Choc à l'italienne

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Je vais être en retard ! Je n'aurais pas dû insister pour réveiller mon frère… J'ai eu de justesse mon premier bus, mais il faut encore que je cours entre la place Saint-Lambert et la place de la République française pour pouvoir aller à l’école. Évidemment, il a plu durant la nuit, sinon ça ne serait pas drôle… mes semelles de pneu glissent sur la pierre bleue trempée. Quelle idée de mettre mes New Rocks à talons ! Je dois être totalement folle.

Mon téléphone vibre de plus belle, l’avertissant de la réception d'un nouveau message de James, mon amoureux. Qu'il arrête, pour l'Amour du Ciel ! Je sais que je suis en retard, et que le premier bus est déjà parti. Avec lui, soit j'en fais trop, soit je n'en fais pas assez et il se sent obligé de se comporter comme mon père, ce qui m’énerve prodigieusement. Ça fait deux ans qu'on est ensemble, et je sens que notre relation a changé, les mensonges se sont infiltrés dans notre couple, rompant peu à peu la confiance aveugle que j'avais en lui. Et malgré le sexe qui est plutôt pas mal (je n’ai aucun point de comparaison vu que c’est le seul homme que je connais sexuellement, mais un orgasme tous les deux rounds, c’est en général bon signe), on ne s’entend presque plus. Les messages deviennent rares, les appels déjà disparates sont devenus inexistants et nos conversations se sont peu à peu vidées de leur contenu pour se limiter à des « Hmm », et d’exceptionnels « Je t’aime ». Bref, notre couple bat de l’aile et aucun de nous deux ne veut voir la vérité en face pour résoudre nos problèmes.

Je cours de plus belle, bousculant les passants qui m'insultent et me font des doigts d'honneur après avoir été bousculés. Pourtant, je crie à pleine voix que je m'excuse et que je suis très pressée. Ces cons ne me laissent pas passer, formant presque un mur, juste pour me faire enrager.

Enfin ! J’atteins la place de la République française à pleine vitesse. Je passe derrière le premier arrêt de bus, veux me rabattre vers la rue pour arriver à mon arrêt où je vous James et Arthur, un de mes camarades de classe, m'attendre en tenant la porte ouverte. J'y suis presque, mais une grosse truie passe devant moi et me fait un croche-pied. Je vole, figure la première vers les pavés glissants. En tombant, j'entends un « CRAC" horrible dans ma tête, et tout se met à tourner. J'entends hurler autours de moi, mon prénom, des insultes, des menaces, et au loin, la sirène d'une ambulance. La dernière chose que j'entends, c'est James hurlant mon nom en me serrant contre lui. J'ai envie de lui répondre, mais mes membres sont lourds, m’empêchant de bouger. Tout s'obscurcit et la nuit se referme sur moi, éloignant la douleur et les hurlements.

Le noir ne m'a jamais effrayée, au contraire, l’obscurité et sa lourde chape rassurante m’apaisent plus rapidement qu'un médicament contre les migraines. Je me sens bien, malgré ma tête qui pulse au rythme de mon cœur. Il fait calme et silencieux. Trop silencieux que pour être dans un hôpital. C'est ce qui me force à ouvrir difficilement les yeux. Je ne suis définitivement pas dans une chambre d’hôpital. Même les chambres VIP ne sont pas aussi belles, spacieuses et bien décorées. De lourds rideaux de velours rouge sang de bœuf sont suspendus aux immenses fenêtres, mes draps sont en satin et non en coton industriel, ce qui me fait paniquer. Mes parents n'ont et n'auront jamais les moyens de s'offrir un tel luxe. Où suis-je ? Tout ceci n’est pas normal.

Je pousse mon observation de la pièce un peu plus loin en m’asseyant : l'espace est divisé en deux, une partie salon, l'autre chambre. Le lit est tellement grand que je peux me coucher en travers et tendre mes bras et mes jambes à fond sans pour autant arriver à toucher les bords du matelas. Je veux bien ne pas être très grande du haut de mon mètre soixante, mais cette couche moelleuse est bien trop exagérée ! Une lumière s'allume dans le côté salon, dévoilant le plus bel homme que je n'ai jamais rencontré. Des épaules larges, une taille svelte, de longues jambes musclées qu'on peut deviner sous le tissu de son costume fait sur-mesure. Son visage à en faire pleurer les anges, est recouvert d'une légère barbe, seulement troublé par une méchante cicatrice qui part de sa tempe droite pour traverser en diagonal la peau bronzée vers sa mâchoire inférieure gauche. Malgré cette marque, je le trouve beau. Une autorité naturelle se dégage de son corps et sous ses airs de PDG que lui donne le costume, on devine qu’il s'agit d'un mauvais garçon, un bad boy qui fait chavirer les cœurs.

