22. L’attrait du paysage

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Malcolm


Debout devant ma table, je vérifie une nouvelle fois que j’ai bien tout ce qu’il me faut pour la petite expédition que j’ai organisée avec Jade. Nous n’avons pas vraiment réussi à nous retrouver juste à deux ces derniers jours mais le peu d’échanges que nous avons eus nous a quand même permis de nous mettre d’accord et de poser ces quelques jours de congés au même moment. L’idée est qu’on se retrouve à l’orée de la Grande Forêt et que l’on prenne les petits sentiers que j’ai repérés pour arriver à l’entrée arrière de la grotte qui nous intrigue tant depuis la tempête. Pour moi, ça ne va pas être trop difficile car non seulement ma collègue et mes amis sont habitués à ce que je ne passe pas mes vacances à buller sur la plage pour partir en randonnée, mais le début du parcours est dans notre partie de l’île. Je me demande comment Jade va faire, par contre. C’est fou tous les risques qu’elle prend pour m’accompagner dans ma recherche de la vérité.

A bien y réfléchir, c’est fou les risques que nous prenons tous les deux à passer tout ce temps ensemble. A force, quelqu’un va bien finir par nous repérer et nous dénoncer au Conseil. Heureusement que nous n’avons pas vraiment d’ennemis sur l’île et que tout le monde nous apprécie du fait de nos missions de service aux autres. Mais la chance finira par tourner. Est-ce que cela m’inquiète ? Un peu, j’avoue. Est-ce que je vais arrêter ? Sûrement pas ! Quand je repense à tout ce que j’ai ressenti quand elle a fait le premier pas et est venue m’embrasser, jamais je ne pourrai renoncer à ces sensations ! Quand je me repasse en tête la scène au sous-sol de la bibliothèque, j’ai l’impression que j’ai des vers et des rimes qui se bousculent dans ma tête. Pour l’instant, tout ce que j’écris est très brouillon mais j’ai l’impression d’avoir atteint un nouveau palier, un nouveau niveau dans mon écriture, et il me suffit de trouver la clé pour pouvoir enfin m’exprimer en mobilisant toutes mes capacités.

Je referme mon sac à dos et enfile mes chaussettes pour éviter les différentes piqûres que l’excursion dans les sous-bois promet. Cependant, je n’ai pas opté pour un pantalon au vu de la température. Je remplis mes deux gourdes d’eau fraîche et j’enfourche mon vélo pour me rendre au lieu de rendez-vous. C’est une clairière qui donne sur un petit torrent dont le bruit berce agréablement les oreilles lors des marches dans ce coin magnifique. Quand j’y arrive, alors que je suis à l’avance, j’ai la surprise de constater que Jade est déjà arrivée. Elle est en train de dissimuler son vélo derrière des arbres alors que je dépose le mien dans l’espace prévu à cet effet. Quelle stupidité, cette séparation entre hommes et femmes quand même. Comme si accéder à une randonnée ne pouvait pas être possible pour les deux sexes en même temps !

Lorsqu'elle ressort des sous-bois, je reste quelques secondes comme figé sur place. Elle est vêtue d’un petit short bien moulant de couleur rouge, qui ne fait rien pour dissimuler la forme de ses jolies fesses rondes, et d’un tee-shirt couvert de slogans du Conseil : Protégeons la Nature ! Un bon déchet et un déchet qui n’existe pas. Légumes et eau, c’est écolo. En dessous, je pense qu’elle a dû mettre un soutien-gorge de sport car je ne vois pas ses tétons à travers le tissu, mais ses seins, eux, sont bien visibles. Si elle veut me faire perdre la tête, je crois qu’elle est bien partie !

— Eh bien, tu es encore plus matinale que moi ! finis-je par dire sans vraiment savoir comment je dois me comporter, si on peut s’embrasser ou si nous allons juste nous saluer.

