Retrouvailles des flammes jumelles - Capucine

11 minutes de lecture

L’amitié peut se résumer en un lien, dont la fragilité, reconnue par tout un chacun, rend cette dernière si précieuse à nos yeux. Chaque moment partagé, nous lie de plus en plus l’un à l’autre, comme si nous tissions en étroite collaboration un bout de tissu, symbole de notre relation. Malheureusement pour moi, mon bout de tissu favori a rendu l’âme l’été dernier, mettant fin à un travail d’orfèvre d’une dizaine d'années.

Jadis, je n’aurais jamais cru cela possible. D’ailleurs, j'en ai même dégagé une profonde amertume. Il aurait été plaisant de me bercer d’illusions, mais la vie en a décidé autrement. Tôt ou tard, notre existence sera confrontée à la dure et triste réalité. Toute chose à une fin, et on doit l’accepter, c’est comme ça !

Grand-père me le disait bien en ces mots… Ce qui est naît ou qui naîtra un jour dans ce monde, retournera poussière. Nous n’y pouvons rien. Le refuser par déni nous plonge alors dans un état d’ignorance, qu’on assimile bien volontiers à celui d’un enfant qui refuse de grandir par peur de découvrir des choses peu reluisantes.

L'enfance est un apprentissage de la vie, défini par deux grands points distincts. Le premier est la méconnaissance du monde environnant, nécessitant de se parfaire par l’enseignement et l'expérience des choses acquises, car comme le dit si bien Confucius, l'expérience n’est qu’une bougie qui n'éclaire que celui qui la porte.

Le second est la curiosité naturelle que nous avons à cet âge-là, où le préjugé n’a pas sa place. On s’ouvre à tout par candeur sans même se rendre compte des conséquences éventuelles. L’adulte y voit forcément un danger, car pour lui, la maturité amène à tout planifier à l’avance. Sauf que celui-ci oublie qu'à trop vivre dans le futur, on néglige de vivre dans le présent.

Il y a aussi ce monde que la société veut qu’on taise, car il serait inconvenant de parler d’une chose aussi abjecte, mais qui existe bel et bien. Un monde qui se veut souterrain. Notre Hadès personnel. Celui dont nos pulsions proviennent, et dont toutes les folies humaines émanent.

Ignorer cet abîme nous conduit à subir la résurgence de ces forces involutives, au lieu de les combattre pour ainsi dominer sa part d’ombre.

C’est ce qui a conduit ma flamme jumelle à ne pas supporter qu’un autre puisse demeurer avec moi, par peur de disparaître dans mon coeur par la faute de cet autre. Il ignorait alors que le lien authentique qui nous liait ne saurait être rompu de l’intérieur, car un fragment d’éternité y avait établi son siège.

La seule chose, ayant le pouvoir d’y mettre fin, est la volonté d’un des deux protagonistes de ne plus vouloir perpétuer le lien. À l’instar du feu, si celui-ci n’est plus alimenté, il s’éteint. Lors de notre dispute, il eut un commun accord de ne plus entretenir le feu qui nous animait, éteignant ainsi notre connexion mutuelle.

C’était sans compter, un rêve venant jouer les troubles-faits. Il eut le don de susciter en moi, une inspiration, une sorte de graine germant dans ma tête, et qui prenait de plus en plus d’ampleur. Je sentais le devoir de reformer notre duo d’antan. Je pouvais le voir à côté de moi, le sourire aux lèvres, essayant par tous les moyens de me réconforter de ma rupture avec ses phrases bateaux, du genre “un de perdu, dix de retrouvés”. C’était bête, mais ça me faisait rire !

Un lac, d’un bleu émeraude, apparut dans mon songe aux allures d'évasion, sans que j’en connaisse la raison. Une petite voix n’arrêtait pas de me chuchoter à l’oreille. Plonge dans cette eau expiatoire, pèlerine, plonge. Ôte-toi de tes souliers, et de tes vêtements désuets. Toi, qui en ce lieu, trouveras ton refuge tant espéré !

