15. Rendez-vous manqué

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Jade

Je monte les marches qui mènent à l’étage et à nos chambres, et resserre les pans de ma serviette en constatant que Liz est sur le palier, en train de fouiller dans ma penderie. Elle ne porte qu’une petite culotte et j’avoue que je bugge bêtement sur le tableau qu’elle m’offre. Même de dos, elle est gracieuse et ses courbes généreuses sont un appel au crime.

— Tu devrais mettre la robe verte, je suis sûre qu’elle t’irait à merveille.

Elle sursaute et se retourne vivement en cachant sa poitrine de ses mains, mal à l’aise. Je suis d’autant plus gênée qu’il y a quelques jours, alors que nous prenions l’apéritif, ça a légèrement dérapé, jusqu’à ce qu’elle mette fin à ce rapprochement qu’elle semblait pourtant vouloir autant que moi. Bon, je peux comprendre, la situation est très compliquée pour elle, il faut le dire. Je ne sais pas si je serais disponible pour quiconque, à sa place. Je me demande d’ailleurs si l’attirance qu’elle a pour moi n’est pas justement liée à ce qu’elle vit. Après tout, je suis la personne qu’elle connaît le plus ici. Quant à moi, j’avoue que je n’aime pas la laisser seule à la maison et que, de ce fait, je ne vais plus passer la nuit chez Jasmine ou rendre visite à Mathilde. Donc… aussi attirante soit-elle, je m’interroge également sur le pourquoi du comment j’en viens à fricoter avec une fille qui s’est déjà attachée et pourrait l’être encore davantage si l’on passait ce cap. Alors, aussi désagréable fut-il d’être repoussée, c’était peut-être le plus sérieux.

— Tu ne la veux pas pour toi ? me demande-t-elle, un peu troublée. Elle doit bien t’aller à toi aussi.

— J’ai déjà choisi la mienne, je ne voulais pas que tu me la piques, souris-je en sortant la verte du placard pour la poser contre son corps. Vêtement de fête… On aime bien les robes longues comme ça, chez les femmes. Elle te va bien, je t’assure, ça fait ressortir la couleur de tes yeux.

— D’accord. Et toi, tu vas mettre laquelle ? m’interroge-t-elle en découvrant ses seins pour prendre la robe.

— Une robe bleu turquoise que j’adore, lui dis-je en m’engouffrant dans ma chambre, tentant de ne pas trop la reluquer. On n’a pas beaucoup de vêtements, j’avoue que c’est mon pêché mignon et que je fais ce qu’il faut pour m’offrir un peu plus de tissu que beaucoup de femmes qui se contentent de quelques tenues.

J’enfile une petite culotte sans enlever ma serviette, mais la fais tomber pour passer ma robe. Elle est vraiment jolie et je n’ai pas encore eu l’occasion de l’étrenner. Je ferme les boutons en observant Liz qui, effectivement, est vraiment superbe dans sa tenue. Enfin, dans la mienne…

— Tu es superbe, soufflé-je. Ça va, tu te fais à la vie sans soutien-gorge ?

Il y a bien longtemps qu’ici, les femmes se sont débarrassées de cet engin de torture. Franchement, il n’y a rien de mieux que de vivre les seins à l’air, je ne comprends même pas comment les femmes font, sur le continent, pour supporter ça. Du moins, ça ne me pose aucun souci de ne pas avoir ce soutien, même si je sais que certaines femmes ici mettent des brassières pour supporter le poids de leur poitrine.

— C’est agréable, j’avoue. Et ce n’est pas désagréable à la vue, ajoute-t-elle en matant mon décolleté.

— C’est vrai. C’est un peu primitif et pervers, mais personnellement, j’adore voir le tissu déformé par deux jolis tétons dressés. C’est beau, artistique… bref, je m’égare, souris-je en attachant mes cheveux rapidement. Tu es prête ?

— Ça te va bien, les cheveux relevés comme ça, sourit-elle. Et oui, on peut y aller.

Je dépose un baiser sur sa joue en passant devant elle et récupère deux châles en laine pour la fin de soirée qui risque d’être fraîche. Un passage rapide par le réfrigérateur pour prendre les salades que nous avons préparées pour la soirée et le pain, et nous nous installons dans la voiturette pour gagner le centre du village.

