{Capucine} : Une cascade d'amour

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Qu’y a-t-il de plus beau qu’une nature sauvage offrant à nos yeux ébahis un somptueux spectacle ? Dépouillée de toute commodité, elle agit sans se questionner, dans la plus pure obéissance de son essence. Chose que notre esprit borné, trop attaché à un système de pensée, refuse de comprendre, car ça irait à l’encontre de l’éducation de notre siècle.

Mon meilleur ami ne vit en ce lieu qu’une banale cascade. Ce qui le plongea dans une profonde amertume. Tout ça pour ça, marmonnait-il, tout seul dans coin ! On avait beau lui dire que la sobriété permet d’aller au-delà des apparences, de s’affranchir des bruits incessants, et des lumières aveuglantes, qui endorment l’esprit, mais il ne voulut rien entendre. À ses yeux, on l’avait dupé royalement ! Alors que notre volonté était qu’il découvre ce secret, qui nous ravivait le cœur.

Dans le monde de la mondanité, on voudrait que la beauté naturelle ne puisse se suffire à elle-même. On rajoute des artifices supplémentaires, mais au lieu de l’embellir, on passe notre temps à l'enlaidir par nos lubies les plus fantasques.


Ah ! Pourquoi sommes-nous intimement que sans notre intervention, la nature perdrait en valeur ? N’est-ce pas là un orgueil démesuré de l’espèce humaine, qui se croit au-dessus des règles qu’on lui impose? On détruit notre écosystème pour assouvir nos caprices passagers, et on arrive quand même à trouver l'arrogance de s'ériger en sauveur du monde !

À la surprise générale, Lucas se leva, et nous joua une réplique du malade imaginaire.

  • Vous ! Oui, vous ! Vous conspirez contre moi dans un silence de mort. En vérité, je vous le dis, ma tête me fait horriblement mal, la chaleur me fait suffoquer, je meurs à petit feu, et le désespoir m’accable d’une dette que je ne saurais acquitter. Que faites-vous pendant ce temps ? Vous riez, comme pour vous réjouir de me voir en si piteux état. Vous aurez ma mort sur la conscience, et ce n’est pas rien, car elle vous hantera jusqu’à la fin de vos jours.


37,8… C'était le résultat de sa prise de température, donc rien d’alarmant. On lui enleva aussi son pull-over, et on lui fit avaler un cachet d’aspirine, mais… ça n’eut aucun résultat sur son mélodrame. Ce qui amusa Pablo, qui entra en scène à son tour.

  • Mon cher ami, devrais-je bientôt vous appeler Argan ? Atteint d’un mal que la médecine ne peut guérir sans soigner la maladie qui le ronge de l’intérieur. Si tel est le cas, je crains d'être démuni face à cette tâche herculéenne !

Lucas s’allongea à terre, et lança à notre encontre un regard accusateur pour condamner notre inaction.

  • Ô misérables faquins…rigolez tant que votre santé vous le permet, mais je vous souhaite un jour de subir un sort semblable au mien , et on verra bien qui rira le dernier.

Ne voyant aucune issue à cette discussion. Je proposai à tout le monde une baignade. Mon tempétueux ami refusa l’invitation, préférant sa solitude à notre compagnie jugée indésirable.


À peine rentrée dans l’eau, qu’une rêverie prit possession de mon esprit. Celle-ci fit fi des convenances, et pénétra dans la plus grande clandestinité dans ma pièce secrète où sont enfouis mes désirs les plus intimes. Elle voulut m’ouvrir une voie vers un futur possible, mais un changement est toujours source de beaucoup d’angoisses.

Dans mon rêve, une femme vêtue d’une tunique rouge pourpre sonna le tocsin, suscitant ainsi mon attention. J’eus beau la questionner, aucune réponse ne sortit de sa bouche. J’aurais dû protester contre elle, au lieu de ça, je la suivis naïvement.

Quelques minutes de marche plus tard, nous atteignions une grotte cachée où demeurait un enfant pas loin d’une source d’eau vive. Elle m’enleva mes vêtements sans que j’eusse la force de me débattre, m’emmena dans la source, et y plongea tout mon corps. Je ressentis à ce moment précis, une sérénité comme nulle autre. J’étais purifié de mes angoisses et de mes pensées foisonnantes.

