Depuis notre réconciliation, je ne pus me passer de ma meilleure amie. Je voyais chaque moment sans elle, comme un calvaire, je la suppliais de revenir, le coeur déchiré en mille morceaux. Quand elle m’a dit devoir remplir une obligation un dimanche à l’aube. Instinctivement, je me suis mis à lui proposer mes services. Je n’allais tout de même pas la laisser faire seule ce labeur, pensais-je, galvanisé par un léger sens de l’honneur. Bien benêt, j’allais être, quand je sus l’endroit où elle voulait m’emmener.

Que sais-tu de la foi, de l’espérance et de la charité ? questionna-t-elle innocemment à mon encontre. Pas grand-chose, lui avouais-je, bien ennuyé. Je ne croyais pas… enfin je refusais de croire en ces choses-là. Je dois l’avouer, trop saugrenue à mon goût. J’étais bien trop rationnel et terre à terre, pour admettre qu’une vérité pouvait me dépasser. Pour moi, la science a réponse à tout ou aura réponse à tout. Tout ceci n’est qu’une question de temps au sein d’une évolution linéaire de notre si chère et précieuse humanité.

On a marché pendant un long moment dans le silence. On se trouvait pas loin des grands boulevards, quand elle se mit à pousser la chansonnette. La sonorité me disait vaguement quelque chose. On aurait dit du latin ou une langue dérivant de cette dernière. Et puis, il y avait cette grande bâtisse à l’architecture néogothique qu’elle n’arrêtait pas de me montrer du doigt. Cela ressemblait vaguement à une église, mais bon vu que je n’y ai presque jamais mis les pieds, je ne saurais l’affirmer.

Il me semblait invraisemblable qu’elle puisse m’emmener dans un tel lieu où les bigots se rencontrent. C’est vrai que maintenant que j’y pense, on en a bien visité une en Espagne, mais ça ne peut être dû qu'au hasard. Elle, dont l’intelligence ne saurait croire à ses fables pour enfants. Non, pas elle !

Lors de son entrée, elle eut un comportement étrange. Si je ne l’eusse guère connue, je me serais dit que j’avais affaire à une déséquilibrée. Elle prit de l’eau, fit un signe de la croix, s’agenouilla, fit à nouveau un signe de la croix, et se mit un voile léger en soie sur la tête. À ne rien y comprendre. Pendant cet égarement, elle disparut. Non physiquement, car elle était bien là avec moi, mais une autre chose absorbait son attention.

On aurait dit qu’elle était ailleurs, habitée par un mystère, devenant pour moi, une énigme à résoudre. J’aurais voulu lui ôter le voile qu’elle portait pour qu’elle dévoile son secret à moi, mais mon éducation m’empêchait d'agir comme un goujat. Qu’aurait-elle pensé à mon égard ? D’un homme voulant l’accaparer pour en détenir l’exclusivité, refusant de lui accorder sa confiance et au final, la dénaturant par sa propre vulgarité … Bref, d’un homme de peu de foi !

Le caractère sacré qu’elle revêtait ne saurait être touché par les coeurs impurs sans la souiller de toute part. Celle-ci, par pudeur, serait dans l’obligation de se soustraire à leur vue. Ils seraient alors, tels des sots voulant attraper de l’eau les mains dans le dos.

En tout cas, mon coeur était subjugué par une telle beauté prenant place à la droite de moi, dans le plus grand secret des regards indiscrets. Chaque sourire ravivait la flamme qui m'animait jadis. Ses lèvres en mouvement avaient le don de transformer des paroles d’une banalité affligeante en prophétie.

Une telle compagnie n’a pas de prix, car celui-ci est inestimable d’un point de vue comptable. Les plus riches volent aux pauvres pour amasser des biens de ce monde. Ils ne récoltent que des fruits amers ou périssables rapidement. Moi, je n’ai pas eu ni à payer ni à voler quoi que ce soit. J’étais juste présent au bon endroit au bon moment.

