Un drôle de malade - Capucine

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Des cris d’orfraie réussirent à se frayer un chemin vers ma chambre. Ils venaient de l’extérieur, et mon nom n'arrêtait pas de tourner en boucle. Une terreur insurmontable s’empara de moi. J’avais beau les ignorer en priant pour que ça s’arrête, ils ne s’atténuaient pas, tout au contraire, ils s’amplifiaient chaque seconde passée. Les voisins excédés par le tapage fustigèrent l’agitateur. Tu vas te taire, misérable pourceau, s’empressait de gronder, Roger, le voisin du dessus. Ferme-là l’ivrogne, il y a des gens qui veulent dormir, fulminait Germaine, la voisine du dessous.

J’ouvris ma fenêtre pour tirer cette histoire au clair. Quand je vis mon amoureux dans un si piteux état, je devins subitement honteuse, comme si on venait de me jeter l'opprobre sur la place publique. Je lui ordonnais de monter sans faire de bruit. Je pouvais voir le regard désapprobateur de mes voisins. Voilà qu’elle aussi, elle s’y met, le monde devient fou, se mit à marmonner ma voisine. Le voisin quant à lui me sermonna sur mes fréquentations, jeune demoiselle, tu ne devrais pas fréquenter ce genre de loubards, ils ne t’apporteront que des problèmes , disait-il d’un ton paternaliste. J'acquiesçai timidement sans rien dire pour abréger la conversation.

Il titubait à grand-peine, et ses jambes n’arrivaient pas à se synchroniser. J'angoissais à l’idée qu’il puisse réveiller mes parents. Que m’auraient-ils dit ? Mon père m’aurait peut-être puni à l’occasion, et ma mère m’aurait réprimandé toute la nuit sur les hommes mauvais. Méfie-toi des hommes trop portés sur la bouteille, ils t'enverront au cercueil, me rabâchait-elle sans arrêt !

Quand il franchit le seuil de ma porte, j’étais légèrement soulagée. Je l’emmenai dans ma chambre en lui sommant de se taire, pour ne pas attirer davantage la foudre sur nous. Ce qu’il fit sans broncher.

Sa carcasse atteignit mon alcôve, et s'avachit sur mon lit, qui faisait office de lit d'hôpital. Une impression de déjà-vu se manifesta. Peut-être à cause des films romantiques, dont j’étais une fervente amatrice. Je ne sais pas. En tout cas, je me retrouvais dans le rôle d’une infirmière tombant amoureuse d'un soldat éreinté par des années de guerre incessante. Un grand classique.

À l’exception que je n’étais pas une infirmière et lui un soldat. Nous étions juste deux êtres éperdus perdus dans un monde illusoire. Peut-être peut-on transformer un acte anodin en un moment idyllique ? Ou encore des êtres banals en héros ? Si oui, ne serait-ce pas là une forme de magie ? Il est vrai qu’une histoire dépend énormément de son narrateur. Selon qu’il soit bon ou mauvais, juste ou injuste, celle-ci sera une aubaine ou un fléau, une bénédiction ou une malédiction.

À la fin de mes tergiversations sur la situation. Je pus apercevoir des plaies béantes recouvrir son corps. Elles étaient au nombre de 7. La puanteur se dégageant d’elles était si forte que j’eus bien du mal à ne pas m’asphyxier dans mon vomi. C’est à ce moment qu’un homme de grande taille se fit connaître de moi. Il portait un masque à bec d’oiseau, et n’était guère précautionneux avec les convenances.

Il m’ordonna de l’emmener vers le malade pour l’examiner avec attention. Ma pauvre dame, s'écriait-il ! Ce bougre empeste les vices ! Ses pauvres vertus sont mortes dans les bras de son immoralité. Je crains qu’il n’y ait rien à faire... Fuyez pendant qu’il est encore tant !

Il avait beau faire de grands gestes de dégoût. Il m’était impensable de le laisser à son triste sort. Alors, je me suis mise à supplier le médecin de le soigner ! Arguant le fait que je serais morte de chagrin si jamais il lui arrivait quelque chose ! Je vais vous montrer, disait-il, je vais vous énumérer ses vices, et vous allez voir de vos yeux sa noirceur !