Une joie profonde m’envahit même, quand j’eus pris l’enfant dans mes bras. La femme me fit un signe, et me chuchota à l’oreille de le présenter au château avec pour seule indication, celle de suivre l’étoile du matin.

Il ne lui fallut que quelques secondes pour disparaître de mon champ de vision. Seule, avec ce petit bout, je me devais d’agir pour lui. À peine sortie, que les ténèbres ambiantes me firent tressaillir de peur, mais sa présence me rassura. Voguant à la lumière des étoiles, je pus distinguer celle, qui me guida vers le lieu de toutes mes espérances, et à la première heure le lendemain matin, je franchis la porte du château.

Notre venue surprit nos hôtes. D'après leurs dires, cela faisait bien longtemps qu’ils n'avaient pas reçu de visiteurs. D’ailleurs, je doute qu’ils aient reçu d’autres personnes avant nous, tant leur mémoire était trouble, et leurs maladresses malaisantes.

Le bébé était indisposé à rester sur le seuil de l’entrée. Il n'arrêtait pas de s’agiter, voulant tout attraper pour jouer avec les différents objets à sa disposition, dont un couteau. Quand je le lui ai refusé pour son bien, il se mit à pleurer à sanglot, comme si je le maltraitais. Il faut dire que le désordre de la pièce avec ses innombrables tentations ne m’aida pas à donner un peu d’apaisement au petit.

Le mari, tout affolé, partit dans sa bibliothèque lire des livres sur le sujet. La femme me proposa d’aller à la cuisine pour donner quelque chose à cette petite bouille. On essaya en vain de lui concocter un biberon avec les moyens du bord, mais, rien n’avait grâce à ses yeux. De son côté, il essayait de mettre sa bouche sur mon sein gauche. Faites-le téter, me disait-elle ! Interloquée, je ne sus comment répondre. Sous le poids de la pression, mon soutien-gorge se dégrafa, et il put alors téter sa goutte. Par un certain miracle, du lait jaillit de mon sein pour le plus grand plaisir du poupon.

L’heure du repas venait de sonner. Tout le monde s’était attroupé dans la salle à manger. On posa le bébé dans son landau. Sa sieste de trois heures allait enfin pouvoir commencer. Pour nous, il fallait tout préparer pour se restaurer. Nous finîmes de cuisiner le plat du jour, nous mîmes la table, et je pus m'entretenir avec mes hôtes pour les remercier de leur accueil.

Après manger, on se posa avec le petit dans le salon. Le mari débarqua tout joyeux vers nous. Il avait découvert une vieille prophétie annonçant l’arrivée d’un enfant dans les bras d’une femme. Cependant, le dialecte inconnu qu'utilisaient ses textes ne lui a pas permis pas d’en comprendre davantage. Sa femme et moi rîmes de bon coeur devant l’inutilité de ses recherches, ce qui n’eut pas entaché son courage, car il nous promit d’intensifier ses études.

Vers quatre heures et demie, le bébé voulut nous jouer un récital de cris pour le plus grand plaisir de nos oreilles. Suivant les conseils de la femme, je partis avec lui dans le grenier. Peut-être trouverait-on quelques jouets. Finalement, nous passâmes bien une bonne heure sur une chaise à bascule, entrelacé l’un à l’autre, avec moi qui poussais la chansonnette. La joie scintillait dans ses yeux innocents.

La pendule affichant dix-huit heures, il fallut nous rendre à la salle de bain pour la toilette de notre petit prince. Ce ne fut pas de tout repos ! Un coup, il hurlait à ne plus en finir. Un autre coup, il s’amusait avec l’eau jusqu’à me mouiller de la tête au pied.

La nuit arrivant, le sommeil eut raison de lui, il roupillait déjà dans mes bras. Je pus seulement avalé deux-trois gorgées de soupe avant d’aller le coucher. Sa petite bouille angélique suffit à elle seule à m’apporter le bonheur tant espéré. À peine je le posais sur le lit, que je voulus rester en sa présence. Cette certitude d’être là où l’on doit être était la mienne à cet instant précis.

La présence d’une altérité au cours de mon retour de songe eut pour effet de bouleverser ma réalité. Le désir de l’inconnu était bien supérieur à ma peur du changement. Cette rencontre des deux mondes opposés engendre une union d’un genre particulier. Une union, qui ne peut se faire sans une emprise de l’un envers l’autre, comme un pacte que l’on signe au premier regard.

