{Lucas} : Un Retour maussade

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Une impression de mort imminente traversait mon esprit en proie au doute… J’étais en train de me noyer par des flots de larmes tourmentées, me réveillant ainsi de l’illusion que j’avais créé pour ne pas voir la réalité en face… J’étais pris au piège dans un bus en direction de Guantanamo ! Qu’est-ce que j’en ai entendu des choses sur cet endroit de malheurs ! Beaucoup y étaient rentrés pour expier des fautes passées, mais peu d'entre eux en étaient ressortis indemnes. Ils avaient subi les pires supplices infligés par des êtres au cœur de pierres, des souffrances si inimaginables pour le commun des mortels qu’au moindre témoignage d’un rescapé, l’innocence de ses derniers s'évaporait à tout jamais.

Arrivé sur place, une grande traversée du désert nous attendait, devant une foule rugissante qui trépignait d’impatience à cause de son désir insatiable de sillonner des terres toujours plus arides. Toutes les issues étaient barricadées, donc impossible de filer à l’anglaise . Un hall d’enregistrement se présentait en face de moi, ses hôtesses démoniaques enregistraient nos noms dans leurs registres et prenaient sans complaisance nos bagages.

Quand ce fut mon tour, l’hôtesse en question me décrocha son plus beau sourire en m'offrant mon fameux sésame pour une nuit en enfer. Je savais que je ne pouvais plus faire marche arrière.

Nous étions amenés dans une salle d’attente petite en comparaison du hall, mais tout aussi terrifiante. J’étais le seul à me rendre compte du sort qu’on nous avait destiné, celui de servir de plateau-repas onctueux pour des hordes de démons affamés.

Un ange aux ailes noires m’épiait avec insistance, son visage ne m’était pas inconnu, mais on aurait dit que ma mémoire refusait de me dévoiler tous les souvenirs que j’avais eus avec cette créature… pourquoi donc ?

Plus le temps s’écoulait, plus ses yeux me fixaient longuement et intensément, tout en laissant échapper un certain mépris à mon égard, serait-elle par hasard ma tortionnaire bien-aimée ? L’ambiance devenait si pesante, qu’elle entravait même ma respiration, jusqu’à transformer chaque inspiration en une épreuve de marathon. Mon corps ankylosé ne daignait plus répondre à mes demandes de déplacement, s’arrogeant le droit de m’assigner à résidence dans mon nouveau domicile, une chaise métallique au confort rustique.

Une voix de stentor annonçait avec hâte, le début de l’embarquement, un sentiment de liberté m’octroyait le peu de force nécessaire pour m’évader vers cet ailleurs. J’espérais avoir un peu de répit, avant la tempête. La peur m'avait, elle aussi, quitté temporairement, et lors de mon entrée dans cet oiseau métallique, j'esquissai même un léger sourire.

Cependant, l'accalmie fut de courte durée ! La personne que je redoutais le plus au monde venait de prendre place, et ce juste à côté de moi. Tel un spectre du passé revenu pour me hanter jusqu’à ce que sa vengeance soit assouvie.

Son regard perçait les arcanes de mon esprit pour y voler des souvenirs parfois lointains, et d’autres fois gênants. Je les avais enfouis dans les abysses de l’oubli, suivant le conseil malavisé du déni, même s’il était contraire à celui du remords, qui voulait les voir réapparaître pour régler la dette contractée au plus vite, invoquant les intérêts grandissants dus au report de cette dernière. Une dette doit toujours être réglée en temps et en heure, disait-il, devant le rire moqueur du déni. Celui-ci n’aimait guère assumer ses responsabilités.

Lors d’un flash, son visage m’apparut clairement… ma douce amie… celle avec qui je vis mes premiers moments de joie... qui me remontait le moral quand tout allait mal… qui m’a persuadé qu’elle serait toujours là, et que jamais je ne resterais seule. Celle-là même était devenue ma pire ennemie, et la source de tous mes ennuis n’était autre que ma sinistre personne.

Je voulais être au centre de son monde, être le seul à posséder son amour, car avoir l’exclusivité, ça n’a pas de prix ! Enfin, c’est ce que dit la théorie, car l’esprit mesquin de la jalousie ne peut s’empêcher de nous jouer des tours et de duper son monde. Quand on s’aperçoit de la supercherie, il est trop tard… Il nous a déjà tout prix !

Une folie passagère se mit en place en coulisse avec sa pièce maîtresse "l'oeil de la tornade et ses quatre tourbillons de vents violents”. On disait qu’elle emportait tout sur son passage, transformant des moments de liesse en cauchemars, si bien que la personne affligée voulait s’en débarrasser à tout jamais.