Une force surnaturelle naquit en moi, me dictant de suivre les préconisations de la petite voix. Ce que je fis sans rechigner. Je me mis à sauter les deux pieds joints dans l’eau. Mon corps recouvert d’une crasse collante, luisant au soleil, et dont sa couleur grisâtre s’arrogeait le droit de nous donner la nausée. Ce corps-là même, aspergé par un flot de grâce, d’une bonté à l’état pur, ne sut résister face à l'implacable puissance d’une rémission inconditionnelle.

Purifier. C’est le mot qu’on utilise pour définir ce que j’ai ressenti à ce moment-là. Mes hontes, mes remords et mes regrets venaient d’être portés disparus. J’étais libre, comme un oiseau volant jusqu’à la destination de son choix. Je pouvais écrire une nouvelle page de ma vie, sans qu’une épée de Damoclès soit positionnée au-dessus de ma tête.

Le pardon n’est pas une chose facile, surtout à notre époque où les intolérants sont les nouveaux rois du monde. Dans la majorité des cas, c’est un véritable parcours du combattant pour obtenir le fameux sésame, qui est néanmoins nécessaire à l’établissement d’une vie saine. Certains ont même créé un culte à la rancune, qu’on alimente de temps à autre avec des reproches et des insultes. À l’image d’un feu grégeois s'autoalimentant par les fruits d’une passion sans fin. Ni oubli ni pardon pour ceux qui nous ont offensés. On leur jette l’opprobre jusqu'à ce que leur mort sociale soit actée. Tel est leur crédo !

À ce jeu-là, on se retrouve soi-même victime de cette mise au ban de la société, car nul n’est parfait. Mis à part, pour ceux touchés par un délire égotique d’une envergure sans commune mesure.

Le détachement face à une vie, dont la souffrance à une part prédominante, devient quasiment impossible, tant l’ampleur de la tâche nous semble pharaonique. Ce n’est pas en nous rabâchant sans arrêt qu’on est des victimes d’un système tyrannique devenu fou, et qu’on ne peut rien y faire, que la solution viendra taper à notre porte ! On attend le Messie, sauf qu’à sa venue, il sera déjà trop tard pour nous… La société tout entière nous aura broyés en deux. Il nous faut accepter le monde tel qu’il est, et non tel qu’il doit être ! C’est là, l’unique clé que nous possédons réellement.

Nous souffrons tout au long de notre vie, car c’est l’essence même de notre existence. Au lieu d’en chercher la cause, et de dépasser notre condition par une certaine grâce, digne d’une danseuse artistique. On préfère trouver des boucs émissaires, c’est plus sympa pour les bûchers, et ça nous évite de nous creuser les méninges. On devient aussi un peu parano, on voit le complot partout, et on se dit qu’ils en veulent tous à notre peau. Ça nous donne le tournis, ça nous rend aigries cette histoire. C’est possible ça… de vivre dans un monde qui ne tourne pas rond ?

Mis à part ceux qui sont de nature masochiste, on préfère ne plus vivre où bien s’évader le plus loin possible. Pour ce choix, on a le divertissement, mais aussi les drogues à prendre sans modération. Que nous aimons prendre sans le sens de la mesure ! Sauf que quand on revient, c’est la gueule de bois. Si bien qu’on ne veut plus y revenir… au bercail !

Quand on réfléchit bien, c’est un peu comme résumer sa vie à une histoire de cavale. Cela m’a toujours paru bancal ce genre de vie. J’en ai vu des artistes, qui préféraient se la mettre pour éviter de voir la réalité en face. C’est plus simple comme ça, et ça nous dédouane de toute responsabilité fortuite !

Nous vivons pour travailler à l’élaboration d’un ouvrage personnel. Une chose qui n’a rien de simple. C’est plutôt compliqué d’ailleurs, mais dès que nous acceptons ce devoir envers nous-mêmes, c’est là que la vie avec un grand V commence vraiment pour nous. C’était ce que me disait grand-père constamment.Nous avons tant de possibilités de nous réaliser nous-mêmes en tant qu’être doué de création, qu’il serait bête de ne pas en profiter !