La soirée pour fêter la fin de la tempête est déjà commencée lorsque nous nous garons devant mon cabinet. Une grande estrade a été installée et un groupe d’hommes instaure une ambiance festive en jouant de la musique alors que des groupes discutent un peu partout sur la place principale de l’île. Les hommes et les femmes se mélangent plus ou moins sans pour autant discuter ensemble. Les soirs comme celui-ci sont un peu moins stricts. Pas de côté homme, côté femme, nous pouvons nous installer à la même table tant que nous n’échangeons pas. Ok, ça paraît toujours aussi strict, mais d’un autre côté, nous faisons tous tellement notre vie chacun de notre côté que cela ne nous vient pas forcément à l’esprit. Et puis, de toute façon, la police est faite sans même que les gardes aient à intervenir. Les petites vieilles sont toujours aux aguets, tout comme les plus respectueux du Conseil. Alors, il faudrait être un peu dingues pour aller à l’encontre des règles ce soir.

Suis-je un peu rebelle ? Possible oui, mais pas folle. Je salue d’un signe de tête mon voisin au village, et apprécie sa tenue du regard. Il porte une petite chemise et un pantalon en lin, c’est simple et efficace, plutôt agréable à regarder à la lueur du soleil qui tombe sur la mer. Et je me contente d’aller déposer nos plats sur la table des victuailles avant d’entraîner Liz à une table non loin de celle de Malcolm. Il discute avec deux hommes et me lance quelques œillades, et le fait que je m’en rende compte me prouve que je ne suis absolument pas innocente et que je dois trop le regarder pour passer à côté de cette information. En même temps, il est plutôt mignon pour un homme, j’en conviens.

Jasmine me surprend en venant me saluer, posant ses douces lèvres au coin des miennes avant de marquer son territoire en se glissant entre Liz et moi sur le banc.

— Tu ne devais pas passer la soirée avec ta voisine de palier, jolie policière ?

— Et alors, ça doit m’empêcher de venir te dire bonjour ? Tu me réserves quelques danses, hein ?

— Au moins une, promis, mais j’ai passé la journée sur mon vélo, ma voiture était en révision, j’ai les jambes en compote.

— Une seule ? Depuis quand un seul round te suffit, toi ? glousse-t-elle en posant sa main sur ma cuisse. Remarque, même un seul avec moi, en ce moment, ça ne semble pas être à ton goût. J’ai fait quelque chose de mal ?

— Ne dis pas n’importe quoi. Tu sais bien que la situation est compliquée. Et puis, je te l’ai dit et te le redis, tu devrais penser à l’avenir, et à te trouver une femme.

— Je ne vois pas ce qu’il y a de compliqué, moi, soupire-t-elle, mais je vais peut-être me mettre à penser à l’avenir, en effet.

Il faudrait bien… parce que si je fais tout pour ne pas m’attacher plus que de raison de mon côté, j’ai bien peur qu’elle n’ait pas fait cet effort, de son côté.

Mon regard se porte à nouveau sur Malcolm qui rit avec son ami. La situation est en effet complexe, si je me mets à fantasmer sur le bibliothécaire, en prime. J’avoue qu’il m’obsède un peu, ces derniers temps… et pas seulement à cause de son bouquin interdit, d’ailleurs.

Je me lève un peu brusquement en le voyant rejoindre le buffet, et m’excuse auprès des filles pour aller me servir. Très égoïste de ne pas suggérer à Liz de me suivre, j’imagine, mais elle est grande, non ?

— On pourrait aussi un peu fêter la tempête, non ? lui soufflé-je en me postant à côté de lui pour regarder les plats. Enfin, pas les dégâts qu’elle a faits, mais… les occasions qu’elle a créées, au moins ?

— C’est ce qu’on est en train de faire, non ? La fête bat son plein et moi, en tout cas, je suis à la fête quand je te regarde.

— Eh bien, fais attention, le poète, je pourrais penser que tu me dragues, là.

— Est-ce ma faute si je suis attiré par l’azur de tes yeux ? Si quand tu t’approches de moi, je ressens le feu des cieux ? Je crois qu’il faut éviter de trop y penser. Sinon, cela nous amènera à gravement mais agréablement fauter.

— Tu devrais le publier dans la prochaine gazette, il est joli, ce petit poème, murmuré-je après qu’un petit papy s’est approché pour se servir.

— Ah non, celui-là n’était que pour toi, répond-il en se penchant devant moi pour prendre un petit toast.

Il en profite pour poser sa main sur mon bras, comme s’il en avait besoin pour se maintenir en équilibre avant de se redresser, tout sourire.

— Comment va ton poignet, au fait ? lui demandé-je en voyant qu’il ne porte plus son attelle. Tu as passé une radio ?

— J’ai juste encore un peu mal, mais ça va. Cela ne m’empêcherait pas de te caresser si jamais tu en éprouvais le besoin…

Je relève les yeux dans sa direction, surprise qu’il soit si cash avec moi, ce soir. Et possiblement un poil excitée par ce qu’il vient de me dire, j’en conviens. Merde, il ne m’aide pas, lui non plus. Qu’est-ce qu’il fait ?

