De gueule et d'argent

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Aussi loin que porte ma mémoire, je l’ai toujours connue. Oh bien sûr, elle n’est pas bien grande mais son histoire elle, l’est. Á mes yeux, presque aussi grande que toutes les autres. Et c’est ça qui me plait chez elle : sa grandeur se trouve ailleurs, dans les souvenirs de ses habitants et au-delà des apparences. Qui est-elle ? Où se trouve-t-elle ? Pour ça il faut aller au nord, très au nord. Pour la rencontrer, il faut descendre la Canche au gré de ses flots tranquilles. Pourquoi pas à la force de votre pagaie ? Gare à la tête, les ponts sont bas.

Et là, elle se découvre avec son beffroi qui vous toise avec un petit soupçon d’orgueil, du haut de ses soixante-dix mètres. Qui peut se targuer ici d’avoir quatre cent cinquante-huit ans, d’avoir eu trois vies, connu de terribles conflits et d’être toujours là ? D’ailleurs, si vous étiez venu voilà plus de quatre siècles, ici vous n’auriez rien trouvé de plus que des arbres et la campagne. Charles Quint de Habsbourg ne l’avait pas encore bâtie, les Français la possédaient encore, les puissants comtes d’Artois l’avaient à leur pogne. Protagonistes des “Rois Maudits”, ils étaient ici autrefois dans les jardins de Robert II qui en étonnèrent plus d’un. Cela n’aura pas ému l’Empereur vexé d’une telle fidélité envers les Valois.
Son blason aux étoiles d'argent et de gueule se dresse avec une insolente fierté depuis lors et tient tête aux ennemis du royaume. Prise plusieurs fois par le Saint Empire Germanique, elle ne reniera jamais sa loyauté et finalement sera délivrée par les armées de Louis XIII, retournant définitivement à la Couronne. Et puis il y aura les Allemands, eux aussi s’y casseront les dents. Un Hesdinois, c’est résistant.

A soixante-dix mètres au-dessus du sol, que voit-on ? D’abord, à nos pieds la Place d’Armes et son marché. C’est jeudi ! Travées étroites où l’on déambule au gré des odeurs de poulet rôti et de charcuterie. Les maraîchers vantent les légumes du coin, et le miel, et le fromage et tout ce qu’il faut pour se faire un bon repas le midi même. La place est bordée de boutiques, de commerces... je me souviens encore des mercredi matin et du croissant au beurre de la boulangerie. Cette Bastille en sucre exposée là m’intriguais toujours.
Le Commerce... les bornes d’arcade ont englouti autant de pièces de cinq francs que mon estomac, des rochers un peu pâlots, toujours perdants. La Foire prenait toute la Place en hiver, on ne grelottait pas de froid mais d’une excitation folle que de grimper dans le premier manège qui passe. Du temps où l’on ne dépensait pas “sa quinzaine” pour rire un coup et tirer quelques plombs dans les ballons.
On grandit, on se fait des amis, viennnent les premières sorties et dans un endroit comme celui-là il n’y avait qu’un point de chute que l’on attendait le vendredi. C’était toujours piquant ! Dans notre vie, il y avait un Cactus. Concerts, première biture et non des moindre mais toujours les rires, la bonne humeur. Du temps où la petite ville vivait un peu avant de s’endormir pendant de trop longues années. De sombrer tandis que les entreprises la délaissaient en laissant leurs employés de côté.

Quittant la place, Hesdin – car c’est son nom – s'ouvre à nous par différents chemins. Des rues étroites, une architecture qui a su garder un peu de caractère et tout autant d’histoire. Dans la rue de la Paroisse l’on croisera une gothique Notre-Dame toute aussi vénérable que son grand voisin. Á chaque fois je m’arrête, je l’observe, j’admire les blasons de pierre de sa façade, ses vitraux. Elle vaut mon détour et à ses pieds se déroule la Canche tranquille. Sous son ombre, quelques pêcheurs. Dans ses rues parfois pavées, il faudra ouvrir les yeux car d’autres secrets sont bien cachés. Et au détour d’une promenade piétonne, le souvenir d’un Abbé et de sa Manon pourrait se dérober. Les plus anciens peuvent vous raconter l’histoire de cette partie de la ville, de ses commerces d’autrefois et ceux qui résistent encore et toujours à ceux qui voudraient les faire passer pour désuets. Ils sont bien peu à avoir cent ans d’existence au compteur mais ils sont là, la porte toujours grande ouverte. Ironie étrange, même drôle finalement. Ces mêmes portes que je franchissais autrefois enfant pour chercher mes livres et affaires d’école pour la rentrée, maintenant je les franchis en faisant partie de la famille.

Car Hesdin c’est non pas uniquement une histoire d’enfance, c'est aussi une histoire d’amour. Ce n’est pas Cupidon qui nous aura piqué, mais bien un Cactus – encore lui ! - Avec ça, la vie... chercher du travail nous a poussé à la quitter, avec regrets, comme tous nos amis d’alors. Bien sûr elle n’était jamais bien loin, toujours dans un coin de cœur, avec une certaine fierté de dire d’où l’on vient. Puis le temps passe, et l’on se plait à imaginer où l’on sera après “tout ça”. La réponse est toute trouvée. Pas besoin de cocotiers, de grandes cités. J’ai juste besoin des histoires de chevaliers, des rois et des comtes d’Artois, de ces étoiles de gueule et d’argent.

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