Méa Culpa - Lucas

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Un monde, ayant perdu toute raison apparente, m’avait appelé à comparaître. Les hypocrites se bousculaient dans les allées du palais de justice pour avoir une place à ce qui allait devenir mon procès. Dans toutes les têtes bien pensantes, j’étais la bête immonde à abattre sans sommation. Tout d’un coup, je me retrouvais bien seul face à cette assemblée hostile souhaitant ma perte, le sourire aux lèvres.

À mon apparition, ils étaient un peu déçus de voir un petit gars freluquet, rongé par les luttes intestines, et surtout incapables de les regarder sans en être terrifiées. Ils auraient bien aimé voir un colosse, une brute épaisse dénuée de toute forme d’empathie. Dommage ! Ils m’avaient moi. Les cernes aux pommettes, témoignant d’une longue absence de sommeil, et surtout mes jambes recroquevillées sur moi-même, signifiant une profonde peur, sans oublier mes pleurs constants.

Qui aurait pu me craindre ? Personne ! Je faisais juste pitié. Je me serais moi-même dirigé vers la potence, si on me le demandait.

Un observateur avisé remarqua trois personnalités de premier ordre, qui jouaient les têtes d’affiche. Le premier se distinguait par son extrême sévérité, face à son jugement, même un saint aurait été cloué aux piloris. Le second respirait la clémence, sa miséricorde aurait pu blanchir le pire des criminels. Pour ce qui est du dernier, il restait stoïque, hermétique aux moindres événements qui pouvaient avoir lieu dans la salle. Il était au-dessus des deux autres, une sorte de synthèse, une perfection absolue. Ni trop clément, ni trop sévère.

C’est bien le premier qui lança les hostilités. Il harangua la foule, l’exhortant à me huer et à protester pour que justice soit faite. Chère assemblée d’honnêtes gens. Cet être vous paraît peut-être inoffensif. Il ne ressemble pas au méchant dans les films de superhéros. Vous vous dites que ce n’est qu’un pauvre gars, ayant raté sa vie. Vous oubliez mes très chers amis… que le mal a le don de se cacher derrière un visage amical, mais aussi derrière une créature que l’on juge inoffensive !

Il s’avança vers moi en me désignant du doigt, le mépris dans les yeux, et continua sa diatribe. Cet homme-là que je vous montre a blessé par des insultes déplacées sa meilleure amie. Tout ça parce qu’il ne supportait pas qu’elle en aime un autre. Est-ce la conception que l’on a habituellement de l'amitié ? Non… mes amis, non !

Il l’aime uniquement, car cet égoïste l’a veut pour lui tout seul. Il vendrait même son âme au diable pour qu’elle assouvisse ses penchants les plus salaces… Il s’arrêta un moment pour regarder son audience l’applaudir. Il savait qu’il avait gagné, et voulait la saluer après une victoire bien méritée.

J’avais envie de lui répondre, de lui coller mon point de la figure, mais je n’en avais, ni la force… et ni le courage. Je m’avouais vaincu. Il est vrai que mon rapport à elle a toujours été ambigu. Je l’aimerais toujours, même si elle me rejette… Enfin, c’est ce que j’espère, car une partie de moi, que je pensais enfoui à jamais, n’est toujours pas prête à accepter cette idée aussi facilement.

Il aurait bien aimé m’accabler davantage, sauf qu’une voix s’y opposait. C’était mon avocate. Malgré le climat inhospitalier, elle semblait véritablement à son aise. Une reine. Voilà, ce qu’elle était sans que nul ne le sache. Mis à part le juge… celui-ci dans un élan d'allégresse laissa échapper un sourire lui étant destiné. Un fait d’une extrême rareté. Enfin, assez pour créer l’étonnement général au sein de l’assemblée.

Après cet “accident”, tous les regards se portaient sur le Juge, sauf le mien. Celle, tambour battant, se dressant contre mes assaillants, avait provoqué en moi une fascination débordante. Je contemplais sa pudeur avec impudeur. Elle exposait ses innombrables pouvoirs, et personne n’y prêtait attention. Les ignares ayant pris possession des parloirs associaient toute chose à un rapport de force permanent. Les oppresseurs oppressant les opprimés. Et nous, obligés de devenir un prédateur pour perdurer.

