59. Le port des voyeurs

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Jade

Le soleil n’est même pas encore levé quand j’ouvre les yeux. Le visage de Malcolm est à quelques centimètres à peine du mien et sa main se balade sous les duvets, caressant ma peau et me tirant un frisson. Je paierais cher pour être réveillée de la sorte tous les matins. Son regard empli de tendresse et ses gestes tendres me font sourire, et j’ai la sensation que notre relation a encore évolué, qu’il cajole mon corps avec une certaine dévotion, outre l’excitation que je peux lire dans ses yeux, à la lueur du feu que Liz ou lui a dû raviver durant la nuit.

Je glisse ma main dans ses cheveux et dépose un baiser sur ses lèvres, tout en le repoussant doucement pour m’installer à califourchon sur lui. La morsure de l’air frais sur mon corps me pousse à me presser contre lui, remontant le duvet sur nous en retrouvant sa bouche qui se fait plus gourmande. J’ondule contre lui, sentant ses mains se promener sur moi, empoigner mes hanches, mes fesses, pour accompagner mes mouvements, mais nous nous stoppons tous deux dans notre élan en entendant ma colocataire manifester sa présence.

— Vous comptez encore m’exciter de bon matin ?

Je pouffe et sens mes pommettes chauffer quand je prends conscience de ce que vient de dire Liz et ce qu’elle sous-entend par la même occasion. Il faut croire que nous n’avons pas été assez discrets hier soir…

— Tu peux retourner te coucher et nous tourner le dos, au pire, ris-je sans bouger.

— Je préfèrerais me joindre à vous. C’est frustrant de ne faire que regarder ! répond-elle, en se redressant un peu, appuyée sur ses coudes.

— Je ne suis pas partageuse, bougonné-je en la fusillant du regard.

Bon, ok, c’est un peu nouveau, ça. Je n’ai jamais eu de problème à coucher avec une femme qui s’amusait ailleurs… Mathilde n’a jamais été très à cheval là-dessus, on s’amusait juste, parce qu’on s’appréciait, que ça roulait tout seul, qu’on se connaissait bien. Jasmine… était dans la recherche de l’exclusivité, mais je ne lui ai jamais demandé de l’être…

J’ai répondu sans réfléchir, mais j’en viens à me demander si ça plairait à Malcolm, si ça lui fait envie. Et je crois bien que je suis piquée par la jalousie à l’idée de le voir embrasser et toucher une autre femme… Me voilà jalouse et possessive, un comble ! Et lui, ne m’aide pas à réfléchir en plus, avec son sexe bandé contre mon ventre et sa bouche qui continue à me picorer le cou. J’ai l’impression que la proximité avec Liz ne le dérange pas du tout.

— Bon, je ne fais que regarder, alors. Je vois mieux qu’hier soir, c’est déjà ça, énonce-t-elle en souriant.

Sérieusement ? Bon sang, par correction, je serais allée me balader plus loin, moi. Malcolm a beau me détourner au maximum de Liz, je n’arrive absolument pas à faire abstraction, moi, et je finis par m’allonger à ses côtés, sur le dos en soupirant lourdement.

— Tu fais chier, Liz, bougonné-je.

— Oh, tu n’es pas drôle, toi ! Bon, allez, je me retourne et je me rendors. Faites comme si je n’étais pas là.

— Non, c’est mort, tu m’as coupé toute envie, là.

J’ai l’impression d’être une petite jeune prude, mais ça me fait bizarre de la savoir à côté de nous, excitée de nous voir, de nous entendre… surtout que j’ai partagé une certaine intimité avec elle, moi aussi.

Je lance un regard d’excuse à Malcolm et me lève pour m’habiller rapidement. Le petit déjeuner est vite expédié, mais nous ne nous privons pas d’une boisson chaude pour bien commencer la journée. Liz arbore un regard taquin qui me met un peu mal à l’aise. Je n’arrive pas à croire qu’elle nous ait entendus et n’ait rien dit. Vive le malaise, de mon côté au moins. Ça ne semble pas vraiment perturber Malcolm qui se montre toujours aussi tactile avec moi, ce qui a au moins le mérite de me détendre.