Exténuée par un travail s’intensifiant avec l’arrivée des partiels, je devais absolument rentrer chez moi pour prendre un bon bain chaud avec de la mousse… beaucoup de mousses… À la minute où je tendis le bras pour ouvrir la porte de l’immeuble, elle s’ouvrit avec un visage familier me faisant face. C’était lui, une grosse poubelle au bras. Nous rougissions l’un et l’autre de nous croiser dans des conditions peu avantageuses. On a quand même réussi à se décocher un timide “Coucou” avant de partir chacun dans notre direction. On aurait voulu papoter, mais on avait les pétoches.

Une impulsion me tira la couenne, me forçant à engager une discussion avec lui. Comment se passe ton année à l’uni, béglais-je en me retournant. Il eut un blanc. Il n’imaginait pas une seule seconde, que j’aurais pu me rabaisser à lui parler. Il s’attendait plutôt que je le mitraille du regard, jusqu’à ce que la honte l’envahisse, l’astreignant à s’en aller comme un lâche.

Euh... C’est une longue histoire… me répondit-il, le regard fuyant, visiblement gêné par la situation. Comment ça ? insistai-je, je n’allais tout de même pas le laisser s’en tirer si facilement !

Il me raconta tout. Sa bande de potes mégalo, jouant les superhéros low cost. Son combat pour un monde meilleur. Je trouvais tout ça surréaliste. Qui aurait dit que des groupes de justiciers lambda se retrouvaient au beau milieu de combats numériques contre des individus à la haine facile où encore que des sociétés secrètes composées de gens “perchés”, se créaient dans le but de renverser l’ordre établi…

Et puis, au moment de l'évocation de sa rupture, mon coeur se serra … J’aurais aimé être là pour le consoler. Je lui aurais dit qu’il pouvait toujours compter sur moi. Je sais, c’est une phrase bateau qu’on sort à tout le monde, mais ça fait toujours du bien de l’entendre ! C’est comme une comptine quand on est enfant. Dans mon cas, il est mon sang, et je ne supporte pas de le voir souffrir.

Maintenant, c’était à mon tour de lui parler, même si je m’en serais bien passé. Tout passa sur le gril, ma rentrée difficile, mon agression dans le métro, ainsi que mon sauvetage in extremis. Ça se voyait qu’il bouillait intérieurement. Les salauds, quelle bande de salauds, ils méritent le pire des châtiments, pesta-t-il sans être capable de se calmer ! C’est fait, c’est fait, ça m’a au moins permis de rencontrer mon Nolan, répondis-je pour tenter d’apaiser ses ardeurs sans trop de succès.

Je dois t'avouer qu’au début, son extrême gentillesse envers moi me touchait. Il ressemblait au bachelor, à l’exception peut-être de son seul défaut majeur… une tendance inarrêtable à tout diligenter selon son bon vouloir, certainement hérité de son père. Celui-ci est d’une froideur à te geler le sang. L’autre coup, si Nolan n’avait pas été là, je n’ose même pas imaginer ce qu’il aurait pu me faire… ou plutôt… je ne le sais que trop bien, pour ne pas craindre ce moment.

Je pense que son père a grandement contribué à sa déchéance. Comme disait grand-père, méfie-toi de l’avare, car l’argent corrompt le coeur des hommes, et les rend mauvais. Je ne l’ai dit à personne… même si mon père doit s’en douter avec son flair d’inspecteur ! Un jour, Nolan ivre débarqua devant l’immeuble. Il n’arrêtait pas de beugler. D’ailleurs, il a bien failli réveiller tout le voisinage. Pour le faire taire, je le fis monter, non sans mal, jusqu’à ma chambre. Arrivé à l’intérieur, impossible de le faire dessaouler… Tu lui as donné du café salé ? me questionna-t-il. Je finis par hocher négativement de la tête.

Je n’en reviens pas que c’était ton copain… Je pensais que c’était un clodo, qui s’embrouillait avec la voisine. Tu sais, comment elle est… J’ai bien entendu ton prénom, et cru entendre ta voix, mais je pensais que je me faisais des films, finissait-il par m’avouer un peu gênée de ne pas être intervenue.

