08. La réserve interdite

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Malcolm

Je me demande quel sens donner à la scène que je viens d’observer depuis ma place préférée dans la bibliothèque, celle que je viens occuper dès que j’ai quelques instants de pause. La vue y est tellement magnifique, entre le port avec ses bateaux colorés, la mer dont les reflets dorés du soleil viennent souligner le bleu profond et le ciel parcouru des zébrures laissées par les nimbus ouatés. J’ai vraiment l’impression d’être au Paradis, ce qui n’a pas l’air d’être le cas de la naufragée qui vient de passer une petite dizaine de minutes avec la Doc sur le bateau de Marie-Anne.

J’ai d’abord été surpris de voir la voluptueuse blonde débarquer toute seule, à pied et s’approcher dangereusement de la zone réservée aux hommes, mais son instinct a dû la préserver car elle n’a jamais franchi la limite interdite. Et puis, elle est montée sur le bateau et là, j’ai vraiment regretté de ne pas avoir de jumelles avec moi pour savoir ce qu’elle pouvait faire. J’ai cru un instant qu’elle allait détacher les amarres de l’embarcation mais c’est à ce moment qu’est arrivée Jade. Ah Jade… Je dois être malade ou avoir un truc qui ne va pas chez moi car dès qu’elle est apparue vêtue d’un simple petit short rouge et d’un top blanc bien échancré, je me suis mis à bander. Oui. Voilà la vérité crue. Je suis excité à la vue d’une femme alors que je n’ai connu depuis toujours que des mecs. Moi qui adore tant les étreintes viriles, je me retrouve à fantasmer sur les courbes d’une nana. Si le Conseil apprend ça, je risque de devoir passer par le recyclage, moi, il faut que je fasse attention !

Bref, j’ai essayé d’oublier mon érection pour me concentrer sur leur discussion qui s’est terminée par Liz venant se réfugier dans les bras de la Doc. Et moi, vraiment pas dans mon état normal, j’ai ressenti une pointe de jalousie en me disant que j’aurais adoré me retrouver à cette place. Et le pire, c’est que je me suis fait griller par Jade qui a capté que j’étais en train de les mater. J’espère qu’elle ne va pas aller raconter ça au Conseil parce que les rares fois où des mecs ont été surpris dans des comportements indécents avec des femmes, le Conseil a été intraitable. Il faut voir comment sont ressortis ces individus après le Grand Recyclage. De véritables zombies… Je me demande, même si je n’en ai jamais eu la preuve, s’ils n’ont pas été transformés en eunuque…

Encore tout émoustillé par ce que je viens de voir, je passe faire un tour aux toilettes de la bibliothèque. Je m’enferme dans une des cabines et libère mon sexe qui se tend fièrement Je ferme les yeux et me laisse envahir par les pensées impures que j’ai eues en observant Jade. Je l’imagine d’abord en train de m’offrir ses fesses mais rapidement, dans mes pensées lubriques, elle se retourne et vient me chevaucher. Et là, j’ai l’impression que mon cerveau vrille totalement. Je ressens ses magnifiques cheveux auburn caresser mon visage, son intimité entourer ma hampe prête à la combler. La jouissance vient malheureusement trop rapidement et je me retrouve entre ces quatre murs un peu bête alors que le système d’évacuation se met en route. Je me demande si ce n’est pas un peu du gaspillage mais bon, c’est de l’eau de pluie qui va être réutilisée, il y a pire.

Je retourne au comptoir d’accueil en essayant de remettre de l’ordre dans mon esprit. Ce soir, il va falloir que je m’arrange pour aller voir Jérôme. J’espère qu’il sera disponible pour me recevoir. Passer la soirée et la nuit dans ses bras, ça devrait soulager un peu mes folles envies, non ? Et puis, entre son torse velu et sa barbe fournie, cela devrait me permettre d’oublier ce que je viens d’imaginer avec la Doc… Enfin, j’espère.