— Vous allez encore vous titiller toute la journée, tous les deux, ou ça va aller ? demandé-je alors que nous reprenons notre route.

— Je ne sais pas, répond mon barbu en souriant, ça dépend si la voyeuse nous mate en silence ou pas.

— Liz, silencieuse ? m’esclaffé-je. Impossible.

— Bien sûr que je peux être silencieuse ! Si tu savais le nombre de fois où j’ai maté ton cul depuis que je l’ai vu tout nu, l’intello, ricane l’intéressée alors que j’attrape son poignet au vol.

— Arrête de tripoter Malcolm, sinon je te jure que je vais sortir les crocs.

— Oh, si je ne peux pas toucher ni même regarder, je me demande bien à quoi je sers, moi !

— Je me le demande aussi, ricane mon amoureux qui prend la tête de notre petite marche, juste devant moi.

— C’est toi qui as insisté pour venir, je te rappelle. C’est à toi de gérer la frustration, mais ce joli petit popotin est pour moi, souris-je en pinçant la fesse de Malcolm.

— Je confirme, il n’y a que ma Chérie qui puisse faire ça !

Je tire la langue à Liz et me glisse sous le bras de mon homme. Je sais que je ne vais pas tenir la cadence bien longtemps, mais je profite un petit moment de son contact. Deux jours avec lui, ça fait longtemps que ça ne nous était pas arrivé, et j’ai l’impression de ne pas réussir à me rassasier de lui. Je suis carrément accro, y a pas à dire.

La tension monte un peu alors que nous voyons la mer au loin, entre les arbres, et on est bien loin d’une tension sexuelle agréable. Au moins, Liz ne moufte plus, ne titille plus Malcolm, et ils avancent un peu moins vite. Je n’ai vraiment pas eu de chance, me retrouver en rando commando avec deux sportifs. J’ai l’impression d’être une mamie et je soupire de soulagement lorsque Malcolm m’attire derrière un gros buisson idéalement placé pour pouvoir observer ce qui se révèle sous nos yeux.

Mathilde disait vrai, il y a bien un port. Il est coincé entre deux rangées de rochers noirs qui ont l’air naturellement disposés pour former une petite anse qui donne sur une place où sont installés des cabanes et un grand entrepôt. Il y a pas mal d’agitation car un bateau est amarré et ils sont en train de le vider. C’est étrange de voir ces hommes et ces femmes travailler côte à côte comme si cela ne posait pas de problème. Et qui sont-ils d’ailleurs ? On ne les a jamais vus sur notre partie de l’île… Je me demande aussi ce qu’il se trouve dans tous ces cartons qu’ils déchargent et amènent dans leur grande réserve. La scène est assez irréelle car personne ne parle et le silence qui règne n’est perturbé que par quelques cris portés par des gardes armés. Se pourrait-il que toutes ces personnes ne soient pas là de leur plein gré ?

— On ne va jamais pouvoir partir par-là, chuchoté-je. Il y a beaucoup trop de monde…

— Pas aujourd’hui, mais il faut qu’on observe un peu ce qu’il se passe. On va peut-être trouver une solution, murmure Malcolm sans quitter la scène des yeux.

— Ouais, il faudrait peut-être utiliser l’embarcation qui est là-bas sur le côté, nous montre Liz en pointant son doigt vers une petite crique que je n’avais pas remarquée jusque là, un peu à gauche du port.

— Il y a quand même des gardes… avec des armes ! Dans le genre dangereux, on ne fait pas pire…

— Les gardes ne sont pas vraiment là pour surveiller le port. J’ai l’impression qu’ils sont plutôt là pour garder ceux qui déchargent. C’est comme s’ils avaient peur que les travailleurs s’échappent. C’est quoi, ce truc ? Ce ne sont quand même pas des esclaves ?

— Ce ne serait pas plus étonnant que ça. Vous n’avez pas l’impression d’être un peu esclaves de leur bon vouloir, vous ? marmonne Liz.

— Mais ils trouvent où toutes ces personnes ? En tout cas, on ne va pas pouvoir rester beaucoup plus longtemps si on veut être rentrés avant la tombée de la nuit. Ce serait bête que l’on ne puisse même pas essayer parce qu’on s’est fait arrêter en rentrant chez nous.