Pendant que je la contemplais sans dire un mot. Elle ressemblait à une biche, dont la beauté chaste inspire le respect, et cela, sans qu’on l'ait voulu. Comme si la nature voulait que l’on salue notre reine, quand celle-ci est à quelques pas de nous. Elle n’avait nul besoin d’attirer l’attention pour être au milieu de toutes les attentions. Sa présence en un lieu était un appel permanent au plus grand des zèles.

La cérémonie allait bientôt commencer, et j’étais tiraillé entre mon intuition m’implorant de rester là avec elle et ma raison me conseillant de m’évader sans attendre. L’amour eut le dernier mot, en dépit de la désapprobation d’un bon sens salvateur.

J’assistais à une véritable chorégraphie. On devait se lever, chanter, s’agenouiller, se lever à nouveau, chanter à nouveau, faire des signes de la croix à des moments, incliner la tête à d’autres moments. Tous ces imbroglios mirent ma patience à rude épreuve. Je ne comprenais pas ce que je faisais, et surtout, je ne voulais pas comprendre !

Je n’aimais pas ça, m’agenouiller pendant de longues minutes à attendre que ça se passe. Je me sentais gêné. Je tremblais même. J’avais affaire à un châtiment corporel, qui ne dit pas son nom ! Et puis, elle, la pauvre, qui n’a pas prononcé le moindre mot depuis notre entrée. Quelle souffrance endurait-elle ? C’est la raison pour laquelle je continuais.

Si je le fais, c’est pour elle, et non pour quiconque d’autre, radotais-je intérieurement pour me donner de la force. Plus le temps s’écoulait, plus celle-ci s’amoindrissait, mais je restais à mon poste. Je l'accompagnais dans son affliction, pour qu’elle sache qu’elle pouvait toujours compter sur moi !

Quand ça prit fin, deux énormes files s'étaient formées au milieu en direction de l’autel. Je me posais bien la question de la raison d’un tel attroupement. Des petits pains sans levain y étaient distribués. Tout ceci échappait à un esprit tel que le mien. Surtout la raison invoquait pour prendre cet encas était grotesque, voir déplacé. C’est le corps du Christ, m’expliquait-elle. Du cannibalisme ! Il manquait plus que ça pour parfaire ma journée. J’aurais tout vu.

Elle avait beau me rassurer, en me disant que c’est son corps mystique. Je n'étais pas rassuré pour autant. Je ne sais pas trop ce que le mot mystique veut dire, mais tout ceci ne me disait rien qu’y vaille. On ne fait pas ce genre dans une société civilisée, comme la nôtre ! On doit respecter les droits des hommes, c’est indispensable ! Sinon c’est la loi du talion, tu me casses la jambe, je casse la tienne. Ni pardon ni oubli. Chaque dette devient perpétuelle, les générations futures doivent payer pour les générations passées. Et on se crêpe le chignon sur le règlement des arriérés.

Quand ce fut à son tour de suivre le mouvement, l’aisance déployée par ses petits soins a transformé ce qui me paraissait être un non-sens, en une vérité absolue. Je me sentais porté, rassuré, et appelé par un devoir mémoriel. Je devais la suivre !

Je marchais derrière elle, sans broncher, comme un bon petit soldat. Après avoir exécuté la parade à la perfection, la récompense me fut donnée directement dans la bouche. Elle n’eut rien d’extraordinaire. Ce n’était pas un délice nous rendant captifs, pris en otage par notre palais, grâce aux malices d’un chef boulanger. Je m'interrogeais alors de l'intérêt d’une telle entreprise… Cela se passe à l’intérieur, me chuchota-t-elle en me fixant tendrement du regard.

Voulait-elle dire à l’intérieur de notre corps ? Venait-on d’ingérer une substance psychotrope ? Étrange, je ne ressentais aucun effet. Par contre, elle… si ! On aurait dit qu’elle était transfigurée. Si bien que je ne sus dire exactement, si c’était vraiment elle ou un sosie ! Que s’est-il passé sans que je m’en rende compte ? Tout cela m’échappait quelque peu. J’étais contrarié. J’aurais voulu savoir, mais je restais dans une ignorance crasse.

C’était fini. L’assemblée retournait chez elle. Je lui fis un signe du bras pour qu’on s’en aille, nous aussi. Aucune réponse ! J'ai pris son pouls, rien d’anormal.