Je suis sorti de mes rêveries par Marco, un jeune qui est en train de terminer ses études et s'apprête prochainement à entrer au Conseil en qualité d’expert. Un de ses pères est déjà membre et ce n’est donc pas surprenant qu’une place lui soit réservée, mais la fin de ses études implique aussi qu’il produise une thèse et ses demandes de références sont toujours intéressantes, quoique jamais faciles à appréhender.

— Salut Marco. Comment puis-je t’aider aujourd’hui ? Tu avances bien ou tu es toujours coincé sur le texte que je t’ai trouvé la dernière fois ?

— Bonjour, Malcolm. Ça avance, mais j’ai vu dans les sources de ce texte un livre que je voudrais pouvoir étudier. Sauf que je ne l’ai pas trouvé sur la base de données de la bibliothèque. Est-ce que tu pourrais me dire s’il est accessible ?

— Fais voir le titre ? Tu connais l’auteur ? demandé-je alors qu’il me montre sa tablette dernier cri qu’il utilise pour ses recherches.

Je comprends immédiatement pourquoi le livre n’est pas accessible. Il s’agit d’un ouvrage qui date du début de l’installation du Conseil sur l’île, à une époque où hommes et femmes n’étaient pas encore séparés et où c’était l’anarchie et la guerre. Tout ce qui a été écrit à cette époque a été classé dans une section protégée car les éléments sont considérés comme subversifs et en complète opposition aux valeurs écologiques et humaines mises en avant par le Conseil.

— Ah, je vois. Tu sais que pour ce livre, il faut une autorisation spéciale ? Tout le monde ne peut pas y avoir accès.

— Eh bien, fais une demande pour moi, j’imagine que je devrais pouvoir y avoir accès, vu mon projet. Non ?

— Tu as une autorisation du Conseil ? Sans ça, moi, je ne peux rien faire. Si je n’ai pas le code d’acceptation de ta demande, la porte ne s’ouvrira même pas. Tout ce qu’a écrit Rémi Vergier, c’est dans une zone à accès restreint.

— Il faut autre chose que mon autorisation d’accès aux documents relatifs à l’histoire de l’île ? me demande-t-il en tapotant sur sa tablette pour me mettre sous le nez son autorisation.

— Non, ça devrait aller. Tu me sors le numéro et je te ramène l’ouvrage tout de suite. Par contre, c’est consultation sur place, là-dessus, la règle est claire. Ça te va ?

— Bien sûr, je vais m’installer dans un coin tranquille, pas de problème. Prends ma tablette pour le numéro, je t’attends ici, de toute façon.

— Je reviens tout de suite. Tu fais l’accueil en attendant, s’il te plait ? Tu sais comment marche le système pour l’enregistrement des livres de toute façon, vu combien tu en as pris ! A tout de suite.

Je me dirige vers le petit escalier qui mène à la réserve. Celle-ci se situe au sous-sol de la bibliothèque et j’ai rarement l’occasion d’y aller. Mon prédécesseur a passé plus d’une journée à m’expliquer toutes les règles concernant l’accès et l’importance de contrôler qui consulte les vieux ouvrages. De toute façon, dès que le code est utilisé, une alerte est envoyée directement au Conseil qui peut ainsi s’assurer que l’ordre actuel n’est pas menacé.

Je pénètre dans la pièce et me rappelle les rares fois où j’ai eu l’occasion de m’y rendre. Elles se comptent sur les doigts d’une main et je ne boude pas mon plaisir devant la quantité de références qui se trouvent ici. J’aime être au milieu de toute cette histoire et je me dis que mon prochain poème sera sûrement sur l’importance du savoir et des livres afin d’enrichir l’âme humaine. Je suis inspiré quand je suis dans de tels lieux et cela me rappelle que je ne suis pas devenu bibliothécaire par hasard.

Je trouve rapidement l’ouvrage demandé par Marco et profite de mon passage ici pour regarder les différentes étagères. C’est fou toute cette connaissance qui est ici dissimulée. Je me demande pourquoi le Conseil pense qu’il ne faut pas apprendre cette histoire afin d’éviter de reproduire les erreurs du passé. Je me dis que si on connaissait vraiment toutes les conneries faites par nos prédécesseurs, on serait plus enclin à ne pas faire comme eux, mais bon, je ne suis que bibliothécaire, je ne fais pas partie du Conseil.

