{Capucine} : Une épopée fantastique

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Ce fut une journée ensoleillée. Celui qui s’improvisa comme notre guide insista pour nous faire visiter sa demeure. Nous le suivions docilement sans trop poser de questions. Je n’eus ni l’envie ni la curiosité d’en savoir davantage. Sans pouvoir l’expliquer, la confiance régnait entre nous. Chaque parcelle de mon petit corps quémandait sa présence. Ses paroles, simples et limpides, ainsi que son aura mystérieuse gravitant autour de sa personne, étaient autant de preuves de sa haute valeur à mes yeux.

On s’arrêta devant une immense bâtisse à l’architecture gothique flamboyante. La régente du lieu vint nous saluer à l’occasion. Son charme surnaturel, empli de grâce, nous laissa de marbre. Dès l’entrée, nous pûmes déceler une présence imperceptible à l’œil nu, nous invitant à nous établir ici le temps d’un recueillement.

Mes angoisses, mes peurs et mes tristesses s’évanouirent aussitôt. Je contemplais longuement Pablo avec mes yeux de merlan frit. Il incarnait à la perfection son rôle professoral. Le produit d’une rencontre incongrue entre deux forces opposées. Les flots calmes de la sagesse, et les flots agités de la passion ardente. Il nous expliqua l’historicité de l’endroit dans lequel nous voguions. Rien ne semblait lui échapper.

Quand la complicité eut atteint son apogée. Il osa se confier à nos oreilles attentives sur le rapport qu'entretenait sa famille avec ce lieu atypique. Tout commença un jour grisâtre. Une pluie diluvienne s’abattait sur le toit de la maison, et le roulement sourd de l’orage s’entendait à des kilomètres à la ronde. Dans ce cadre malvenu, sa mère tomba gravement malade.

Tout allait de mal en pis. Son père songea à tout vendre pour la sauver, ce qu’elle refusa catégoriquement. Les médecins devinrent de plus en plus alarmistes. La défaite était proche. Il ne lui restait que quelques mois à vivre auprès d’eux.

Son père fut plongé dans un profond désarroi. Il écuma tous les bas-fonds de la ville pour se perdre dans l’ivresse temporaire de l’alcool, jusqu'à devenir l’ombre de lui-même. En pleine déliquescence, il déambula dans une ruelle adjacente sans autre but que de se perdre. Il réfléchit plusieurs fois à se donner la mort, mais y renonça par amour pour sa famille. Quand il vit pour la première fois cette demeure, il ne put s’empêcher de s’y rendre pour en admirer sa beauté.

À peine arrivé, qu’il pleurait déjà comme une madeleine ! Bientôt, une inexplicable consolation remplissait d'amour son cœur affligé. De plus, il obtint une grâce particulière, que l'on nomme... espérance ! En guise de remerciement, il institua un rituel matinal, et se rendit ici pour renouveler ses vœux envers sa famille. Sa seule demande fut avant pour lui-même. Il voulut être celui sur qui on peut compter. Même s’il ne pût cacher son vague espoir de voir sa femme demeurer à ses côtés jusqu’à la fin de ses jours.

Une année s’écoula sans que la maladie eût raison de sa mère. Ce qui intrigua les médecins. Elle reçut, dans la foulée, les résultats du scanner. Tout le monde en perdit son Latin… Elle était guérie !

Un miracle s’était produit, devant la stupéfaction générale. Les autorités politiques, médicales et religieuses voulurent s’en mêler avec de multiples enquêtes, débouchant sur de nouvelles enquêtes…

Ses grands-parents paternels décédèrent quelques années plus tard. Un héritage vu jadis, comme un cadeau empoisonné, fut le plus beau des présents qu’ils reçurent jusqu'à présent. Ils virent ceci comme un signe de la providence, et devinrent aubergistes à leur tour. Une nouvelle page allait s’écrire sans en renier le passé avec la ferme volonté de perpétuer l’héritage familial.

Ils offrirent le gite à des dizaines de milliers de pèlerins de tout horizon. Partant bien souvent seul loin de leur famille et de leurs amis. Un voyage. Une quête. Obtenir l’unique réponse à toutes leurs questions… Celle du sens de leur existence !

Tout d’un coup, un chant grégorien entrait en résonance avec chaque particule de mon être. Un feu flamboyant commença, peu à peu, à réchauffer mon petit cœur. Une paix intérieure profonde s’enracina dans mon esprit. Je pus, le temps d’un instant, redevenir libre de tout conditionnement. Seulement béate devant la beauté d’une œuvre aux multiples facettes.

Pauvres en esprit, sommes-nous ! Nous, qui courons derrière la recherche d’un bonheur matériel aux airs de chimère. Alors, qu’il nous suffit de contempler cette nature infinie pour savourer le nectar de la vie

Une voix chétive chuchota à mon oreille indécise… Laisse ton cœur te guider dans les sentiers de la sagesse… Celui-là seul est l’unique clé vers l’esprit de vérité… Quand je voulus en savoir plus, j’eus pour seule réponse que le silence le plus absolu. Comme si, je devais méditer ses paroles, et les laisser imprégner ma vie.