Elle s’est peut-être juste endormie. Je lui adressais donc de légers coups d’épaules, mais toujours rien !

Peut-être attendait-elle quelque chose de moi ? Un geste de charité, par exemple ? Je sortis ma boîte de gâteaux, et lui en proposa… Rien ! Alors recherchait-elle un geste d’amour ? Je lui fis un gros câlin, mais toujours rien… Peut-être avait-elle froid ? Je lui mis ma veste sur ses épaules. Rien, pas de signe de vie !

J’étais désespéré par la situation, plus que cocasse. Il y avait des personnes “bizarres”, qui brûlaient des cierges. J’en fis de même en l’honneur de ma dame. Quand je revins, elle me toucha légèrement la main, mais s’endormit aussitôt ! Je devais donc faire des trucs bizarres pour qu’elle revienne à moi…

Je vis un homme qui chantait des louanges, j’en fis de même avec des vers en douze syllabes. Chose ô combien compliquée ! Je reçus un baiser de sa part sur ma joue gauche, puis elle s'endormit à nouveau.

Était-elle prisonnière d’un maléfice à l’instar de la belle au bois dormant ? Pour la première fois depuis longtemps, je me suis mis à prier le Bon Dieu. Pour elle. Lui dire à quel point, j’étais désolé. Que je préférais qu’il me prenne à sa place ! Que s’il le fallait, je m'ôterais la vie pour qu’elle soit comblée ! Elle me remercia, mais s’endormit encore et encore !

Un peu perdu. Totalement désorienté par la situation. Je me mis à l’implorer à genoux. Les larmes ruisselaient abondamment sur mes joues. Le désespoir assiège la forteresse (celle où siège mon cœur). Il envoya ses cavaliers, dénommés “supplices”, harceler les remparts, à l’image de factures qui s’accumulent sur le bureau, sans qu’il nous soit possible d’en régler un seul.

Sans que je m’en aperçoive, elle s’était réveillée, et me prit directement dans ses bras, comme pour me consoler de mon sacrifice. Sa joie de vivre me bouleversa. Viens, on va au parc. Je te dois bien ça ! Dis-toi que notre journée ne fait que commencer… Ce fut ses mots, et je ne compris qu’après ce qu’ils voulaient dire.

Sache que je connais tes doutes, tes croyances et tes certitudes, continua-t-elle. C’est pourquoi je me sens honoré que tu aies consenti à cet effort. Si bien que je t’en suis redevable.

Cela me touchait… Sauf que c’était moi qui lui étais redevable de pouvoir être à sa table. Bénéficiant ainsi de sa grâce.

On se pavanait bras dessus bras dessous au beau milieu du jardin du Luxembourg. Je n’étais pas peu fier d’être en sa présence. C’est le moins qu’on puisse dire. Elle, qui était alors, mon petit rayon de soleil dans ce monde de barbares. Les vieilles chansons que nous chantions déplaisaient fortement à notre public, hostile à ce genre de musicalité.

Pendant notre marche, nous sommes tombées nez à nez devant un arbre gigantesque. Je me suis rappelé que c’était celui que nous avions planté le jour de notre rencontre. Une dizaine d’années auparavant.

Sa grandeur me donnait le vertige. Il faisait bien trois mètres de haut ! Quand on pense qu’au début, ce n’était qu’une petite graine ! Que ces choses-là poussent vite ! Des souvenirs à propos de lui me revinrent. Si nous vivions des moments de liesse tous les deux, celui-ci se mettait à grandir à vue d'œil ! Ah… mais si nous avions le malheur de nous disputer ou de sombrer dans la déprime, les feuilles se fanaient une à une ! Comme pour nous signifier que toute chose peut prendre si on ne prend pas soin de l’entretenir suffisamment.

Il portait en sein d'innombrables fruits aux effets psychotropes. Une vieille dame, d’un âge hautement avancé, nous indiqua comment les cueillir, lesquels nous devions consommer et quand nous devions les consommer.

