Depuis notre tendre enfance, nos cauchemars hantent nos vies au gré de nos insomnies. Ils nous réveillent, nous saisi d'effroi, nous devenons tétanisés devant autant de noirceurs, alors nous préférons nous rendormir comme si de rien n’était. Ignorant à nouveau, l'existence d’une telle réalité jusqu’à la prochaine nuit.

Peut-être serait-il judicieux d’en apprendre davantage sur cette histoire ? C’est ce que la veuve noire désire ardemment. Nous informer du danger imminent en exposant à nos mines abattues la triste vérité. Celle-ci tombe comme un couperet, et met notre mauvaise foi en déroute.

J’appris lors d’un séjour aux enfers, l’existence d’un secret familial soigneusement gardé de génération en génération, et dont on ne peut échapper. Mes aïeuls ont bien cherché un moyen de le faire disparaître, mais il revient toujours au galop, car il est inhérent à notre condition ici-bas ! Cette nature humaine, qui nous accable de tant de fautes, faisant de nous des loups dévorant les petits agneaux au fond des forêts, sans autre forme de procès.

Auprès des autres, on s’autosaisit en juge de leurs vertus. Même si je dois confesser que nous n’en possédons pas l’ombre d’une seule. Elles ressemblent à de vagues mirages au loin, hors de portée du gredin.

Si jamais, nos camarades fautent, de surcroît envers nous-mêmes, on veut leur faire expier leurs fautes par le pire des châtiments. À l’occasion, on ajoute les nôtres, ni vu ni connu, il serait inconvenant de faire sa propre introspection !

De toute façon, c’est bien les autres, qui sont responsables de nos tourments ! Ils ont le dos biscornu, l’haleine fétide, et le regard fiévreux. Si bien qu’à la fin, on ne veut même plus faire semblant de les aimer, nous incarnons alors un rôle tout particulier… le misanthrope !

Et puis il y a ce fameux secret, dont on tait l’existence par intérêt. On ne fait pas de vagues pour ne pas attirer l’attention sur nous. Qui voudrait d’une enquête diligentée pour tirer cette affaire au clair en sachant que des questions plutôt embarrassantes nous seraient posées ? Pour sûr, celle-ci traînerait pendant de longues années. Nos détracteurs trouveraient des preuves ou les inventeraient, nous faisant passer pour des bonimenteurs, et nos sympathisants érigeraient des idoles en bois en notre honneur.

Au final, on se retrouverait au milieu d’une guerre sans fin contre le genre humain. Un compromis douteux pourrait être trouvé en la personne du bouc émissaire. Il porterait sur lui la responsabilité des fautes de la collectivité, et le feu du bûcher serait le garant du bon règlement de la dette. Qu’est-ce qu’une misérable vie que l’on sacrifie pour le rachat de nos erreurs ? Quelque chose de si peu cher que cela ressemble à un buffet à volonté ! À chaque vie offerte, le sentiment d’injustice s’apaise un temps, sauf que bientôt les tracas refont surface, et il nous faut urgemment trouver un nouveau responsable.

Un véritable cycle sans fin. On doit tout le temps brûler quelqu’un pour apaiser la colère populaire. Sommes-nous devant un éloge du sacrifice humain déguisé sous les traits particuliers de la haine de nous-mêmes ? Les individus jetés aux nus, et dont la mort physique ou sociale est proposée à une divinité se faisant appelé “Collectivité” peuvent faire office d’une contrefaçon grossière des sacrifices d’enfants offerts Moloch, et dont les représentations allégoriques ont bercé nos vies.

Nous nous plaignons des conséquences, dont on chérit les causes, comme le disait si bien Bossuet. Nous faisons vœu de silence sur les injustices. On accepte même une règle tacite, une loi inviolable, dans le but de préserver la famille. On condamne sans sourciller les pauvres victimes à vivre avec leurs bourreaux.

