur d’homme. On y a nos réserves et nos archives, tu sais ?

— Si tu as une réserve de chocolat, ce sera encore mieux, sourit-elle en enfilant sa veste par-dessus son pull.

— J’ai ma réserve personnelle dans mon bureau, indiqué-je en souriant et en me préparant à affronter les vents violents qui commencent déjà à bien agiter les arbres.

— Si tu me prends par les sentiments… Tu as à boire au cas où on serait coincés pendant deux jours ?

— Juste de l’eau, mais ça devrait aller, non ?

— Parfait. Allons-y alors… Après toi. Si tu t’envoles, je saurai qu’il faut que je reste à l’intérieur.

— Accroche-toi à moi, à deux, on aura plus de chance de résister.

Et puis, je ne dis pas non à un petit rapprochement. Cela fait-il de moi un obsédé ou un pervers ? Je ne sais pas, mais j’en suis presque à remercier cette tempête de nous avoir permis de passer ce moment ensemble. Alors le prolonger au sous-sol de la bibliothèque, c’est le petit bonus que je ne vais pas refuser.

— Tu ne chercherais pas à en profiter, rassure-moi ? me demande-t-elle, toute sérieuse, avant de rire en voyant ma tête. Ça va, je plaisante. Et puis l’idée me plaît bien.

— Disons que l’idée ne me déplait pas du tout. Je ne suis pas mécontent de pouvoir passer les prochaines heures en ta compagnie !

Et il va vraiment falloir que je me calme car mon esprit torturé est déjà en train de se faire mille scénarios qui se terminent tous de la même façon : Nos corps imbriqués, notre étreinte passionnée, de multiples baisers échangés et des moments que jamais nous ne pourrons regretter. Je crois vraiment que cette tempête a déjà commencé ses dégâts et que les plus importants risquent de se produire au fond de moi, de nous peut-être si mon instinct sur ce qu’elle ressent ne se trompe pas. Et cela ne m’effraie pas le moins du monde.

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