Il a raison, mais le spectacle, aussi particulier soit-il, est aussi plutôt hypnotisant. Du moins, il interroge suffisamment pour que nous restions quelques minutes de plus à observer le port avant de finalement rebrousser chemin.

Nous sommes tous les trois perdus dans nos pensées pendant un petit moment. Mon cerveau carbure pour essayer d’imaginer comment nous pourrions quitter l’île à partir de cette plage, mais j’avoue que, même s’ils sont davantage ici pour surveiller celles et ceux qui déchargent, les gardes armés me fichent clairement la trouille. Se prendre une balle ou être recyclée… Quelque chose me dit que le recyclage serait moins douloureux.

— Votre île est quand même drôlement glauque. Si j’adhère au côté écolo et au fait que les mecs nous foutent la paix, j’avoue que votre Conseil me fout la trouille, moi.

— Oui, tu devrais peut-être venir avec nous quand on va partir, répond Malcolm. J’ai vraiment l’impression que le ver est dans le fruit et que ce beau modèle cache des secrets pas très avouables. C’est fou comme on vivait avec des œillères avant et incroyable tout ce qu’on découvre en creusant un peu.

— Mathilde ne voudra jamais partir… Alors, j’imagine que je vais aller m’installer à la ferme avec elle à un moment donné. J’ai déjà trop perdu…

— Je comprends, soufflé-je en passant mon bras sous le sien. Qui sait combien de temps on serait restés dans l’ignorance si tu n’avais pas débarqué sur l’île et bouleversé un peu la machine bien rodée du Conseil ? D’ailleurs… je crois bien que sans ça, Malcolm et moi on ne se serait pas rapprochés, non plus. Du moins, tout coïncide.

— Ah, eh bien, si je suis la cause de tout, je mérite une récompense, non ? Et je suis littéralement ouverte à toute proposition, même indécente, pour le paiement !

— Si tu as une proposition qui inclut mon poète, tu rêves. Même pas la peine de la formuler, c’est hors de question.

— Et si ça t’inclut toi, ma puce, je rêve aussi ?

— Je te laisse voir ça avec le beau barbu. Ça fait longtemps que vous ne vous êtes pas titillés, ça me manquerait presque, ris-je.

— Le beau barbu respectera les désirs de sa chérie car il ne veut pas qu’elle soit malheureuse. On ne peut rien refuser à une femme enceinte. Mais il faudra faire vite car je pense qu’il ne faut pas qu’on traîne si on se décide à partir. Avant que la grossesse ne soit trop avancée, je veux dire.

— Donc, je peux aller m’amuser avec tout le monde et n’importe qui ?

— Je sais bien qu’il n’y a qu’avec moi que tu veux t’amuser, Chérie, répond-il en souriant. Je n’ai aucune inquiétude !

— Donc, tu ne t’en fiches pas ? Je veux dire… Tu n’aimerais pas me savoir avec quelqu’un d’autre ?

J’avoue que j’ai l’impression de marcher sur des œufs, là. Parce que, pour ma part, je vivrais très mal de le savoir avec un ou une autre. Nous n’avons jamais vraiment parlé de tout ça, mais il ne me viendrait jamais à l’idée d’aller coucher avec quelqu’un d’autre. Moi qui n’ai jamais été jalouse, je crois que je me montre un peu trop possessive avec Malcolm.

— Je vais te le dire simplement, Chérie. Si quelqu’un essaie de te draguer, il ou elle voudra ne jamais m’avoir rencontré ! Tu es à moi, rien qu’à moi, et je ne partage pas !

Pourquoi est-ce que ça me rassure et m’excite ? Où est passée la femme indépendante ? Je suis un peu trop heureuse d’entendre ces mots, je plaide coupable. Et je me rends compte que je suis vraiment tombée amoureuse de cet homme et que le perdre me briserait le cœur. Il faut absolument qu’on arrive à quitter cette île tous les deux. Tous les deux et demi, d’ailleurs. Et si ça passe par ce port flippant, je ferai avec. Espérons simplement que tout finisse pour le mieux…

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