On le dit bien avec ces mots. Trop bon, trop con. En tout cas, cette pâle copie de la souveraineté ne résistait pas à l’épreuve de la vérité. Surtout, avec comme adversaire, la grande patronne des causes perdues. Le coeur souillé des bourreaux, soumis à la tentation Édomites, avait beau prétendre la dominer par le joug de sa puissance terrestre. La véritable souveraineté, prenant sa source dans les cieux, réussissait toujours à reprendre le dessus, car son pouvoir n’est accessible que des coeurs purs.

Les rires sardoniques n’arrêtaient pas d’affluer en ma direction. Mon avocate, d’un calme olympien, engagea la bataille.

Vous êtes nombreux à le juger, parfois même avec intransigeance, mais portez-vous le même jugement sur vos fautes ? Hum... Je vois que non ! Quand il vous est dit. Que celui qui n’a jamais péché lui jette la première pierre. Vous jetez la pierre, alors que vous êtes un pêcheur. En cela, vous reportez vos fautes sur un bouc émissaire, sauf que ce stratagème ne marche qu’un temps, car vous devenez à votre tour le bouc émissaire.

Sa voix s’adoucit légèrement. Ma présence en ce lieu n’a pas pour but d’absoudre les crimes, mais d'œuvrer à la purification de son auteur. Il est plus difficile de se relever que de chuter. On ignore qui on est réellement. On ne veut pas le savoir. On utilise un prétexte à l’occasion, on dit qu’on n’a pas de temps à accorder à ces basses besognes. Alors nos pulsions nous rattrapent, et nous emportent dans un tourbillon infernal. Un beau jour, le désespoir nous gagne. On se dit que notre vie est une compilation d’échecs, alors on y met fin.

Certes, il n’aurait pas dû faire ça. Accepter les sentiments non réciproques de son amie n’est pas une épreuve simple à vivre. Il faut dépasser son amour propre. Son orgueil mal placé… Suis-je ici pour décider de son sort ou de sa punition ? Non ! Je suis juste ici pour intercéder en sa faveur… tant qu’il m’autorisera à le faire …

Brusquement, elle se mit à reculer jusqu'à s'asseoir sur la chaise à droite de moi, et me chuchota à l’oreille d’une voix suave, je pense que c’est ton tour.

L’heure des aveux avait sonné. Un scribe de grande taille, d’un air consciencieux, se préparait à coucher mon récit par écrit. On serait prêt à tout donner pour laisser aux autres le soin de cette corvée. Tout ça pour préserver le peu d’amour propre qu’il nous reste. Ça nous évite de nous regarder dans la glace en chien de faïence.

Pourtant, je devais le faire ! Non pour moi, mais pour elle ! Elle, qui est ma postérité, ma raison de vivre. Celle, dont mon coeur s’emballe à chaque fois que je contemple ses yeux remplis d'innocence. Je prends sa pudeur pour un appel à la noblesse. Je jubile en sa présence. Je me noie de chagrin, quand la tristesse la traverse. Je suis hors de moi, quand un voyou la maltraite.

Je ne sais pas si mon comportement est normal où légèrement excessif, car au final, qui définit les critères de la normalité ? Un petit monde d’êtres prétentieux ? Je l’a connais depuis tout petit, et comme dit précédemment, je n’ai jamais aimé la partager avec un autre. C’est ça, mon problème ! Je désire une exclusivité qu’il m’est impossible d’obtenir, sans détruire cette dite chose.

C’est très égoïste de ma part. J’en suis conscient, mais au fond de mes tripes, je désire qu’elle soit à moi, rien qu’à moi ! Et certainement pas aux mains de barbares, comme ces rustres se pavanant dans les allées du métro parisien.

En sa compagnie, je deviens possessif. J’ai des nausées lorsqu'elle rit aux blagues d’un autre. J’ai envie de la maudire quand je la vois heureuse, alors que je suis triste. Et l’idée qu’elle puisse enfanter les progénitures d’un autre me rend mauvais jusqu’à me faire cultiver de noirs desseins.

J’ai beau essayer de me raisonner, en me disant que c’est son choix et qu’il faut que je l’accepte. À chaque fois, je tombe dans le cercle infernal de la jalousie envers ceux à qui elle accorde tant de privilèges. C’est une lourde faute que je commets, mais cette maladie que je nourris à l’image d’un vers solitaire m’ôte de toute fulgurance d’esprit.

La vérité est que je l’aime à en mourir... plus que je m’aime moi-même. Que vivre sans elle, m’est impossible où signerait mon arrêt de mort à brève échéance. Et puis d’abord, que serait un soleil sans lune ? Une existence incomplète.