Alors que je vais sortir, mon regard est attiré par une caisse remplie de livres mal rangés. Je n’avais pas vu ça lors de mon dernier passage et je me demande qui a pu intervenir ici et laisser ce désordre. Je m’approche, intrigué, et constate que quelqu’un a rassemblé dans cette caisse toute une série d’articles et de bouquins qui critiquent ouvertement le Conseil. “Le Conseil vous ment”, “Ecologie apparente, dictature sous-jacente”, “Le Mensonge originel” ou encore “Lavage de cerveaux, mode d’emploi écologique”.

Je sais que le début de l’histoire de l’île a été mouvementé et qu’il y a eu une véritable opposition de certains qui ne pensaient qu’à leurs profits et qui se moquaient de l’environnement. C’est ce qu’on nous apprend à l’école, en tout cas, mais c’est la première fois que je me retrouve face à de tels documents témoins de cette histoire. Je suis curieux mais le temps passe vite et Marco va s’inquiéter si je ne remonte pas tout de suite. Je ne sais pas quand je vais avoir l’occasion de revenir dans cette réserve et je subtilise un des livres au hasard qui s’intitule “La vérité sur l’île, récit d’un ingénieur repenti”. Je le dépose devant la porte que je referme et viendrai le récupérer plus tard. Vu mes vêtements légers, si je remonte avec, Marco va capter que je n’ai pas fait que sortir son livre. J’ai hâte de découvrir ce qu’il s’y cache en tout cas.

— Voilà, Marco, prends ton temps. Quand tu as fini, il faut que tu me rendes l’ouvrage et que je le redépose avec le numéro que ta tablette va générer. D’accord ?

— Oui, oui, je sais. Merci Malcolm. C’est parti pour une lecture en diagonale, soupire-t-il. Tu crois que je peux passer la nuit ici ? J’aurais dû venir dès ce matin.

— Si tu passes la nuit ici, il faut que je reste aussi… Ce n’est pas impossible, mais…

— Mais ça ne t’arrange pas, sourit-il. Dommage, qui sait, la nuit aurait pu être intéressante.

Il appuie ses mots d’un regard appréciateur qui me parcourt de haut en bas. Est-ce qu’il est vraiment en train de me proposer de profiter d’un peu de bon temps avec lui ? Parce qu’il est vraiment pas mal comme mec et que je n’ai pas encore contacté Jérôme. Techniquement, je suis encore disponible ce soir, et si je veux oublier la jolie Doc, il pourrait très bien faire l’affaire, autant que Jérôme en tout cas.

— Intéressante dans quel sens ? demandé-je afin de m’assurer que j’ai bien saisi le sous-entendu dans sa phrase.

— Ça peut l’être dans plein de sens, non ? Une étude approfondie d’un livre, ou… je ne sais pas, un petit hors sujet avec étude approfondie de l’anatomie masculine, me lance-t-il en récupérant l’ouvrage. Tiens-moi au courant si tu changes d’avis.

— Je crois que tu viens de te gagner une nuit d’étude à la bibliothèque, joli Marco. J’ai hâte que les autres lecteurs nous laissent seuls pour voir ce hors-sujet dont tu parles.

Je suis rassuré de voir que mon corps réagit à l’idée de passer la nuit avec ce beau spécimen. J’ai hâte de le voir sans ses vêtements et de profiter de toutes les merveilles promises par son regard chaud comme la braise. Mais dans un coin de ma tête, je n’oublie pas la jolie Doc et je me dis qu’il doit vraiment y avoir un truc qui cloche chez moi. Pourquoi je me mets à désirer une femme ? Pourquoi ai-je sorti ce livre pour le lire ? Serais-je en train de remettre en cause tout ce que j’ai appris jusqu’à présent ? Ou alors, c’est peut-être juste normal d’être curieux et de vouloir savoir afin de ne pas mourir idiot ?

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