La nuit tombant, il nous fallait revenir dans notre chambre d’hôtel. Lucas s’activa avec entrain, se pouponnant pendant de longues minutes dans la salle de bain. Ah celui-là ! Il me ferait passer pour un vrai garçon manqué !

Pablo nous donna rendez-vous sur la place de l’hôtel de ville. Des amis à lui organisèrent une petite fête dans un bar,connu uniquement par une poignée de marginaux… La taberna de los místicos!

Sur sa devanture, on pouvait lire : “Du sentier périlleux avec ses embouchures souterraines vers notre dernière demeure”. Un homme de petite taille s’avança pour nous ouvrir la porte, et dit : Fiat Lux. Pablo lui répondit du tac au tac par : Et facta est lux

Dès mes premiers instants à l’intérieur, je fus piquée au vif par une sensation de mort imminente, qui alla jusqu’à paralyser légèrement mon frêle corps. Je sus sans pouvoir néanmoins le décrire, qu’une partie de mon petit moi me fût ôtée. Où sommes-nous ? questionnai-je à Pablo. Un monde où le champ des possibles n’est plus restreint par les limites de ton imaginaire, rétorqua-t-il en riant de bon cœur.

Un drôle de farfadet, dont la laideur physique rendait sa vue désagréable, se voyait être accompagné de sept servantes louant ses mérites à qui tendait l’oreille pour entendre .Tout comme l’apparence ne fait pas l’homme, l’honneur n’en détermine pas sa grandeur, car c’est l’unique privilège de la volonté, qui a le mérite de transfigurer une chose jugée disgracieuse en perle de jade, argüait-il à notre encontre. Comment le posséder à notre tour ? L'interrogeant sur cette drôle d'affaire. Ma petite bambinette, c’est le présent d’un roi caché dans la montagne, et dont la puissance méconnue en surprendrait plus d’un !

La part de succube en moi voulut le dépouiller de son énergie vitale. Ainsi, je deviendrais son égale sans le moindre effort. La pleine lune arrivant, il me serait aisé d’agir dans l’obscurité sans être remarqué. Sauf que je ne serais être ce genre de femme sans me renier intégralement. Comment concilier notre désir narcissique de pouvoir avec notre aspiration au beau, au bien et au vrai ? Je suis forcé d'admettre que cela est bien impossible. Que ces deux étendards ne peuvent que nous amener qu'à une guerre intérieure, qui ne se soldera que par la défaite d’un des deux camps.

Un homme à la carrure imposante ramena quatre pintes à la main. Son regard sévère me fit tressaillir de peur, mais son apparence noble me rassura. Il nous tint un discours empli d’éloquence, nous appelant à mener le combat contre des forces agissantes tapies dans l’ombre.

Qui est celui qu’on n’ose pas prononcer le nom sans trembler de terreur ? Il s’invite dans notre château familial, réagence chacune des pièces à ses envies. Ses promesses précédant les innombrables richesses volées aux dépens des plus démunis nous donnent l'illusion des lendemains qui chantent… sauf que bientôt les cris, les pleurs, et les invectives nous font voir le poteau rose… le fruit d’un mensonge éhontément préparé.

Face à ce constat, on aurait tendance à rester dans le déni, à se replier dans notre hypocrisie ou à fuir comme un lâche dans une contrée accueillante. Nos désirs inassouvis, nos angoisses insoutenables, ainsi que notre besoin narcissique d’attention sont autant de brèches qu’il utilise pour profiter de nous.

Devenant peu à peu habitué aux vacarmes. Il nous devient impossible de sortir du règne de la multitude. On veut tout savoir du monde en temps réel. On s’y perd jusqu’à ne plus se trouver soi-même. On devient dépendant du jugement des autres, si bien qu’on joue constamment un rôle pour leur plaire.

Au fond, on a l’impression de ne pouvoir devenir soi-même que dans l’extravagance du spectacle où l’on peut choquer les convenances sans être affublé d’un surnom méprisant . Et alors, toute notre existence se centre sur nos représentations dans une scène vivante qu’on appelle la société du spectacle.

Sauf qu’à la longue, on s’épuise de fatigue. La dépression arrive aux grands galops, et on se transforme en être apathique… incapable d’aimer un monde qui se refuse de nous aimer pour ce qu’on est réellement !

Mes amis, si nous refusons de mourir de désespoir… l’heure n’est plus aux petits arrangements, mais à une guerre sans concession ! Nous exigeons qu’une seule chose, la reddition la plus complète de notre ennemi.

Peut-être mort, il y aura ! Telle est la promesse de nos mères et des mères de nos mères, ainsi que tel est le serment de nos pères, et des pères de nos pères, qui voulurent par leur courage et leur abnégation vaincre cette peste bubonique !