Les petits chouchous, à l’image d’enfant pourri gâté, mènent la vie dure aux autres. Ils inondent de privilèges, qui leur permettent de commettre n’importe quel crime, même de s’en vanter, sans que la moindre punition arrive, car ils sont dans les bonnes grâces des doyens.

Il y en a même qui ose en écrire des bouquins ! Ils y décrivent dans les moindres détails, leurs penchants douteux avec des bambins, c’est pour dire !

Sauf qu’un beau jour, le troupeau envoie bouler le berger. La vérité est révélée. Fous de rage, on se met à couper des têtes. Nos meilleurs amis se transforment en nos pires ennemis. Un seul dicton… Sauve qui peut ! Avant la chute, les révolutionnaires sont vus comme des marginaux, des complotistes, ou pire des terroristes. On doit les détruire, car ils menacent notre système.

Quand ils prennent le pouvoir, on réécrit l’histoire ! Les mauvais larrons deviennent miraculeusement des héros, des protecteurs de la veuve et de l’orphelin. Se pose alors, la question, si l’histoire ne serait pas une affaire à double-face. Pile, tu es en état de sainteté. Face, tu es damné !

Pendant le laps de temps du cessez-le-feu, et voyant qu’il nous est impossible de vivre indéfiniment dans un climat de guerre froide. On tourne la page. On pardonne. On oublie aussi ce maudit secret, qui nous dérange tant !

Le tout redémarre en fanfare aux faux airs de carnaval. Une nouvelle révolution a lieu. Nos héros d’hier ayant déçu la vindicte populaire, à cause de leur complaisance envers leurs propres travers, sautent à la barre fixe. Peut-on dire que l’humanité est remplie de gens mauvais, tout en niant qu’on est un de ses membres émérites ?

Au cœur des halles, les images grandiloquentes d’un bonheur accessible à bas coup nous parviennent comme des oasis au milieu du désert. Les publicitaires mettent le paquet sur le contenant, alors que le contenu est lui aux abonnés absents. Sans prendre garde, on se retrouve criblé de dettes par ses arnaqueurs. On se rend compte que tout n’est qu’une succession de malheurs, plus ou moins grands, plus ou moins longs, aux paiements différés ou immédiats.

Pour garder bonne figure, on invente de toute pièce une fausse identité, nous faisant passer pour un agent en infiltration. En apparence, tout semble beau, la belle voiture, la belle maison, les beaux enfants toujours tirés à quatre épingles. Tout ressemble au bonheur parfait… sauf que ce portrait idyllique est juste là pour alimenter les réseaux sociaux. Quand on regarde les coulisses, la voiture est en panne, la maison tombe en ruine, les enfants sont odieux, et les larmes de tristesse n’arrêtent pas de couler sur nos joues.

Il y a bien des illusionnistes dans l’âme, qui essaient de retourner la vapeur. Le mot d’ordre est : “La vie en rose”. Il n’y a nul pépin que l’on peut enlever. Nulle souffrance que l’on peut dépasser. Nulle affliction qui ne soit pas une leçon de vie. On cultive la démesure. Au début, ça nous réussit un peu. La chance du débutant. On croit être la réincarnation vivante de Jupiter, avant de chuter piteusement, nous rappelant que nous sommes si petits dans un monde si grand !

On veut que notre existence se résume à de simples désirs à assouvir. Des notes de frais, qui s'empilent sur le bureau de notre esprit, et gare à ceux qui veulent faire opposition ! Les remords savent nous faire regretter ce geste imprudent. Notre conscience se met à vouloir posséder des biens infinis dans une matière finie. Elle y met tant d’espoir que quand elle s’aperçoit de l’impossibilité de son action, le désespoir l’afflige si durement, qu’elle veut en finir avec ses vieux jours.