— Viens, il faut qu’on s’isole, j’ai un truc à te dire, reprend-il en m’indiquant du regard une petite ruelle qui part de la place.

— Je te rejoins alors… On va éviter de partir ensemble, sinon c’est le scandale assuré.

Je lui tourne le dos pour regarder ce que fait Liz, occupée à papoter avec la petite-fille de Marguerite et Gislaine. Jasmine a déserté, je ne la trouve pas en observant la place, et je ne tarde pas à suivre le chemin emprunté il y a peu par Malcolm. Qu’est-ce qu’il me veut ? Mettre à exécution ses propos ? Franchement, je crois que je ne dirais pas non, au contraire. Et c’est avec cette pensée folle que je m’enfonce dans la ruelle qui donne derrière mon cabinet. Je souris en le voyant adossé contre le mur, sur le côté. Il y a peu de chance qu’on se fasse attraper, hormis par deux personnes qui chercheraient un coin tranquille pour fricoter, et j’approche de lui, un mélange d’excitation et d’appréhension me nouant les tripes.

— Qu’est-ce que tu veux me dire qui mérite autant de secret ? souris-je en me plantant devant lui.

Avant de me répondre, je le vois me regarder des pieds à la tête, visiblement très intéressé par ce qu’il observe, et je suis à deux doigts de lui sauter dessus quand il me répond enfin.

— J’ai bien avancé dans l’enquête, tu sais ? Mais, là, je suis coincé et j’ai besoin de toi. Tu connais la grotte derrière la fontaine de l’espoir ? Si on la trouve, on pourrait faire de grands progrès pour découvrir le secret de l’île.

— Attends… Tu m’amènes ici pour me parler de l’enquête ? Je… je pensais… OK, pardon, bafouillé-je en reculant d’un pas. La fontaine de l’espoir ? Ça me dit quelque chose, mais ça ne me revient pas, là.

Je ne sais pas si je suis plus gênée ou frustrée de voir que je me suis totalement plantée sur ses intentions. Pourquoi me dire ce qu’il m’a dit, me lancer de telles œillades si c’est pour finir par me parler du secret de l’île ? Bon sang, je dois être totalement à la ramasse, en fait. La drague des femmes, je maîtrise plus ou moins. Pour les mecs… je n’y connais rien et c’est normal, mais ses intentions me semblaient claires.

— Je crois que c’est pas loin de chez toi, continue-t-il après avoir hésité un instant. Tu pourrais te renseigner ?

Quel contraste entre ses yeux qui me donnent l’impression de vouloir littéralement sortir de leurs orbites alors qu’il me regarde en se mordillant légèrement la lèvre inférieure et ses propos d’une fadeur sans pareille.

— Oui, d’accord… S’il le faut. Tu as regardé dans les livres sur l’histoire de l’île ? lui demandé-je en glissant mes mains dans les poches de ma robe.

Ses yeux dévient immédiatement sur mon décolleté et un rapide regard en direction de mes roploplos me fait comprendre que ce n’était peut-être pas une bonne idée de tirer le tissu de la sorte. Je me retiens pour autant de faire quoi que ce soit. Après tout, il m’a chauffée, c’est un juste retour des choses, non ? Et puis… s’il pouvait craquer, maintenant, je crois que ça me plairait beaucoup.

— J’ai tout regardé, répond-il d’une voix un peu rauque en bloquant sur mes tétons apparents sous le tissu, et je pense qu’il faut se renseigner sur place, je ne vois pas d’autre moyen d’avancer.

— D’accord, soupiré-je. Tu voulais autre chose ?

— Euh… commence-t-il avant de se ressaisir. Non, on devrait rentrer avant qu’on ne se rende compte qu’on est tous les deux absents.

— Bien, je passe devant. Je te tiens au courant si je trouve quelque chose. C’est… cool que tu respectes le deal.

Même si clairement, c’est d’autre chose que j’avais envie, là. Et je ne peux m’empêcher de le lui faire clairement comprendre. Je le surprends en m’approchant de lui pour déposer un baiser sur sa joue. Ça ne dure qu’une seconde, une petite seconde où mon corps est contre le sien, où mes lèvres se posent sur sa joue barbue avant que je le laisse là pour regagner le centre du village, mais c’était bien suffisant pour que je me retrouve encore plus excitée. Bon sang, si j’avais su qu’un homme pourrait éveiller à ce point mon envie, j’aurais certainement été moins vindicative, dans le passé, avec leur clan… Ou alors, c’est juste lui ? Possible, parce que je n’avais jamais imaginé ce genre de choses avec un autre, c’est clair. Il faut que je me calme et que je sois focus sur notre petite enquête. Ça m’évitera au moins le recyclage.

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