Que la volonté de notre seigneur soit faite, que sa lumière nous illumine le chemin, et que son amour fasse vibrer nos cœurs à l’unisson !

À la fin de ce discours, une dame aux habits excentriques réclama elle aussi une tribune à notre table. Se targuant d’être missionné pour conter une histoire aux étrangers de passage dans le bar.

Il était l’histoire d’un chevalier raté, fauché par les jeux d’argents, mais en quête d'amour, gloire et beauté.

Un jour, il tomba au beau milieu d’une discussion animée entre deux soulards autour d’une vieille légende urbaine. D’après leur dire, une pauvre princesse était retenue prisonnière dans un château, situé non loin de la forêt de brocéliande. Quoique les deux compères se chamaillèrent sur ce dernier point.

Sans réfléchir plus que ça, notre chevalier ambitionna de libérer cette femme captive. Celle que tout le monde surnommait, Aurore, la fille du berger. Il partit dès le lendemain matin. Cependant, plus il avançait vers le lieu de toutes ses espérances, plus les gens l’avertissaient du danger, mais son esprit porté par la fougue de la jeunesse ne voulait rien entendre.

Un monsieur d’un âge avancé, et dont la barbe blanche imposait le respect, lui tint une exégèse sur le combat qui l’attendait. Un dragon du nom de Draco Magnus gardait soigneusement l’entrée. Ce charognard de la pire espèce fit périr bon nombre d’aventuriers bouffis d’orgueil. Il lui conseilla de rebrousser chemin et d’attendre l’âge de raison pour le combattre.

Notre héros ne l’écouta pas. Il alla à la confrontation avec le dragon, qui ne fit qu’une bouchée de ce béotien au cœur impétueux ! Mort aux yeux du monde, mais ramené à la vie par le patriarche, il put préparer sa quête de vengeance. Son égo surdimensionné n’ayant pas digéré l’humiliation subie par son ennemi.

Celui qui allait devenir son maitre lui apprit les fondamentaux, comme le contrôle des sens ou l’apprentissage de la sagesse. Quand il fut prêt à passer l’étape suivante. Il lui enseigna l’art de la guerre, ainsi que sa botte secrète permettant de mettre à l’amende n’importe quel adversaire. À peine expliqué de quoi il s’agissait que le brave gaillard se mît à se pouffer de rire. Si tant est qu’il se questionnât sur l’insanité de notre vieillard.

Bien déterminé à terrasser son rival maléfique, il se mit en route sans plus tarder. Le combat commença par une baston de regards vicieux.

Notre héros utilisa tout son savoir pour vaincre son adversaire. Il réussit bien à le mettre en déroute quelque temps, mais le dragon revint à chaque fois à la charge. Il n’eut bientôt plus de force, c’est à ce moment-là qu’il s’est résolu à utiliser la technique imparable du vieux fou. Il se mit à genoux, implorant de l’aide dans une langue peu connue.

Une idée lui vint à l’esprit, il devait s’attaquer aux pieds du dragon. Plus précisément à un de ses orteils. Dans un mélimélo d'enchainements d’actions incompréhensibles, il réussit à en couper un ! Son exploit terrorisa le dragon, qui prit la poudre d'escampette, et dont les gémissements ressemblaient à un chant des enfers.

Son arrivée triomphale dans le château n'impressionna pas sa Dame tant convoitée. Il eut d’ailleurs la mauvaise surprise d’apprendre qu’elle n’était pas disposée à avoir le moindre rapport charnel avec lui, car elle aspirait à rester vierge toute sa vie.

Il se fit peu à peu à cette idée… Quand, un beau jour, elle devint enceinte d’un enfant, dont il n’était pas le père. Il s’interrogea sur sa vertu, fouilla chaque pièce pour y trouver une preuve de son infidélité. Il ne décela rien d’anormal. Il n’osa pas lui faire l’affront de la questionner sur le sujet, mais fut tiraillé par cette absence de réponse.

Chaque jour qui s’écoulait était pour lui un calvaire. Dans le précipice de la folie, il entendit une voix enjouée, lui chuchotant qu’il ne devait pas craindre l’enfant, qu’un miracle avait eu lieu, et que l’enfant serait porteur d’un message d’avenir.

Quand naquit l'enfant, des voyageurs de contrées lointaines lui offrirent de multiples présents en proclamant : Voici l’enfant de la prophétie…

Voyant que minuit se profilait. Je coupa la parole à notre conteuse, pour enjoindre notre petite communauté à aller au lit, car il se faisait tard. Lucas, visiblement ivre, voulut rester, mais mon regard sur lui l’en dissuada.

La fatigue nous plongea dans un sommeil profond dès qu’elle eut vu le lit en ligne de mire. Au réveil, je n’avais que de vagues souvenirs de notre escapade aux airs oniriques. Ai-je rêvé ? Il est vrai que l’imagination débordante d’une jeune fille en manque de sensation forte est plutôt fertile.

Cependant, le regard perdu de mon très cher ami fut le révélateur du changement de cap qu’allait prendre ma vie !

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