Certains pourrissaient vite, notamment les fruits de la passion, et d’autres prenaient leur temps pour grandir. Cependant, on pouvait tarder à les consommer à l’instar des pommes.

Il fallait aussi faire des tris, entre les différentes saisons, vu qu’ils pouvaient apparaître que l’hiver ou l’été.

On devait aussi se méfier des fruits toxiques, par exemple, le Sureau à grappes, qui peut être mortel. Et puis, on avait l’obligation de vérifier l’âge du fruit en question, si on ne voulait pas avoir de mauvaises surprises. Trop jeune, pas d’effet. Trop vieux, des effets indésirables. Bon bref, tout un art, qu’on devait maîtriser à la perfection.

Il y a longtemps, j’adorais manger des framboises. Une fois, j’ai vécu un moment euphorique dépassant l'entendement, car elles étaient bien mûres. Les autres fois, je n’eus pas cette chance, je n’avais que de l’aigreur envers cette société injuste.

Des expériences du même genre, je peux en faire un bouquin, tellement j’en ai. Une fois, le jour du douzième anniversaire de Capucine, c’était la convivialité qui m’habitait grâce à une grappe de raisins qu’elle m’avait tendue. Nous goûtions aux caprices, après nous avoir gavés de fraises, impossible de nous entendre ce jour-là. La tomate sema les graines de la révolte envers l’autorité parentale, nous voulions nous émanciper par envie de liberté, sauf qu'à six ans, c’est rarement une bonne idée.

Capucine me sortit de ma rêverie, m’indiquant la présence d’une pêche bien mûre. Prends-là, disait-elle. Ce que je fis immédiatement sans discutailler. Elle était particulièrement juteuse, tout en gardant à l’intérieur, une extrême douceur. Je ne me souviens pas avoir goûté une pêche aussi bonne dans le passé.

L'apaisement du coeur survint. J’étais heureux. Je riais sans raison, un peu bêtement, les gens se demandaient bien ce qui pouvait m’arriver. Il devait penser que j’étais un peu fou. Bon à envoyer à l’asile !

Il n’avait pas totalement tort ! Une folie, toute singulière, se réveillait chez moi. En sa présence, tout m’apparut comme une preuve d’amour m’étant adressée. Une gifle, geste d’amour dans le but de redresser mes fautes. Un crachat, geste d’amour dans le but de m’expliquer que je ne suis qu’un grain de sénevé dans l’univers.

Stupide. Trop bon trop con, fustigeaient-ils à mon égard. Mon comportement apparaissait comme dangereux. Dans un monde où l’ego est roi, il ne peut y avoir d’offense envers sa personne devenue sacrée, sans que celui eût préparé une punition exemplaire. Je n’avais que faire de ce petit roi de pacotille et de son royaume ressemblant plus à un château de sable qu’à un château fort.

Je l’avais elle… En sa présence, le monde redevenait féérique, comme s’il avait toujours été ainsi, et que le monde d’avant n’était qu’une illusion maléfique concoctée par des marketeux véreux. Ces derniers, doués pour raconter des histoires, avaient vendu à d’honnêtes gens un projet d’un paradis terrestre inatteignable, sauf que tout ceci n’était que du vent, une escroquerie bien ficelée par cette petite bande de malfrats.

Plus les jours se succédaient, plus on voyait bien qu’on s’était fait enfler. Bien habile fut l’orgueil, quand il nous proposa de cacher le méfait pour ne pas nous couvrir de honte. Personne ne veut passer pour le naïf de l’histoire, notre fierté en prend un coup.

Tout cela nous rend méfiants. La vérité nous semble être un mensonge éhonté. Au crépuscule de notre vie, le doute vient s'immiscer. On devient pétochard. On voudrait se figer comme une image du passé, pour demeurer dans une éternité qui n’a jamais existé. Voilà tout l’absurde de l’existence humaine actuelle.

Je ne deviendrais pas un peu philosophe ? On dirait bien que si ! Marre de ses vaines gloires, de ses rêves illusoires, de ses biens transitoires . Je veux rester là, immobile, contemplant les choses du monde sans vouloir les changer, car elles sont la perfection ultime. C’est peut-être cela la vraie vie !