Une brise de mer commençait à se faire sentir, mes mains moites n’étaient pas de taille face à la puissance de ce monstre au souffle ardent. Rien ne semblait résister à son impétuosité, pas même l’énorme falaise se dressant fièrement à ses pieds. Je laissais envoler mes souvenirs douloureux pensant me soulager d’un fardeau lourd à porter, mais je ne fis qu’alimenter davantage son appétit.

Bien décidé à me dépouiller de la moindre parcelle de bonheur, il scrutait chaque recoin de ma mémoire pour y détruire chaque trace de son passage dans ma vie, tel un logiciel espion travaillant avec un zeste de zèle. Bientôt, nos vacances en Asturies allaient tomber dans le domaine de la mythologie, vestige d’un récit allégorique, abondamment narré par d’inénarrables bardes, mais ayant perdu toute forme de réalisme.

Ma résistance désoeuvrée, désorganisée, et démotivée était vaine contre cet ennemi redoutable, reconnu pour sa rapidité, sa férocité et son efficacité au combat, ressemblant aux méthodes de la Légion étrangère. On m’avait offert une place de premier rang pour contempler ce spectacle morbide. Sur le balcon, j'apercevais les images de nos années lycée, nos premières fêtes, nos premiers flirts s’envoler… telle une rature sur une erreur de jeunesse.

Non content d’avoir saccagé des fragments de ma vie, il a été ordonné de ne pas épargner ma tendre enfance, l'obscénité sans limites. Nos premiers rires, nos premières disputes, nos premiers câlins, ainsi que nos premières vacances disparaissaient dans les flammes de l’oubli. Même cet ultime moment qu’était le fruit de notre rencontre ne donnait plus signe de vie.

Je me retrouvais démuni devant ce champ de ruines mémoriel, même s’il me restait encore quelques flashs sans rapports entre eux, juste des bouts décousus de moments que j’avais pu passer avec elle. Au milieu de tout ce souk, on ne trouvait pas un Riad à la beauté orientale directement sortie du conte des milles et une nuits, qui se serait caché à vue des curieux irrévérencieux par un labyrinthe de ruelles étroites, mélangé aux cris assourdissants des vendeurs à la cupidité démesurée.

Non ! A la place, on avait un véritable trou noir stellaire, une énigme inextricable à faire s’arracher les cheveux des astrophysiciens les plus renommés. Cette chose avait le don d’absorber mes facultés cognitives, sans que personne ne puisse l’arrêter. On disait que rien n’en ressortait, et qu’il n’y avait qu’une seule issue possible… Une mort lente et douloureuse !

Une petite voie peureuse me conseillait de fuir pour sauver ma peau, elle avait avec elle, un petit prospectus avec un gros titre tapageur “American Dream”. On y parlait de prendre nouveau départ dans le pays de l’Oncle Sam, cette terre d’accueil où rien n’est impossible, car il suffit juste d’y croire assez fort pour que nos rêves se réalisent. Quelle autre option me restait-il ?

On aime cultiver cette idylle pour les “outsiders”, ceux que la vie n’a pas gâtés, mais qui, grâce à leur abnégation, arrivent à gravir tous les échelons. Qu’ils ont du mérite ces gens-là, disait grand-père ! Et puis, les films hollywoodiens ou les coachs de développement personnel arrivent bien à nous la vendre à toutes les sauces. Si tu échoues, c’est toujours de ta faute, soit tu n’as pas acheté la méthode miracle vendue pour le prix d’un rein ou soit tu as manqué de motivation… Il faut avoir de l’ambition, mon garçon !

Dans le grand casino de la destinée, on joue notre existence en permanence, mais on est trop obnubilé par la promesse d’avoir de l’argent plein les poches, pour nous en rendre compte. Ce n’est pas pour rien que l’avarice fait partie des sept péchés capitaux. Même quand on gagne le gros lot, on ne peut s’empêcher de le rejouer pour gagner toujours plus, on en veut encore, encore, et encore. Qui est le grand gagnant dans cette histoire ? Il ne peut y en avoir qu’un seul… le casino lui-même !

Tirer un trait sur notre existence d’avant, fuir loin de ses responsabilités pour ôter toutes attaches et décisions, n’est-ce pas là l'œuvre d’un lâche infantile souhaitant être jugé par contumace ? Quel prétexte devrais-je donner à ma famille pour ce départ impromptu ? Que j'intègre le programme de protection des témoins, et que ma vie est menacée, suite à une macabre découverte ? Seront-ils assez crédules pour le croire ?

Perdu dans un chemin sans issue, sans nul autre que moi-même à des kilomètres à la ronde, je ne savais plus quoi faire ni quoi penser. La solitude était devenue la seule amie sur qui compter !

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