Une soirée pas comme les autres

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La pluie frappe les carreaux avec une régularité lassante. Un livre posé sur les genoux, j'écoute ma sœur jouer le thème d'Orgueil et Préjugé au piano. Je me sens mélancolique. Est-ce parce que l'automne est arrivé, teintant les arbres de rouge, d'orange, de doré et de brun. Ils sont à peine visibles derrière les trombes d'eau qui tombent dru du ciel noirci. À côté de mes pieds, le chien jappe pour attirer mon attention. En soupirant, je pose mon livre et le prends dans mes bras. Je le caresse paresseusement, le front posé sur la vitre froide. Le temps me semble durer une éternité. Ma sœur arrête de jouer et vient s'installer face à moi sur l'appuie de fenêtre transformé en assise confortable. C'est mon petit coin de paradis. La bibliothèque débordante de livres en tous genres n'est pas très loin, de même que la cuisine avec une collection de thés assez vaste que pour satisfaire les grands buveurs de thé que nous sommes et une bouloir toujours prête à servir. Ensemble, nous regardons le triste spectacle qui se joue de l'autre côté du verre.

Le lendemain, je rejoins mon groupe d'amis, direction l'un des cafés de la ville. Nous ne devons pas rester tard et terminer la soirée chez l'un ou chez l'autre avant de nous endormir morts bourrés dans un des fauteuils. L'ambiance est toujours joyeuse avec une bande comme la nôtre. On se fait remarquer à chaque sortie et, heureusement pour nous, les patrons des bars savent qui nous sommes et comment nous nous comportons. En entrant, le barman nous salue de la tête, nous sommes de vieux habitués et tout le monde connait tout le monde, ici.

La soirée commence bien, jusqu'à ce qu'une autre bande entre. La musique s'arrête brutalement, attirant l'attention de tous. Pompettes, nous relevons la tête de nos verres et de notre éclat de rire, râlant déjà à propos de la coupure de la chanson préférée de l'un d'entre nous. Les autres clients sont dans le même état d'esprit. Je les dévisage sans la moindre pudeur. Cinq hommes, tous habillés de cuir et couverts de tatouages prennent place sur la minuscule estrade. Leurs gros bras en font taire plus d'un. Ils se servent comme s'ils étaient chez eux. C'est pourtant la première fois qu'on les voit dans cette ville et je suis incapable de garder ma langue dans ma poche.

– On peut savoir pourquoi vous avez coupé la musique et de quel droit vous vous servez?

– Tiens, on dirait qu'il y en ait au moins une qui ne sache pas garder sa langue dans sa bouche.

– Vous n'êtes pas chez vous, ici, intervient mon ami Bastien.

– Voyez-vous ça? Le petit n'accepte pas qu'on s'en prenne à sa chérie? Et qu'est-ce que tu vas faire, hein? Elle comme toi, vous feriez mieux de la fermer et de nous laisser tranquilles si vous ne voulez vous attirer des ennuis.

– Ce n'est pas ma chérie, c'est mon amie. Et elle a raison. C'est chez nous ici. Vous feriez mieux de payer et de partir avant que la police ne vienne.

– La police? Elle ne nous fait pas peur. Maintenant, ferme-la. C'est un conseil d'ami avant que tu ne te retrouves à l'hôpital à manger à la paille.

Tremblant de rage, Bastien se rassied à mes côtés. Les regards mauvais sont devenus hostiles et je vois plus d'un homme les doigts courant sur leur téléphone, contactant les policiers qu'ils connaissent. Je fais la même chose, demandant à mon père, le commissaire de la police locale, de venir avec un maximum d'hommes, les intrus étant un peu trop menaçants à mon goût. Il me répond rapidement qu'il est déjà en chemin avec la brigade au grand complet. À voix basse, je rassure mes amis, la cavalerie est en route. Des petits sourires discrets me répondent et les clients des tables d'à-côté qui m'ont entendue hochent de la tête.

Ce que je n'avais pas prévu, c'est qu'eux aussi, ils m'entendent. J'ai pourtant fait bien attention de leur tourner le dos et de murmurer. Ont-ils une ouïe aussi développée que les chiens? Normalement non. L'un d'eux descend de la scène et vient se mettre dans mon dos. Je sens son incroyable énergie vibrant percuter tout l'arrière de mon corps, une seconde avant que ses gros bras ne m'entourent et ne me soulèvent du sol. Je pousse un cri, me débat, mais rien à faire. Je suis incapable de m'en sortir seule. Bastien et les autres se lèvent d'un seul homme, prêts à se battre si nécessaire. Les amis de l'homme qui me tient rient aux éclats, comme si notre réaction était la blague de l'année.

Au même moment, mon père entre avec ses hommes, armes dégainées au cas où. Les yeux de mon paternel s'arrondissent quand il me voit dans cette fâcheuse position et ordonne au porteur de me poser doucement au sol s'il ne veut pas d'ennuis. Celui-ci rit d'autant plus et me fait basculer par-dessus son épaule, clapant mes fesses au passage. Outrée, je lui hurle de me poser et le frappe de toutes mes forces avec mes pieds et mes poings, récoltant une nouvelle fessée scandaleuse. Jamais personne ne m'a fessée et je n'accepterai jamais qu'on me traite comme une sale gamine désobéissante!

Un coup de feu retentit et j'entends l'homme grogner de douleur. Je me redresse tant bien que mal et vois une tache rouge s'épanouir dans son épaule libre. Ça doit faire un mal de chien et tout ce qu'il fait, c'est grogner à voix basse? Pour m'être déjà pris une balle dans la cuisse (la faute à ma sœur qui s'amusait avec l'arme de papa sans se rendre compte qu'elle était chargée), même frôlée, je sais que c'est horriblement douloureux. Il se rapproche de ses amis sans me poser et ceux-ci nous encadrent, formant un triangle autour de nous. Ils se prennent la main, murmurent quelque chose en se regardant et une grande détonation retentit.

Je reviens difficilement à moi, toujours à cheval sur l'épaule de l'homme. Ouvrant à peine les yeux pour leur faire croire que je suis toujours inconsciente, je vois un paysage défiler autour de nous. Mes bras et mes jambes sont ligotés autour du torse chaud de mon ravisseur, je ne peux pas bouger. Le sang me monte à la tête, cependant, j'arrive tout de même à me rendre compte que ce que je vois, ce n'est plus le bar dans lequel je prenais un verre avec mes amis et dans lequel mon père a débarqué avec ses hommes. Non, autour de nous, ce ne sont que des collines basses, des forêts de conifères et, un peu plus loin, du sable et la mer. Je panique et gigote, incapable de contenir la terreur qui s'est emparée de moi. Je ne sais pas où je suis, ni vers où nous allons, mais ce n'est définitivement pas chez moi...

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