Admettons qu’elle puisse en posséder en grand nombre ici-bas, le caractère précaire et éphémère de ses biens, fait qu’on veut les protéger des autres, les cacher loin de leurs vues, sauf qu’un jour, ils le découvrent, et ils nous le volent !

Si on repose notre espoir sur des biens immatériels donc immortels, alors l’espoir se transforme en espérance. On a beau subir les pires épreuves, les pires souffrances. Un rayon de lumière, aussi petit soit-il, nous offrira une issue, une fin heureuse. Cette chose aussi insignifiante pour bon nombre de nos contemporains est ce qui nous rend heureux.

Sans cette foi banale, absurde pour ceux qui ne l’ont pas, c’est la mort qui nous gouverne. Elle nous traque. Plus nous vieillissons, plus le contrat sur notre tête augmente. Nous devenons alors des fugitifs. On regarde les autres avec des yeux de chiens faïences, car peut-être vont-ils nous dénoncer pour toucher la prime ! On fait preuve d’une prudence excessive pour éviter les catastrophes. On se met en mode survivaliste. On se prépare à une guerre perpétuelle pour défendre notre famille. Et puis, un beau jour, sur notre lit de mort, elle nous rattrape, et nous fauche !

Se battre contre la mort est un combat exténuant. Rares sont les personnes, qui ne pètent pas une durite au cours de leur vie. Sommes-nous le produit de la folie des barbares ? Eux, qui ont l’arrogance de prétendre qu’ils peuvent dominer la nature, comme ils dominent les leurs par la force. Même aussi puissant soit-il, ils se retrouvent démunis quand la colère de ceux qu’ils ont humiliés se retourne contre eux !

Même si on décide de quitter la partie, c’est bien la mort qui a le dernier mot.

J’étais le témoin d’un crime, le mien, ou plutôt celui de mon intimité, et dont le coupable n’était autre que mon meilleur ami. Une ombre sortit de son appartement sans dire un mot, faisant abstraction de ce qui venait de se passer. Celle-ci se dirigea vers une rue bondée de monde.

L’attention se portait sur sa présence. Elle semblait avoir l’effet d’un perturbateur de conscience. On pouvait apercevoir une jupe légèrement remontée, et des collants déchirés . Le jury venait d’être désigné pour cette affaire de bonnes moeurs. Les grenouilles de bénitier cachaient les yeux de leurs enfants pour les empêcher de contempler la déchéance d’une jouvencelle. Les pères de famille semblaient comprendre l’état des choses, désapprouvant ce genre de comportement indigne. Oh ! S’ils avaient mis la main sur le chenapan, ce dernier aurait reçu une sacrée rouste !

Les hommes sans honneurs ayant mis à l’index leurs vertus pour se débarrasser de valeurs morales désuètes venaient de trouver leur cible idéale. Un corps pouvant servir de réceptacle pour leur liquide séminal. Vu qu’ils en ont trop en stock, il refourgue tout ce qu’ils peuvent à la première venue. Moins ils ont d'estime pour elle, plus ils sont enclins à la lui donner. On considère la capacité de créer la vie, comme un fardeau qu’on veut se délaisser. Ce qui aboutit à la création en série d’une génération d’avortons.

Une chose détonne de tout le reste. Ceux, qui jugent durement les femmes sur des critères de pureté, semblent tout de même participer activement à leur corruption. Que penseraient-ils de leur mère, si elle subissait le même sort ? Est-ce qu’elle deviendrait à leurs yeux une vulgaire prostituée sans valeur ? Si tel est le cas, je ne connais pas un être aussi ingrat que celui ayant renié celle qui lui a donné le sein.

Cette ombre était la seule parcelle de moi qui semblait subsister dans ce monde. Un éclat d’une splendeur passée. À la manière d’un restaurant bien classé sur les sites de critiques culinaires, qui après un scandale, avait subi un flot de mauvaises notes. Ma cotation sur le marché de l’amour avait fortement dégringolé comme une action lors d’un krach boursier.

