33. Un présent sous le canapé

10 minutes de lecture

Jade

Malcolm entrouvre le volet de la baie vitrée juste ce qu’il faut pour que nous ne soyons pas totalement plongés dans le noir et obligés d’allumer la lumière. Voilà la limite de notre petite relation, aussi agréable soit-elle, aussi belle, aussi chargée d’amour… Je suis prête à faire avec, mais combien de temps avant que nous nous lassions de ce grand secret ? Ou que nous nous fassions choper et recycler ?

J’essaie de mettre tout ça de côté et dépose la vaisselle dans l’évier. Tout ce qui compte, c’est mon petit cœur qui s’emballe en croisant son regard, cette connexion que nous avons et que je n’ai connue avec personne d’autre, et ce bien-être que je ressens lorsque je suis près de lui. Si j’ai toujours apprécié me retrouver dans les bras d’une femme, je crois bien qu’il n’y a aucune comparaison possible avec ce que j’éprouve dans les siens.

Le voir évoluer dans mon chez-moi me paraît tellement normal que c’en est troublant. Malcolm m’aide à finir de débarrasser la table du dîner, torse nu, et je souris en constatant que je ne suis pas la seule à avoir l’œil qui traîne ou les mains baladeuses. Et c’est tout naturellement que je me pelotonne contre lui dans le canapé, une tasse de café à la main. Est-ce que j’ai encore piqué sa chemise ? Evidemment. Boutonnée, cette fois, du moins à moitié. Suffisamment pour que sa main glisse dessous pour caresser ma chute de reins alors que nous nous bécotons comme deux adolescents. J’ai envie de journées comme ça quotidiennement, moi. J’aime trop ce petit moment tout simple, et j’en viens à haïr le Conseil de nous en priver volontairement.

— Tu crois qu’on va supporter longtemps d’être reclus comme ça, cachés de tous ? Moi, j’ai envie de crier à qui veut bien l’entendre que je suis amoureuse…

— Je te comprends, soupire-t-il. C'est fou que quelque chose d'aussi pur et intense que ce que l'on vit soit interdit… Notre amour, n'est-ce pas la dimension la plus essentielle de la Nature ?

Il a raison. L’homme et la femme, c’est ça, la Nature. Il faut un homme et une femme pour concevoir un enfant, l’histoire est peuplée de couples hétérosexuels et d’histoires d’amour tragiques ou non entre les deux sexes. Oh, je ne dis pas que l’homosexualité n’est pas naturelle, loin de là, mais elle ne l’est pas plus que ce que nous vivons, nous.

— Tu me promets que si ça devient trop lourd à vivre, tu m’en parleras plutôt que de t’éloigner ?

— Tu n'as vraiment pas à t'inquiéter, mon Cœur, je n'ai aucune envie de m'éloigner. J'ai même envie d'encore plus me rapprocher si tu vois ce que je veux dire.

Il me prend ma tasse des mains et la dépose sur la table basse avant de me renverser sur le canapé pour me surplomber de toute sa hauteur, en appui sur ses mains, son regard plongé dans le mien. J’ai l’impression d’y voir passer tout un tas d’émotions, que le poète parvient à me communiquer sans même ouvrir la bouche. Est-il utile de développer tout ce qui se met en branle dans mon corps et mon esprit en sentant ses doigts ouvrir les boutons de sa chemise sur ma peau avec une lenteur quasi insupportable ? Et comment puis-je avoir encore autant envie de lui après cette nuit ? Ne serais-je jamais rassasiée de cet homme ?

Une fois sa chemise ouverte, il passe ses doigts sur mon torse sans jamais se presser, comme s’il cherchait à enregistrer dans son esprit chaque centimètre carré de ma peau, du petit grain de beauté sur mon sein à la tâche de naissance près de mon nombril. Et moi je perds toute retenue lorsque sa main glisse sous ma petite culotte. Trop de douceur, trop de lenteur, je ne sais pas comment il parvient à garder ce calme apparemment, parce que moi, je le veux, et pas qu’un peu. Je l’attire contre moi et soupire de contentement lorsque nos peaux entrent à nouveau en contact. J’adore sentir son poids sur moi, son corps m’envelopper, comme s’il pouvait me protéger de tout ce qui nous entoure. Me voilà à penser comme une princesse qui a besoin de son chevalier servant !

Nous nous figeons tous les deux en entendant frapper à la porte. Malcolm relâche ma bouche qu’il avait prise en otage et me lance un regard incertain alors que je grogne de frustration. On ne va décidément pas pouvoir être tranquille, c’est la poisse. Je me tortille un peu sous lui pour récupérer mon téléphone sur la table basse et constate que je n’ai pas eu d’appel.

Je reste un peu passive avant de réaliser que c’est la merde. Malcolm doit être un peu dans le même état que moi, parce qu’il se relève finalement brusquement et je finis par faire de même en entendant à nouveau frapper. Je jette un œil à ma tenue et grimace en allant récupérer un tee-shirt dans la salle de bain. Quand je reviens dans le salon, je fronce les sourcils en voyant mon amoureux secret se glisser sous le canapé.

