Village fantôme

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Laurielle a quitté la cité d'Alanthe avec une quête de la plus haute importance, commanditée par le Roi en personne suite à son adoubement. Elle a été faite chevalière de la Couronne par Sire Arthus de Hautvent, le frère de son mentor; et a été décorée pour ses prouesses sur le front. Cela fait plusieurs mois que la chevalière Laurielle est revenue d'entre les morts et qu'elle a décidé de poursuivre la vocation de Sire Adhemar : protéger et servir son pays.

  La jeune femme avait chevauché deux jours.

  Sa chevelure blonde rayonnait à l'aube. Le soleil la forçait à plisser les yeux. Elle portait fièrement une longue cape rouge qui tombait sur la croupe de sa monture, symbole de sa nouvelle fonction prestigieuse. Elle observait les plaines verdoyantes et les collines fleuries qui l'entouraient en repensant à son adoubement. Sire Adhemar lui manquait. C'était un homme beau et valeureux, bienveillant et protecteur, elle aurait tant aimé que ce soit lui qui la fasse chevalière. Elle effleura pensivement la poignée de l'épée qu'elle portait à sa taille, l'arme avait appartenu à Adhemar il y a bien longtemps.

  La chevalière avait longé la Forêt Luxuriante et avait continué vers le sud-ouest dans le but de rejoindre Farras, une petite ville non loin de la ligne de front où elle devait rencontrer la comtesse Jovianne Delavre. Elle devait lui remettre une missive urgente, puis rejoindre la chevalière Almorra, qui lui expliquerait les détails de la suite de sa quête.

  L'esprit de la jeune femme était occupé par une profonde nostalgie, et son cœur épris d'une grande fierté. Aujourd'hui, elle marchait dans les pas de son mentor, et allait accomplir sa première quête officielle.

  Il faisait plutôt bon, et elle apercevait parfois quelques lapins ou des biches gambader dans les alentours. Elle ferma les yeux un instant pour savourer la brise matinale qui faisait se soulever ses cheveux ondulés, et expira un soupir. Elle approchait de sa destination, et elle allait devoir être plus vigilante désormais. A partir d'ici, elle n'était plus à l'abri d'une embuscade d'ardoniens ou de bandits.

  Laurielle chevaucha encore une demi journée avant de s'arrêter à une auberge de campagne, qui serait son dernier arrêt avant Farras. L'établissement n'était pas si loin des régions occupées, et était alors nettement moins fréquentée qu'elle n'aurait pu l'être en temps de paix. Elle y prit un repas frugal et écouta les quelques personnes présentes dans la salle dans l'espoir d'entendre quelques rumeurs sur la situation des environs. Hélas, elle n'apprit pas grand chose, et préféra rejoindre son cheval pour reprendre la route.

  Elle adressa quelques mots à son destrier, qui allait être son compagnon désormais. Tempête. Un grand étalon noir qui avait hérité de ce nom de son tempérament chaotique dès son plus jeune âge. Laurielle était la seule à avoir réussi à gagner sa confiance. Il était robuste et intelligent, et était parfaitement taillé pour un chevalier. Elle s'assura que Tempête ne manque de rien, puis ils reprirent la route tous les deux.

  En début d'après-midi, il s'était mit à pleuvoir et Laurielle dut se couvrir de sa cape de voyage. Elle avait désormais une allure bien plus sinistre et mystérieuse, couverte d'une ample capuche sombre et montée sur son destrier au poil ébène. Ils étaient seuls sur la route depuis un moment. La chevalière gardait la plupart du temps la tête baissée pour éviter la pluie dans les yeux, mais restait attentive et redressait la tête régulièrement pour vérifier l'état de la route devant elle.

  Laurielle avait un mauvais pressentiment.

  En levant les yeux, elle aperçut des colonnes de fumée noire. Elle fronça les sourcils et lança son cheval au galop. Elle sentait déjà l'adrénaline monter et sa poitrine se serrer. Elle tira sur la bride pour que Tempête ralentisse lorsqu'ils arrivèrent aux portes d'un village mit à feu et à sang. La chevalière descendit de sa monture, qu'elle mit rapidement en sécurité avant d'ôter sa cape de voyage pour s'assurer de ne pas être gênée dans ses mouvements. Tempête était nerveux. Elle tenta de l'apaiser, puis approcha de l'entrée du village en dégainant son épée.