Cette situation me donnait envie de disparaître le temps d’un instant, de mettre ma vie en pause, car le jugement acerbe des autres me faisait pleurer de chaudes larmes. Cette société me rejetait ouvertement, alors que je voulais qu’elle m’aime. Je voulais être un plat pour de fins gourmets, et je me retrouvais à être un plat périmé, tout juste bon à ravir les ragondins.

Pendant ce coup de blues, une de mes amies déjantées était venue se taper l'incrust' pour me tenir compagnie. Elle, qui se fait appeler la paranoïa, croit qu’on est au milieu d’un complot mondial institué pour nous faire la peau. Elle a le don de nous faire flipper, celle-là ! Le désespoir arrive, et nous traverse de part en part. La honte s’immisce dans chacune de nos pensées, et nous suit comme un petit copain pot de colle.

On se dit qu’il n’y a plus personne sur qui compter. Que penseraient mes parents en me voyant dans cet état ? Ils seraient forcément déçus, foudroyés d’apprendre que leur fille n’est pas celle qu’ils espéraient. Si même mon meilleur ami a pu se transformer en mon pire ennemi, il est envisageable que mes parents en fassent d’eux même.

J'aurais été confronté à un choix cornélien. Sauvez mon honneur en leur disant la vérité, mais ils auraient exigé que sa tête se retrouve sur un pic, et j’aurais perdu mon âme jumelle. L’autre option aurait été de faire semblant que tout va bien, ne rien dire, je suppose qu’ ils auraient su que je mentais et que je m’étais fourvoyé. Forcément la déception les aurait assiégés. Ils l’auraient mal supporté. Ils se seraient posés des tas de questions sur ce qu’ils ont manqué dans mon éducation.

La culpabilité me consumait intérieurement. J’ai été mis dans la confidence sur la maladie qui ronge la “familia grande”, mais je refusais de croire à cette légende urbaine. Au moment de sa transformation en bête, je pensais le faire revenir à la raison. Le constat fut accablant, je me suis donc retrouvée prise en tenaille et il ne fit qu’une bouchée de ma douce innocence.

Le pont neuf en approche, une petite voix me susurrait à l’oreille des insultes auxquelles je n’avais pas la force de protester. La ressemblance avec un drap sale emplie d'impureté ne faisait aucun doute. Même un nettoyage à sec n’aurait pas pu rattraper les dégâts causés.

Je ne sais pourquoi, mais j'ai entrepris de sauter du pont. Comment ai-je pu consentir à une telle folie ? Aucun argument ne peut justifier un tel acte. Seulement, la lubie morbide d’entamer le voyage ténébreux vers l’autre rive. Je n’ai pas eu besoin d’élan. La chute fut rapide. Les cris assourdissants des passants vinrent à mon oreille… mon corps se fracassa contre l’eau…et puis, vint le trou noir.

Abandonnant toute forme de résistance, niant ma propre existence, je voulais me noyer dans le néant.

Les tourbillons des limbes vinrent à moi. Je voulais ne plus être, ne plus me mouvoir, ne plus demeurer en moi. Quand une pensée arriva envers celui que j’avais tant aimé, et qui m’avait tant donnée. Je regrettai cette folie, mais il était déjà trop tard pour revenir en arrière, mes forces s’étaient évaporées.

Nul ne saurait dire la douleur, qui était la mienne à l’idée de ne plus le revoir. J’implorais le monde, de me laisser le contempler une dernière fois. Chose qui m’a été concédée, car une main m’attrapa, et me jeta hors de l’eau. C’était lui ! Il était venu me sauver, alors que je m'apprêtais à ne plus le revoir.

Quand nos yeux se croisèrent, je lui ravis mon plus beau sourire, et je m’évanouis dans le plus beau des rêves. Je me retrouvais projeté dans une gare d’entre-deux-monde avec en tête, une mission à accomplir. Sauver un être cher !