— Il a fallu que je donne les dernières consignes à ma remplaçante, ce matin, soupire-t-elle en approchant de moi. J’espère qu’il n’y aura pas de grands malades, je peux te dire qu’ils n’étaient pas ravis que je demande des jours, au Conseil.

— J’imagine, mais bon, tu ne peux pas être disponible sans interruption toute l’année, quand même.

J’ai remarqué son hésitation avant de me répondre, mais elle s’est vite retournée et à récupéré son sac à dos qu’elle a passé sur ses épaules. J’ai clairement envie de contact physique avec elle mais son attitude me fait comprendre que ce n’est pas le moment.

— Tu as bien pris de quoi tenir plusieurs jours ? Je pense que ça va nous prendre entre quatre et cinq jours pour revenir ici. Je sais que tu n’as pas trop l’habitude, alors tu n’hésites pas à me dire quand tu as besoin de souffler cinq minutes, surtout. Il ne faut pas se fatiguer dès le départ.

— J’ai l’air si peu sportive que ça ? rit-elle en baissant les yeux sur son corps. Nous n’avons pas de sentier de randonnée, de notre côté, c’est vraiment pas juste.

— Tu as l’air bien sportive, ne t’inquiète pas, rétorqué-je en suivant son regard et en essayant de ne pas trop m’attarder sur ses cuisses bien galbées et son corps magnifiquement proportionné. C’est juste que ce ne sont pas les mêmes muscles qu’on utilise quand on marche. Et oui, je suis d’accord, c’est vraiment bête que la randonnée nous soit réservée.

— C’est sûr que je le suis moins que beaucoup… J’ai le privilège de la voiturette, moi. Bref, on y va ? Je crois qu’on aura tout le temps de papoter durant ces prochains jours, le poète.

— Eh bien, prenons ce petit chemin, il va falloir mener bon train, au bout se cache peut-être un trésor, mais qui sait s’il sera composé d’or ?

Elle sourit en entendant mes vers improvisés et se lance dans le sentier pour le début de cette randonnée. Elle a raison sur le fait que nous allons pouvoir discuter mais là, peut-être intimidés par le fait de se retrouver juste à deux, nous restons silencieux. Je lui indique juste lorsqu’il y a un croisement quelle direction choisir, mais je ne trouve pas cette absence d’échanges pesante. Au contraire, j’ai l’impression qu’elle comme moi avons besoin de ce temps d’adaptation. C’est tellement rare les occasions où un homme et une femme se retrouvent ensemble qu’il est important de ne pas griller les étapes et de se donner le temps pour être à l’aise. Et puis, ce n’est vraiment pas désagréable de la suivre sur ces petits sentiers ombragés, avec le bruit du torrent et les pépiements des oiseaux comme musique d’ambiance. Je suis comme hypnotisé par ses longues et magnifiques jambes sur lesquelles mon regard se bloque littéralement. Et ses fesses sont… juste incroyables. Je dois me faire violence pour ne pas presser le pas et venir la peloter, ce qui serait vraiment malvenu, je pense. En tout cas, je suis tellement concentré sur son corps que je ne remarque pas quand elle se stoppe soudainement et je bute contre elle un peu brusquement. Je suis obligé de la retenir pour ne pas qu’elle tombe.

— Oh, désolé, je n’avais pas vu que tu t’étais arrêtée. Ça va, je ne t’ai pas fait mal ? demandé-je sans lâcher ses bras que j’ai saisi pour la maintenir debout.

— Non, non, ça va. Il va falloir se concentrer un peu, Malcolm, sourit-elle. Je ne voudrais pas finir cette randonnée abimée de partout, quand même.

— Difficile de se concentrer quand tu m’offres un tel spectacle, avoué-je en la relâchant. Tu veux faire une petite pause et manger un bout ?

— On peut faire ça, oui. Et… je n’ai pas l’impression d’être en représentation, me répond-elle en haussant un sourcil. Je rêve ou tu me mates ?