Il me faut admettre une évidence. Pablo possède des qualités qui me font défaut. Le haïr ne résoudra pas le problème, car la rumination n’a jamais apporté la moindre solution. Le détruire ne servirait qu’à fuir le réel, en séquestrant l’objet de nos désirs dans une prison dorée, sauf que celle-ci s'effrite avec le temps.

Alors que faire ? S’inscrire dans un cours de développement personnel avec un coach multimillionnaire ? Je ne suis pas sûr que le résultat soit au rendez-vous. Il nous reste plus qu'à nous complaire dans la médiocrité, en niant toute preuve d’un possible état supérieur. La faute incomberait au déterminisme social voulu par les puissants. Nous deviendrons des victimes d’un vaste complot envers notre libre arbitre. Cette histoire me plaît plutôt bien !

Voilà le vice des êtres, tel que moi. J’ai des rêves de grandeur, mais je suis trop fainéant pour obtenir les fruits du bonheur grâce à une vie de labeur. La bêtise est la seule chose que je propage avec abondance.

Je suis désolé. Voilà, ce que je dois dire. L’évocation de cette phrase ranime un feu intérieur qui s’était éteint par manque d’entretien. On l’oublie, mais il y a un réconfort à admettre ses fautes. Personne n’est parfait, et on pêche tous un jour ou l’autre. Elle aurait pu me gifler, que je me serais réjoui de son geste, car j’étais résolu à conquérir son pardon. J’en aurais bien fait un pendentif, il semblerait que ce genre de choses nous protège contre le mauvais oeil.

Tout le mépris des petites gens avait disparu. Ils se disaient que je n’étais peut-être pas un mauvais bougre. Le scribe, lui, avait fini d’écrire. Il était totalement essoufflé. Il y a de quoi… Il venait de pondre un roman de Dostoïevsky, rien que ça ! Qu’est-ce qu’il en avait écrit de belles pages avec une belle prose.

Le manuscrit en main, je n’avais plus qu’à l’envoyer. En main propre ou dans la boîte aux lettres ? C’est le mystère que je tentais de résoudre. Étant de nature peureuse, je choisis la seconde option. Ma lâcheté semblait prendre un malin plaisir à m’éviter toute confrontation inutile.

Le soir même, de violents coups de poing cognaient à ma porte. Ma mère s’empressa de l’ouvrir sans réfléchir aux éventuelles conséquences. L’étonnement fut sa première réaction. De ma chambre, je pus entendre sa surprise, puis sa joie. Ah, c’est toi ma puce, dis donc ça fait longtemps. Puis, une longue conversation entre elles débuta. Il m’était inenvisageable de fuir sans me faire repérer. Je subissais l’attente, comme un calvaire sans fin.

Après de longues minutes d’angoisses, ma mère la laissa partir à la condition de papoter à nouveau. Elle se dirigeait donc vers ma chambre, le couperet allait enfin pouvoir tomber.

Je n’eus pas le loisir de prononcer le moindre mot, qu’elle me serrait déjà dans ses bas. Elle hurlait sans prendre garde au niveau sonore de sa voix. Bien sûr que je te pardonne, gros bêta ! Avant de me donner un bisou sur la joue, qui transforma ma bouille en tomate bien rouge.

Je fus touché par la clémence qu’elle m’avait accordée. Il n’y avait aucune garantie assortie. J’aurais pu abuser de sa gentillesse, à l’instar d’un usurier souhaitant te soutirer jusqu’à ta dernière obole. Heureusement pour elle, la cupidité n’était pas une de mes aspirations.

Et puis, pour ça, il faut tenir des comptes d'apothicaire. Cette histoire se mue rapidement en obsession. On joue alors le rôle de l’avare incarné par de Funès. Notre visage boursouflé se transfigure en un visage émacié par la fatigue. Nos nerfs se retrouvent mis à rude épreuve par notre faute, car nous voulons préserver un trésor, qui ne peut l’être indéfiniment. Bientôt, il nous est impossible de cacher les dégâts causés par nos avarices à répétitions. Quelle vie de con !

À bien réfléchir, je préférais reconnaître sa bonté d’âme. J’en aurais bien fait un doux poème pour lui rendre témoignage. Pour que la foule puisse l’acclamer, louer ses bonnes faveurs, et la couronner juste parmi les justes de ce monde. Eux, qui se montrent uniquement pour transmettre un message aux générations futures.