Lentement, il se lève, traverse la pièce et vient s'asseoir sur le bord du matelas. Nos yeux se croisent. Les siens me dévisagent, d'un gris tempête, cherchant sans doute des réponses à ses questions informulées. Je me contente de rester calme et de l'observer. Ses iris trahissent un désir violent, un besoin que je ne comprends pas et une forme de bestialité à peine civilisée.

– Comment te sens-tu ?

– Euh… Relativement bien pour une personne qui s'est pris un sol en pleine tête. Où suis-je ?

– Ne te tracasse pas avec ça maintenant, tu dois juste savoir que je m'occupe de toi et que je ne laisserai rien t'arriver.

Je ne comprends pas. Cet homme magnifique m'offre les soins et l’hospitalité ? Nous sommes sans doute chez lui, sinon sa dernière phrase n'aurait aucun sens. Mais la question reste valable : où se situe ce chez lui ? De plus, qui est-il et pourquoi prend-il soin de moi ? On ne se connait pas, je ne suis rien pour lui, à part une potentielle source d'ennuis. Je suis perdue, et je me perds dans mes réflexions. Il le remarque et me force à arrêter de froncer les sourcils en appuyant sur le petit pli avec son doigt. Je sais que je fais ma tête de boudeuse, celle qui a fini par taper sur les nerfs de James à force de disputes inutiles, mais je ne peux m’empêcher de vouloir comprendre et savoir pourquoi je suis ici et non à l’hôpital.

– Pourquoi ne suis-je pas à l’hôpital ?

– À la base, simple erreur de notre part et de celle de l’hôpital. Par la suite, c’est à cause de moi, je l’avoue. Mais tu n’as pas à t’inquiéter, je ne te veux pas de mal.

– À la base ? Allez-vous m’expliquer ce que je fais ici ?, commençais-je à m’énerver.

– Calme-toi, ne t’énerve pas, ta tête n’est pas encore cicatrisée et tes points peuvent se rouvrir et je ne tiens pas à tacher mes draps avec du sang.

– Alors expliquez-moi ! Sinon je vais vraiment m’énerver et partir d’ici !

– Princesse… Premièrement, il n’est pas question que tu quittes cette chambre ou cette maison. Deuxièmement, je t’expliquerai une fois que tu seras un peu plus rétablie.

Sans demander mon reste, je lui mets un poing dans son magnifique visage, l’envoyant valser à terre, retire le capteur cardiaque accroché à mon doigt et fonce vers la porte. Celle-ci s’ouvre facilement et sans faire de bruit. Je me mets à courir dans le couloir, mais je me retrouve bloquée en haut des escaliers par deux gorilles qui montent tranquillement, les bras en mode barrière pour m’empêcher de partir. Je me retourne et coure dans l’autre sens, mais deux femmes me bloquent le passage. Pas le choix, je vais devoir entrer dans une des pièces en espérant ne pas tomber sur quelqu’un. La porte de droite est entrouverte, et la pièce est plongée dans l’obscurité. Sans réfléchir, j’entre et referme derrière moi. Ça sent l’animal, les déjections et un peu le pourri. À tâtons, je me cache derrière une pile de caisses en bois puantes, m’accroupis et attends en écoutant tout ce qu’il se passe de l’autre côté du mur. J’entends des voix rageuses, distingue celle du bellâtre de la chambre qui hurle sur les autres, puis le calme revient.

Quelques minutes plus tard, la porte s’ouvre, la lumière est allumée et trois hommes entrent, dont l’homme de la chambre qui est très clairement le patron. Sans faire de bruit, je me dissimule derrière les caisses et les laisse faire le tour de la pièce. J’en profite pour regarder ce qui m’entoure. Et manque d’avoir une crise cardiaque. En face de moi se trouve un lion imposant, à la crinière mélangeant le roux, le blond et le brun. Il est magnifique. Et manifestement blessé vu sa démarche hésitante et l’attelle en bois qui entoure l’une de ses pattes arrière. Il ne réagit pas en me voyant, mais grogne sur les trois hommes qui ne s’attardent pas dans la cage intérieure.