Ah, la luxure ! Qu’est-ce qu’on ne ferait pas pour elle ? Elle est vicelarde, et à chaque passage, elle nous laisse une trace indélébile. On se dit que ce n’est qu’une fois, puis deux, puis trois, puis on se prend au jeu. Qui n’aime pas prendre du plaisir ? Personne ! À un moment, on devient aigrie, insensible, insatiable. Le missionnaire ne nous convient plus. On veut du piquant ! Du châtiment corporel. On prend du plaisir à se faire du mal. Ça nous rend zinzin cette histoire. Et l’amour dans tout ça ? Elle n’est plus que l’ombre d'elle-même.

Oh, la gloutonnerie... Celle-ci aussi n’est pas commode. On est d’accord, manger est une nécessité. Sauf quand nos yeux sont plus grands que notre panse. On cultive la folie des grandeurs, on en veut toujours plus. Rien n’est capable de nous faire redescendre sur terre. Notre amie, la modération devient notre pire ennemi. On se donne le surnom de “Bon Vivant” pour cacher notre disgrâce. Manger sans être rassasié est à l’image d’une folie asiatique, qu’il ne faudrait absolument pas importer chez nous. Quel dommage d’en arriver là !

L’orgueil est invité à la table de beaucoup de nos contemporains ! Notre époque est celle des orgueilleux à l’arrogance bien française. Ils ne jurent que par le progrès. Ils ont horreur du passé. Ils veulent en faire table rase. Pour eux, rien ne vaut notre siècle ou notre civilisation, et tout devrait s’améliorer au fil des années grâce à la pensée magique. Sauf qu’à vouloir se croire supérieur aux autres, on oublie de se regarder dans la glace !

Qu’elle est douce cette mélodie qu’on appelle l’envie ! Elle s’immisce dans nos rêves pour les corrompre d’idées insensées. On développe avec le temps, une véritable obsession pour elles. On ne dort plus. On ne pense qu'à les assouvir. On est une sorte de prisonnier d’une prison dorée, à laquelle il nous est difficile de sortir sans sacrifier une part de notre individualité.

La paresse ressemble plus à une fausse amie. Elle nous soulage de notre peine, et nous lui en sommes bien reconnaissants. Alors on lui demande de repasser nous voir. C’est là que le piège se referme contre nous. Au début, c’était uniquement quand ça allait mal, puis ça s’est généralisé jusqu’à devenir tous les jours. Il est vrai qu’elle est bonne pour nous donner de fausses excuses. À un moment, on n’arrive plus à se passer d’elle. Quand on s’aperçoit qu’elle nous a transformés en larve, il est déjà trop tard.

L’avarice aime les joueurs. Plus tu joues, plus tu gagnes, plus tu as envie de rejouer pour gagner toujours plus. Cela ne s’arrête que le jour où tu as compris que tu ne pourras pas apporter tes lingots d’or aux paradis.

La colère est comme un feu qui consume notre corps. On sait que ça nous fait du mal, mais on ne peut s’empêcher de l’allumer. Tout d’abord pour des choses nécessaires, puis pour des broutilles insignifiantes. On détruit tout, même les choses de valeurs. Cela devient une seconde nature, jusqu’au jour où nos remords sont incapables de cacher l’amertume de nos actes.

Il est perdu à jamais ? questionnai-je la voix tremblotante. Je le crains, me répondit-il avant que son ombre disparaisse dans une épaisse brume. Je me retrouvais seule face à cet odieux dilemme, l’abandonner à son triste sort ou rester avec lui quitte à périr sous ses griffes ?

Lorsque la lune fut à son apogée, une bête immonde se dévoilait au grand jour, à l’allure mi-homme, mi-loup. Ses crocs acérés commençaient légèrement à ressortir. Il était méconnaissable, comme si l’usage de gnole avait créé chez lui une transmutation intérieure.

Je pouvais sentir sa pâte serrer ma cuisse, me faisant revivre la scène avec son paternel. Cette odeur, cette voix, cette gueule de bourreau. Mon instinct de préservation m’appelait à fuir loin de lui. Des flashs de mes différentes agressions jaillissaient de mon esprit en proie à la peur. Sauf que mon cœur épris d’amour était imperméable au moindre argument rationnel. Même maintenant, il a toujours du mal à entendre les voix de la raison.

Cette folie, que peut être l'amour, m'avait conduite dans une arène bondée de spectateurs avide de sang, prenant du plaisir dans le malheur d’autrui. Ils voulaient me voir jeter en pâture aux bêtes, et ainsi être sacrifiés sur l’autel de la bestialité à cette idole au pied d’argile qu’est la passion amoureuse.