En tout cas, tout allait bien, jusqu’à ce qu’il m’attrape violemment le bras, et me projette sur le lit. Je m’étais légèrement assoupie, donc je n’ai pas compris directement ce qui m’arrivait. Quand je le vis à califourchon sur moi, ce n’était plus lui, son noble museau s’était transformé en une gueule de bête en rut, et carnassière.

Il avait le même regard féroce que son paternel. On n’oublie pas ce genre de chose, surtout quand celui-ci te caresse comme un morceau de viande qu’on achète chez le boucher. J’ai bien essayé de me débattre, mais sa force dépassait largement la mienne, donc impossible de me sortir de ce guêpier.

Au moment de passer à l’acte. Il eut comme un doute. Un regain d’humanité ? Je ne sais pas. Il est vrai que son amour pour moi est authentique, mais est-ce assez pour le faire renoncer à sa bestialité ? En tout cas, j'ai pu m’échapper jusque dans ma cuisine où se trouvait mon père.

Tu sais… Quand il m’a vue fondre sur lui, complètement terrorisé. Et puis, Nolan est sortie piteusement de ma chambre. J’ai cru qu’il allait l’achever. Tu sais, papa, il n’aime pas ça, voir des garçons me tourner autour. Je l’ai supplié. Il n’aime pas me voir triste, non plus. C’est peut-être la raison pour laquelle il l’a laissé partir. C’est mieux comme ça, je n’imagine même pas ce que le père de Nolan aurait pu nous faire, si son héritier venait à disparaître de notre faute. Il nous aurait assommés de procès, et mon père aurait pris perpet’ !

Qu’est-ce que je peux les détester, ces fils de bourge ! Ils se croient tout permis… Que fait la justice ? Rien, parce qu’ils sont tous copains, comme cochons ! Moi, je lui casserais bien la gueule à celui-là ! pesta Lucas, fou de rage. Ah ! J’avais oublié que mon meilleur ami était un révolutionnaire de la première heure. Enfin, j’aurais peur qu’il lui arrive quelque chose… Avec son physique de petite crevette, il pourrait se faire mal. Nolan, c’est différent, il prend du plaisir à se battre. Une seconde nature, qu’il a développée pour survivre dans un monde hostile.

J’aurais dû m'abstenir de lui avouer que je l’ai revu. Il s’indigna contre moi. Pourquoi as-tu fait une chose aussi stupide ? Tu veux bien me le dire ? C’est un psychopathe... un psychopathe ! L’amour, c’est l’unique chose, que je lui ai répondue. Je le sais bien. Je n’aurais jamais dû le revoir. Surtout pas après ce qu’il m’a fait ! Le seul hic est qu’en sa présence, je me retrouvais envoûté par lui. Un psychologue me l’aurait peut-être dit : “Madame, vous êtes sous emprise d’un psychopathe !”. Comment fait-on si la personne qui nous détruit est aussi celle que nous chérissons le plus ? Une histoire à n’en plus finir, vous ne trouvez pas ?

Tu as un coeur d’artichaut, c’est ça qui ne va pas avec toi, me gronda-t-il d’un ton paternaliste. Ça avait le don de m’amuser. Je lui expliquai la fin de l’histoire, entre mon refus d’entretenir des rapports intimes, et l’histoire des notes qu’il donnait à chaque fille avec lesquelles il était en relation. Quel connard, mais quel connard ! Promets-moi que jamais tu ne te remettras avec ce sale type ? Il est juste bon à aller au bagne !

Oui, je t’en fais la promesse, disais-je avant de le prendre dans mes bras, et de l’embrasser tendrement sur la joue. Il était devenu si rouge qu'on aurait dit une tomate prête à être ramassée. Nous étions redevenus les deux maillons d’une même chaîne. Et pour la première fois depuis notre dispute… J’étais heureuse… comme si la vie était en suspens, et qu’elle venait de reprendre son cours normal…

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Charlie ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0