Pour tout vous dire, je l’avais bien écrit ce poème… Une chose me manquait, le talent ! Sans ça, tout devient laid. D’ailleurs, le vulgaire et le laid sont devenus monnaies courantes à notre époque. Ils sont plus accessibles. Contrairement, au beau et au noble, qui nécessite beaucoup de travail, ainsi qu’une aptitude extraordinaire.

Capucine, était bien la seule à l’avoir lue. Nous avions retrouvé le goût d’être ensemble. Elle était mon étoile du matin. Brillante de mille feux. Apportant avec elle, la lumière de l’aurore pour m’éclairer. La seule capable de faire disparaître l'obscurité dans laquelle je m’étais réfugié.

Nos cœurs battaient à l’unisson. Nul mot n'aurait été, en capacité, de décrire cet événement. La langue se retrouve prise au dépourvu pour expliquer ce genre de phénomène. Peut-on décrire ce qui est unique en chacun de nous ? Nous ressentons les choses à notre manière, certes, on peut trouver des similitudes, mais il reste toujours un génome manquant.

Notre société, aimant tout uniformiser par la recherche du plus petit dénominateur commun, dessèche notre âme jusqu'à ce que la vie perd toute saveur. Un véritable séchoir géant à ciel ouvert. Si on suit le petit gars Maslow, on aurait tous les mêmes besoins. Nous nourrir, nous loger, tout faire pour vivre en sécurité, trouver une bande d’amis avec qui collaborer, avoir du succès, et réussir à s’accomplir dans la vie.

Le dernier point est plus problématique que les cinq autres. Qu’est-ce que veut dire le mot “s’accomplir” ? Avant l’université, mes pensées, mes rêves, mes projets ne tournaient qu’autour de Capucine. Quand je l’ai perdu, mon monde s’est subitement arrêté. J’ai ainsi pu trouver ma bande de potes, je les ai suivis dans leur lutte contre les fachos, et puis eux aussi je les ai perdus !

C’est peut-être ça mon problème, mon monde tourne autour des attentes que les autres ont sur moi ! Qui suis-je réellement ? Je n’y avais jamais pensé auparavant… J’ai l’impression d’être un étranger pour moi-même. Une question me taraude l’esprit, comment fait-on pour apprendre à se connaître ? Personne ne nous l’apprend à l’école. On nous dit juste, reste assis, apprends, et tais-toi !

On t’apprend plein de trucs qui ne servent à rien, mais rien qui te servent vraiment. Et surtout, rien sur toi-même !

Même si des millions d'interrogations restaient en suspens. Le fait d’être pleinement réhabilité en tant qu’ami me redonnait de l'espoir. Une nouvelle page allait pouvoir s’ouvrir sans les scories de celle qui l’a précédée.

Pendant que nous communions dans le silence le plus total, le temps se mit à dysfonctionner. Il n’arrivait plus à s’écouler. Si bien, que nous nous posions la question du bien-fondé de son existence ? Et pourquoi pas aussi de la nôtre ?

Certains suggèrent qu’on serait les victimes d’une machination orchestrée par l’univers. On serait pris au piège dans un éternel recommencement. Pour éviter d’y penser, on aurait créé de toute pièce une illusion où on essaie de fixer le mouvement perpétuel, sauf qu’on n’y arrive pas vraiment. Ce qui nous fait péter une durite, quand on se rend compte de l’entourloupe. On se dit qu’il n’y a rien de bien stable dans ce monde de con. Alors, on a les pétoches, et on consomme des drogues pour devenir amnésique.

Il faut dire qu’au bout de quelques minutes, j’ai lâché l’affaire. On aurait pu lancé sur moi, une bombe de l’ampleur d'Hiroshima, que je n’en aurais rien à foutre. Même si tout ça n’était qu’une blague, qu’est-ce que je pouvais bien y faire… rien… donc, pourquoi se prendre la tête !

Ses bras représentaient un cocon, duquel je ne voulais pas sortir. Le monde extérieur m'apparaissait tout d’un coup dangereux. Mes besoins matériels n’étaient plus que de lointains souvenirs, grâce à celle qui m’avait apporté la satiété.

Une chose est sûre, tant que je serais ici-bas, tout aura une fin. J’ai tout fait pour la retenir, mais elle devait retourner chez elle. J’étais à la fois déçu, et excité à l’idée de revivre cette expérience. Je venais d’apprendre un axiome. On ne peut pas échapper indéfiniment à ce monde dans lequel nous vivons, même si celui-ci ressemble plus à un hôtel miteux plutôt qu'à une île paradisiaque !

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