  Elle s'avançait sur la route qui traversait le village, le regard concentré, mais elle se sentait de plus en plus angoissée. Autour d'elle, tout n'était que mort et destruction. Des maisons brûlaient et s'effondraient et des cadavres jonchaient les pavés de l'allée principale qu'elle prenait soin d'éviter.

  Laurielle serra les dents en découvrant des corps de villageois pendus le long de la route. Sa gorge se noua alors qu'elle fixait l'un d'eux, et écarquilla les yeux en constatant qu'il y avait même des enfants. Elle fut rappelée à elle lorsqu'elle entendit des poules caqueter. Elles tourna la tête vers celles-ci, et les vit s'agiter dans tous les sens, affolées. C'est là qu'elle remarqua un homme ensanglanté s'accrocher faiblement aux corps de ses enfants. Elle fit deux pas vers lui, mais se rendit compte avec effroi qu'il était déjà probablement en train de mourir. Elle ne pourrait plus rien pour lui.

  Des corps étaient calcinés, et en progressant dans le village, Laurielle trouva un immense feu de joie alimenté par un monticule de chaume et de cadavres noircis. L'odeur était pestilentielle, Laurielle grimaça et se pinça le nez de sa main gauche en lâchant un râle de dégoût. Jusqu'où allaient les atrocités commises ici ? Elle fut prise d'une envie soudaine de détaler, mais il y avait peut-être des survivants qu'elle pouvait encore sauver. Il fallait continuer. Elle se mit à inspecter chaque ruelle, où des pauvres gens avaient été empalés, décapités, brûlés, démembrés.

  Laurielle ne pensait pas replonger si vite dans l'enfer de la guerre.

  Elle trouva une maison ouverte et décida de s'y engouffrer. Elle poussa la porte dans un grincement, avançant précautionneusement, un pas après l'autre. Son armure ne la rendait pas particulièrement discrète et elle soufflait plus fort qu'elle ne l'aurait voulu. Le plancher craquait sous ses pieds. La pièce principale était sombre et avait été complètement retournée. Elle passa son regard sur les lieux et s'immobilisa.

  Elle baissa son arme en portant une main à ses lèvres. Horrifiée par la scène qu'elle découvrait, elle resta plantée près de l'entrée, ses yeux s'embuant de larmes presque aussitôt. Laurielle avait le souffle coupé, et sentit une poigne violente étreindre son coeur. Elle chancela, son épaule percutant un mur, et elle se laissa tomber sur les genoux en fixant le milieu de la pièce. Elle se sentait impuissante. Ses cheveux dégoulinaient en travers de son visage et lui collaient à la peau, ses larmes se mêlaient à la pluie en ruisselant sur ses joues. Sa main se déporta sur ses yeux et elle sanglota en restant au sol. Jamais elle ne s'était sentie aussi mal qu'en ce jour, jamais elle n'arriverait à chasser ces images de sa tête.

  Laurielle se ressaisit brusquement, posant un pied au sol pour se redresser en prenant appui sur le mur. Elle pivota vers la sortie, en gardant une main sur sa cape pour veiller à ce qu'elle ne s'accroche pas. C'est avec une lueur de détermination et un soupçon de haine que la chevalière rebroussa chemin pour aller chercher son cheval. Elle retourna auprès de Tempête, qu'elle cherchait à rassurer tant bien que mal, et monta sur son dos. Elle préféra contourner le village plutôt que de le traverser. Il fallait rejoindre Farras.

  La pluie avait cessé, le soleil perçait entre les nuages en créant des halos de lumière à l'horizon. Laurielle regardait droit devant elle. Les sourcils froncés, elle avait le regard figé alors que Tempête galopait vers la ville. A partir de ce jour, elle ferait tout pour empêcher de telles horreurs de se produire. Elle ferait tout pour protéger son peuple.

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