Une fois les hommes partis, il se tourne vers moi. Je panique complètement. Que dois-je faire ? Mon instinct me murmure de baisser la tête et de rester immobile jusqu’à ce qu’il se détourne de moi ou qu’il me croque. Attentive à ses mouvements, je le sens s’arrêter devant moi, me renifler, puis, à mon plus grand étonnement, frotter sa gueule contre mes cheveux. Je relève le visage vers lui, il recule en grognant doucement. J’ai la vision de Krokmou et de Harold, dans Dragons, quand ils se lient d’amitié, et fais les mêmes gestes que le jeune garçon. Je sais que c’est stupide, mais ça semble fonctionner. La main tendue devant moi, j’attends qu’il s’approche de moi. Hésitant, il le fait, frottant son museau contre ma paume comme un gros chat. Lentement, je m’approche, et il me laisse faire, jusqu’à ce que nos visages soient à la même hauteur. On se regarde simplement, sans entrer totalement dans l’espace de l’autre.

Sans prévenir, il se couche et met sa tête sur mes genoux. Je suis étonnée par la facilité avec laquelle ce lion s’est laissé approcher. Je glisse ma main dans sa crinière et il commence à ronronner. Je me détends pour la première fois depuis que je me suis réveillée. Partout dans la maison, des cris retentissent, j’entends qu’on fouille les pièces les unes après les autres et la colère qui emplit les lieux. Au nombre de portes ouvertes et fermées, cette maison est gigantesque. Mais, pour l’instant, je n’en ai cure et reste avec le lion. Les heures passent, et personne ne revient dans cette cage. Ma tête me fait mal, et je tombe littéralement de fatigue. Le lion se redresse, change de position et je me pelotonne contre lui, m’abandonnant à un sommeil réparateur.

Le lion se redresse d’un seul coup et rugit, me réveillant au passage. Je me retourne vers ce qui l’a dérangé et vois l’homme de la chambre à l’avant de la cage, entouré d’une dizaine de personnes, immobile face à l’animal grogneur. Je me lève, et passe la main dans la crinière, défiant les autres de s’approcher. Les murmures étonnés et les cris de stupeur montent dans la petite foule. Le chef lève la main et tous les bruits s’arrêtent. Il s’avance lentement, et s’arrête en entendant le lion grogner encore plus fort. Il me tend la main et m’appelle gentiment, comme si j’étais, moi aussi, un animal sauvage.

– Princesse ? Viens vers moi, chérie. Doucement. Je n’ai pas envie que ce lion te fasse du mal.

– Du mal ? Vous vous foutez de moi ? Ce lion ne m’a rien fait de mal, et il ne m’a pas enlevée de l’hôpital, lui !

– Je t’ai déjà admis que j’avais fait une erreur, à la base, et…

– À la base ! Vous auriez pu me ramener là où je devrais être, auprès de ma famille et de mon petit-ami !

– Ta famille a été prévenue, et nous donne sa bénédiction. Pour ton petit-ami, je ne sais même pas pourquoi tu t’obstines à l’appeler ainsi alors qu’il n’a pas envoyé un seul message en presque une semaine, et que personne ne lui a donné de nouvelles de toi, vu qu’il n’a rien demandé à personne !

– Att… Attendez… Presque une semaine ? Combien de temps ai-je dormi ?

– Cinq jours. Ta blessure était plus grave que ce que les ambulanciers n’avaient constaté. Tu as fait un œdème cérébral, en plus de t’être ouvert le crâne assez méchamment. Maintenant, ça suffit. Viens.

– Non ! Ce n’est pas possible ! Je…

Je m’effondre par terre, le visage en larmes. James n’a pas pris de nouvelles en cinq jours ? Auprès de personne ? Mon cœur se brise et mon monde s’effondre. Le lion cesse de grogner, et appuie son museau sur ma tête en pleurant. L’homme s’approche et me prend dans ses bras, en mode princesse. Je le laisse faire et m’effondre en moi-même en sombrant dans l’oubli.

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