— T’es dingue, pouffé-je en lui rendant sa chemise. Heureusement que Liz est à cheval sur le ménage, tu ne devrais pas éternuer.

— Débarrasse-toi de ces intrus rapidement, j'ai trop envie de toi, Chérie.

— Intruses, mon Chou. Il n’y a qu’un intrus et il est planqué sous mon canapé, ris-je en me dirigeant vers la porte.

Je jette un rapide coup d’œil à la pièce, souffle un coup et ouvre finalement la porte. J’ai l’impression que ma mâchoire se décroche en tombant nez à nez avec mes mères. Voilà, là, c’est carrément la merde.

— Moune ? Mounette ? Mais… qu’est-ce que vous faites là ?

— Joyeux anniversaire, Angelote !

— Joyeux anniversaire, Jadounette ! Nous avons ramené le gâteau pour rendre ta journée spéciale !

Oh… Bon sang, je n’avais même pas réalisé que c’était aujourd’hui. J’ai l’impression d’être totalement déconnectée d’avec la réalité, et je peine à m’y raccrocher, là. Je me décale pour les laisser entrer et referme la porte derrière elles. Je ne parviendrai jamais à me débarrasser d’elles, c’est sûr. On peut dire au revoir à la partie de jambes en l’air, mais je ne peux pas laisser Malcolm sous le canapé pendant des heures, non plus.

Je profite de leur étreinte et retrouve mon âme d’enfant lorsqu’elles déposent toutes les deux simultanément un bisou bruyant sur mes joues. Je suis une fille indigne de vouloir les mettre dehors. J’ai deux mamans géniales et je ne pense qu’à m’envoyer en l’air…

— Merci, je… j’avoue que je n’avais même pas pensé à ça, aujourd’hui. J’ai passé une partie de la nuit à m’occuper d’un bébé malade et de ses mères, je suis crevée, dis-je avant de me racler la gorge. Ecoutez, je… Promettez-moi de ne pas vous énerver, s’il vous plaît.

— Pourquoi voudrais-tu qu’on s’énerve ? Parce que tu es à peine habillée ? C’est ton anniversaire, tu as bien le droit de le passer comme tu veux ! Mais pas toute seule, on est là pour ça !

— Pour tout vous dire, je n’étais pas seule, en fait, marmonné-je en me mordant l’intérieur de la joue. Tu peux sortir de ta cachette, je doute que mes mères veuillent me faire recycler.

Je vois la tête de Mounette se décomposer avant même que Malcolm ne sorte presque timidement de sous le canapé. Il se dépêche d’enfiler sa chemise froissée et la boutonne en approchant. Il est trop mignon, et je me reprends en me rendant compte que j’ai un sourire niais plaqué sur le visage.

— Euh… Bon anniversaire, Jade, si j’ai bien compris. Et bonjour, Mesdames. Désolé pour la tenue, je… je ne m’attendais pas à vous voir, sinon j’aurais fait un effort.

— Oh, le beau bibliothécaire barbu est là ! s’étonne Moune en se rinçant l'œil alors que mon autre mère fronce les sourcils.

— Oui, et il n’était pas en train de la conseiller sagement sur des livres à lire, ajoute-t-elle sèchement.

— Oh, ça va Maman, soupiré-je. Évidemment qu’on ne parlait pas bouquins, il n’est pas à la bibliothèque. Je vous proposerais bien un café sur la terrasse, mais vous comprenez bien qu’on évite… Installez-vous, et va déposer ta mauvaise humeur sur le palier, Mounette, s’il te plaît, c’est mon anniversaire.

Je dépose un baiser sur sa joue et lui souris avec toute l’assurance que je peux y mettre avant de me diriger dans le coin cuisine. Je fais cependant demi-tour en route, attrape la main de Malcolm pour l’entraîner à ma suite. Hors de question de le laisser entre les mains des deux femmes de ma vie, le pauvre. Surtout que la plus coincée des deux ne se départit pas de son air renfrogné alors qu’elles vont s’asseoir sur le canapé.

— Je suis désolée, chuchoté-je à Malcolm en préparant le café.

— Ben oui, tu aurais pu me dire que c’était ton anniversaire, je t’aurais préparé un petit cadeau ! dit-il d’abord, visiblement pour me détendre un peu. Tu crois que ça va aller avec tes mamans ?

Je jette un coup d’œil par-dessus mon épaule et constate qu’elles nous observent en chuchotant de leur côté. Moune semble essayer de calmer Mounette, tandis que moi je prie pour qu’elle ne soit pas imbuvable avec mon poète.

— Bien sûr que ça va aller. La brune est de notre côté, la rousse… un peu moins, j’en conviens, mais… tout ce qu’elle veut, c’est mon bonheur, donc ça va le faire, soufflé-je en me calant contre lui. Quant à mon anniversaire, honnêtement, j’ai un peu perdu le fil du temps à cause de toi. Et ça me va bien comme ça.