La cascade a été le point de notre entrevue. Il restait immobile alors que des torrents d’eau s’abattaient sur lui. Tout le contraire, de moi, qui n’arrêtait pas de gesticuler dans tous les sens pour trouver la bonne posture. Cela m’aurait même fait tomber, s’il ne m'avait pas rattrapé in extremis.

Ma maladresse se trouva rectifiée par son agilité, ma passion s'entremêla avec son calme olympien, et bientôt ma présence auprès de lui eut ravi son coeur, le mien étant déjà acquis à sa cause.

Son visage reflétant la pureté de son amour, son sourire débonnaire jouant les publicitaires à l’occasion, ainsi que son physique symétrique à l’instar d’une statue d'Apollon me faisait rougir à de multiples égards. Il aurait été aisé d’arguer sans en démordre, l'existence d'un complot. Certainement, l'œuvre de ce fameux Archerot, qui d’une seule flèche enflamma nos cœurs d'artichauts, sans user du moindre mot.

Sa paume contre ma paume, sa poitrine contre ma poitrine, sa bouche contre ma bouche ôtaient toutes possibilités de fuites en arrière. Impossible de résister face à cette indubitable vérité, nous étions unis par des liens invisibles, et dont on ne saurait se dénouer sans sacrifier une partie de soi-même. Cette force, si puissante, détruisait par le feu toute logique cartésienne, transformant nos esprits épris en de simples hôtes paralysés.

Sans en comprendre la raison, je rêvais dans le plus grand des secrets, que ce dernier eut pris possession du royaume de mon coeur pour s’y installer en tant que souverain légitime. Je serais ainsi libérée de ma prison dorée, emmurée dans une forteresse imprenable, que mézigue avait érigée il y a fort longtemps pour me protéger de l’extérieur.

Un mariage mystérieux entre deux êtres aux antipodes avait lieu. Celui-ci portait le sceau d’une nouvelle alliance. Mon corps au casier vierge venait d’être intronisé comme la source de notre devenir. Plus de retour en arrière possible.

On exigea que mon enveloppe de chair et d’os devienne un sanctuaire. Célébrant l’amour fleurissant. Enchaînant ma volonté à sa volonté dans l’unique but d’atteindre une volonté commune, capable de faire émerger un avenir en commun. Le passage obligé du moi au nous.

Un heureux dénouement me rongeait de l’intérieur, me ballottant au gré de mes humeurs changeantes et discordantes. L’intensité se mit à augmenter au fur à mesure que le temps passait. Faisant vaciller le monde autour de moi. Réduisant mon existence à une vulgaire centrifugeuse, qui broie tout sur son passage.

N’ayant pas d’autre choix, je lançai un assaut périlleux contre sa bouche, la prenant en tenaille. Monsieur ne bougea pas d’un poil ! Alors, je mordis légèrement sa lèvre inférieure pour lui signifier ma présence, et mon envie d’être honoré comme il se doit !

Toujours rien ! Je me dévêtis de ces choses superflues entourant mon anatomie, levant le voile du mystère qui m’entourait jadis. Le tout, agrémenté de mes yeux de velours parcourant à rebours le temps jusqu’à sa source.


Un baiser me fut prodigué par mon bien-aimé, jouant avec grâce Roméo, et m’offrant le rôle d’une Juliette pleine d’allégresse. Espérons que l’issue de notre amour ne soit pas aussi funeste !

Sa main de fer domptait mon bassin trop souple pour opposer la moindre résistance.Le barrage m’ayant retenue captive céda par la force du courant. Un mouvement brusque s’opéra. Les eaux profondes se déversèrent dans une rivière impétueuse. Elles atteignirent bientôt l’océan, objet d’innombrables chimères.

Le volcan, jaloux d’être délaissé, entra en éruption pour signifier son énervement. Il fit descendre ses eaux bouillantes. Le vent, lui aussi, voulait être de la partie, souffla avec véhémence sur les eaux jusqu’à les geler. On se serait cru en pleine période glaciaire.

Le mouvement de mon âme fut suspendu à une corde. Ma liberté volée dès ma tendre enfance redevint mienne. Une paix royale fut instaurée. Ses limites excédant l’imaginaire du commun des mortels ne sauraient être estimées. À ce moment, je n’avais qu’un seul souhait … avoir un enfant ... de celui qui est mien, et qui m’a faite sienne. Telle deviendra ma destinée !

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