Peut-être serais-je consacrée martyre pour cela ? Un peu, à l’image d’une Blandine de Lyon. Rares sont les femmes à ne pas avoir subi les outrages d’hommes sans foi ni loi. Il est vrai que notre nature délicate nous rend vulnérables à la barbarie des hommes ordinaires. Les récits abondent tellement dans ce sens, qu'à force de les énumérer, on en perdrait même le sens de la mesure.

On nous portera aux nues, sanctifiera nos noms, nous deviendrons des saintes parmi les saintes, dont la postérité sera gravée dans le marbre, signant par l'occasion notre arrivée dans le royaume des cieux.

Je le voyais bien essayer de disposer de mon corps par la force. Il voulait m’ôter chaque parcelle de vêtements couvrant ma nudité. Il ignorait avec une telle aisance mes protestations, que j’en devenais horrifié. Tout y passa, mon t-shirt, ma jupe, mais aussi mes bas. Il ne me restait aucune chose pour me cacher de son regard carnassier. Dans une volonté de poursuivre sa sauvagerie, il me vola un baiser malgré mes supplications lui ordonnant d’arrêter.

Il n’avait que faire de ce que je pouvais bien penser ! À cet instant, je n'existais plus qu’en tant qu’objet sexuel. Une sorte de figurine créée de toute pièce pour lui permettre de satisfaire ses penchants les plus pervers. Son visage tendre et amoureux avait été remplacé par celui d’un être aride et froid.

Je criais encore et encore, priais encore et encore, suppliais encore et encore. Aucun signe de salut n’était à l’horizon. Je devais accepter mon triste sort, même si je le trouvais injuste envers moi. Qu’ai-je fait de mal pour mériter une telle punition ? Rien !

La bête savourait sa victoire sur ma dignité, profitait de sa domination sur ma personne pour poser sa bouche sur chaque partie de mon corps. J’accentuais mes protestations, sans qu’aucun effet se produise. Il enduisait mon corps d’une crasse qu’une dizaine de douches successives ne permettraient pas d’enlever. Sale. C’est le seul mot que je réussissais à dire sur moi. Après de longues secondes, j’abdiquais toute résistance envers mon assaillant. Moi, qui rêvais d'être une princesse, je me retrouvais dans la peau d’une dévergondée.

Il usa de tous ses stratagèmes pour finir son oeuvre de destruction, allant jusqu’à vouloir détruire mon autel intime sous le joug de sa folie bestiale. Quand la situation semblait perdue d’avance, un bruit dans le couloir se fit entendre. Le temps d’un instant, une hésitation le traversa, ce qui fut assez pour m’échapper de ses griffes, et fuir dans le couloir.

Dans ma course, j’aperçus une silhouette imposante dans la cuisine. C’était mon père. Sans hésiter, je posai ma tête contre son torse. Surpris, il me demanda ce qui n’allait pas. Ma voix enrouée me permis juste de chuchoter deux-trois mots. Il se doutait qu’il y avait quelque chose qui clochait, mais n’osa pas insister davantage.

Puis, Nolan sortit de la chambre. La bête avait disparu. Mon père n’arrivait pas à cacher sa stupéfaction. Il le dévisagea tout le long, et eut une furieuse envie de lui donner une bonne correction. Qu’est-ce que tu as osé faire à ma fille ? grondait mon père, n’arrivant plus à contenir sa colère. De plus, dans ma maison ! Je vais te montrer comment on s’occupe des petits gars dans ton genre ! Mon père furieux lui décocha une baffe, qui le fit tomber à terre.

Nolan semblait accepter la gifle de mon père, comme un châtiment acceptable pour son comportement. Il s’excusa longuement auprès de lui, ce qui eut peu d’effet sur mon père. Il lui a même proposé de la taper de plus belle, si le coeur lui en disait. Ce que mon père voulut accepter, avant que je ne m'interpose entre eux.

Je me mis même à me prosterner devant mon père pour le laisser partir. Me voir dans cette posture le rendait triste, calmant ainsi ses ardeurs bellicistes, pour se montrer sous un jour plus clément. J’accepte, pour cette fois seulement, mais je ne veux plus te revoir ici mon garçon !

Nolan s’exécuta et s’en alla sur la pointe des pieds. Cette soirée me laissa un goût amer dans la bouche. J’étais perplexe face aux deux visages de mon amoureux, d’un côté le chevalier blanc, de l’autre, une bête assoiffée de sang. Le bon sens m’ordonnait de rompre, mais mon coeur me suppliait de lui accorder mon pardon.

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