— Désolé de te faire perdre la tête. Et pourtant, tu es encore jeune, non ? Cela te fait quoi, vingt-quatre ans ? Un peu plus ?

— Vingt-huit, mais je te remercie du compliment, ris-je avant de redevenir sérieuse. Tu te rends compte qu’on n’a même pas parlé de ce genre de détails basiques ? C’est un peu… bizarre, non ?

— Ce n’est pas étrange du tout, ce ne sont que des détails, comme tu dis. La grande image, c’est qu’on s’aime et que je suis prêt à affronter non pas une, mais deux belles-mères ! Et tu sais pourquoi ? Parce que je t’aime, ma Chérie, conclut-il en me serrant dans ses bras pour m’embrasser.

— C’est le plus beau cadeau possible, ça, tu sais ? Au final, tu fais semblant et tu étais au courant que c’est mon anniversaire, non ? Les poèmes… les orgasmes… le petit déjeuner au lit… Tu es sûr que tu ne m’entourloupes pas ?

— Eh, les amoureux, arrêtez vos messes basses, crie Moune depuis le salon. On veut tout savoir de ton amoureux, nous !

— Promis, je n’étais pas au courant, murmure Malcolm dans mon oreille. Sinon, tu peux être sûre que j’aurais tout fait pour éviter tes mères !

Je glousse en préparant un plateau avec des tasses et le café, et nous rejoignons le salon. J’allume la lampe sur le bureau pour éclairer davantage la pièce qui était dans la pénombre, et tire ma chaise avant de m’asseoir sur ma table basse. Je sers tout le monde dans un silence pas vraiment gênant, et souris en voyant Mounette lever les yeux au ciel. Elle croyait quoi, qu’on allait s’installer toutes les trois sur le canapé pour que Malcolm subisse un procès ? Je ne suis pas bien loin d’affirmer mes choix en allant m’installer sur ses genoux, mais je respecte la retenue de ma mère et ses appréhensions. Elles sont compréhensibles.

— Avant que tu poses cette question pleine d’inquiétudes, Malcolm a fait très attention, il est arrivé de nuit et ne doit repartir que dans la nuit.

— J’ai même mis une perruque blonde pour que personne ne me remarque, ajoute-t-il avant d’éclater de rire, provoquant l’hilarité chez mes deux mamans.

— Ah qu’il est drôle, tu ne trouves pas Mounette ?

— Il a de l’humour, c’est certain, mais il est quand même inconscient. Tout comme tu l’es toi-même, Jadounette. Vous vous rendez compte qu’il y a des patrouilles partout en ce moment ?

— Il n’y en a pas dans ma maison. Je te promets qu’on fait très attention, Maman. Crois-moi, aucun de nous ne veut finir comme Gislaine, soupiré-je en glissant ma main dans celle de Malcolm sur sa cuisse. Mais aucun de nous ne veut se priver de tout ça non plus.

— Et toi, Malcolm, tu lui trouves quoi, à notre fille ? Tu te rends compte des risques que tu lui fais prendre ?

— Euh… hésite-t-il.

— Tu lui as coupé la chique, s’amuse Mamounette. Il est beau, le poète muet ! se moque-t-elle, mais sur un ton plus doux qu’avant.

— Désolé, tout ça, ça nous est tombé dessus sans qu’on le veuille ou qu’on le prépare et je ne sais pas trop quoi vous répondre. Et s’il y a bien une chose qui compte pour moi, c’est de préserver votre fille. Vraiment, il faut me croire là-dessus.

— Bon, voilà, nickel, marmonné-je. Vous pouvez être des mères normales et me coller la honte en lui racontant mon enfance ? Je préfère encore ça, en fait, je crois. D’autant plus que vous savez que peu importe ce que vous pourrez me dire, je n’en ferai qu’à ma tête. Et ma tête suit mon cœur.

— Ta tête suit ton cul, plutôt, glousse Moune.

— Maman !

Ok, finalement, peut-être que je préfère la réaction de mon autre mère. Vraiment trop la honte… J’ai l’impression d’être à nouveau une ado, dont les mères débarquent à l’école en lui collant la honte devant toutes ses copines. Même si cela détend l’ambiance, je reste sur mes gardes. Mounette est capable d’attaquer n’importe quand, et Moune… c’est Moune. Aucun filtre ou presque, mais elle a le mérite d’accueillir Malcolm dans la famille à coup de blagues lourdes et de sourires sincères.

Et Malcolm ne fuit pas. Ni quand elles sont là, ni quand elles partent enfin pour nous laisser un peu tranquilles. Au contraire, il passe la nuit avec moi et part très tôt au petit matin. Elles sont pourtant assez effrayantes, toutes les deux…

_____________________________

Bonne année et meilleurs voeux !

PS : mes excuses pour la mise en page peu soignée, j'ai un problème avec le site depuis plusieurs jours et je ne peux pas faire grand-chose à part publier...

Annotations

Vous aimez lire XiscaLB ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0