— Disons que j’ai du mal à regarder le paysage… Ici, il n’y a pas de Conseil pour l’interdire, il me semble.

— Je pensais que tu restais derrière moi pour respecter les règles. Je vois que c’était beaucoup moins sage et je ne te félicite pas, me dit-elle sérieusement avant de laisser échapper un sourire.

— Tu es comme un poème, agréable à première vue et de plus en plus appréciable une fois qu’on l’étudie plus en détail. Excuse-moi si je ne me prive pas du plaisir des yeux.

— J’ai beaucoup aimé ton poème de l’autre jour, au fait. Tu sais, celui que tu as glissé sous ma porte ? Je l’ai retrouvé sous une chaise, dans la salle d’attente, il a dû voler à cause d’un courant d’air.

— Disons que pour certaines envies, il vaut mieux les exprimer en poésie. Cela permet d’en atténuer l’impact lorsqu’on en prend connaissance sans toutefois en diminuer le sens et la portée. C’est un peu mon refuge, les poèmes. Je fais ça depuis le recyclage de mes parents et ça m’aide beaucoup dans la vie de tous les jours.

— Je suis désolée pour tes parents, soupire-t-elle. Je ne te l’ai jamais dit, j’étais trop docile à l’époque, je crois, mais… ça m’a peinée… Et ça m’énerve encore aujourd’hui. Toutes ces décisions arbitraires, c’est juste insupportable.

— C’est clair que l’on ne comprend pas toujours leurs décisions, au Conseil. Tu sais, avec mes deux pères, on faisait souvent de la randonnée. On en avait d’ailleurs fait une tous les trois, quelques jours avant que la décision ne tombe. Et ils n’ont même pas protesté… Je crois qu’ils voulaient me protéger et m’offrir un avenir, mais ils sont partis trop tôt.

— Ils partent tous trop tôt… On nous dit et nous rabâche de respecter la nature, mais choisir qui a le droit de vivre ou non à sa place, ce n’est pas la respecter. J’ai l’impression d’être lobotomisée. Comment est-ce qu’on peut accepter tout ça sans broncher ?

— Des fois, je me demande si c’est la Nature qu’ils veulent préserver ou bien leurs petits privilèges… Tu sais qu’ils ont tous des baignoires, les membres du Conseil ? C’est Marco qui me l’a dit. Et je crois que c’est ce genre de petits détails qui me poussent à vouloir percer leurs mystères. Je suis convaincu qu’on peut faire évoluer le Conseil vers plus de justice tout en continuant à préserver la Nature.

— Des baignoires ? Bon sang, je rêve d’un bain qui ne laisserait pas du sel sur ma peau et mes cheveux rêches, sourit-elle. J’adore la mer, mais je paierais cher pour pouvoir me glisser dans une eau chaude pleine de mousse qui sent bon.

— Eh bien, je suis désolé de ne te le dire que maintenant, mais pendant cette petite excursion, ce sera nettoyage dans la rivière avec une eau pas très chaude ! J’espère que ça ne va pas te motiver à rebrousser chemin, je tiens trop au plaisir de te voir marcher devant moi !

— Je te propose qu’on alterne pour la marche. Pourquoi tu serais le seul à pouvoir profiter du paysage ?

— Ça me va, je suis pour l’égalité des sexes, moi. Mais à une seule condition ! On regarde, mais on ne touche pas !

— Dommage, murmure-t-elle avant de me tourner le dos pour récupérer sa gourde dans son sac.

Eh bien, ça promet, cette petite randonnée. On est partis à peine depuis quelques heures et déjà, on passe notre temps à flirter, à émettre des insinuations plus ou moins sensuelles. Je ne sais pas si on va trouver quelque chose au bout du chemin mais je suis de plus en plus convaincu que l’on va finir par craquer l’un pour l’autre. Et j’ai aussi l’intime conviction qu’aucun de nous ne le regretterait si ça devait arriver.

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