La conclusion

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Matthew Perrier n'était pas un grand juriste reconnu. Il était diplômé depuis peu, et malgré son relatif anonymat, il exerçait son travail avec rigueur.

Par manque de moyens, il n'avait pas de bureau ou de local pour accueillir ses clients. Il travaillait à domicile.

Le jour où Emma Dumont était venue chez lui, il avait pensé à une plaisanterie de mauvais goût organisée par ses anciens camarades d'études. C'était tout à fait leur genre d'humour, et ils avaient pu payer une actrice au rabais pour jouer le rôle de la pauvre fille qui venait de vendre son âme.

Il avait rapidement oublié ses suppositions en se rendant compte que la jeune femme devant lui y croyait vraiment. Elle avait l'air réellement inquiète et lorsqu'elle lui avait montré le contrat et avait affirmé qu'elle avait d'ores et déjà reçu l'argent, un frisson involontaire lui avait parcouru l'échine.

Matthew avait agi professionnellement : il lui avait répondu en se basant sur la loi, comme si effectivement le papier qu'elle présentait était reçevable par un tribunal. Il était resté sérieux, rassurant la jeune femme face à lui.

Alors qu'il lui parlait, il l'avait vu comme une jeune fille un peu crédule, qui avait été abusée par un homme indélicat. C'était probablement une mauvaise plaisanterie, ou alors le service exigé serait d'ordre sexuel. Ce ne serait pas la première fois qu'une telle chose se produirait.

Malgré tout, il y avait un doute suffisant qui lui faisait s'interroger.

Après avoir rassuré la demoiselle, il lui avait demandé de le tenir au courant. Il était curieux de savoir comment les choses se termineraient. Cependant, en la regardant partir, il avait eu un mauvais pressentiment.

Matthew était un homme pragmatique. Réaliste.

Il était évident que toute cette affaire n'était qu'une plaisanterie idiote. L'âme humaine n'était pas à vendre, ou à céder. Il n'était pas croyant, et il n'était même pas certain de croire en l'existence d'une âme...

Malgré tout, l'affaire resta dans un coin de sa tête. Et il s'interrogeait régulièrement sur cette boutique étrange qui proposait des solutions à tous les problèmes. Bien évidemment, Mademoiselle Dumont avait assuré qu'elle y était retournée, et qu'elle avait trouvé porte close.

Finalement, à peine une semaine après avoir reçu la jeune femme, il avait craqué, agacé. Décidé à se faire sa propre opinion, Matthew s'était rendu à l'adresse qu'il avait mémorisé.

Le quartier était aussi sordide que l'avait décrit Emma. Le genre d'endroit qui ne donnait pas envie de s'y promener dès la nuit tombée. Les rues sombres devaient abriter bien des trafics, et il ne semblait y avoir aucun commerçant à proximité.

La boutique décrite par Emma était au bon endroit. Déserte.

C'était aussi abandonné que le reste de la rue, cependant, Matthew se fit la réflexion que tout était moins sale. Comme si un grand ménage avait été fait récemment.

Avec une grimace écoeurée, il se pencha contre la vitre poussiéreuse pour essayer de percer les ténèbres. Il apperçut une pièce vide, à l'abandon. Rien ne prouvait qu'une boutique avait été installée à cet endroit. Cependant, rien n'indiquait le contraire.

Avec un soupir résigné, le juriste rentra chez lui. Il était légèrement frustré de ne pas avoir réussi à se prouver que Emma Dumont avait été une menteuse pathologique ou la victime d'une plaisanterie stupide.

Matthew avait presque oublié toute cette histoire lorsque Emma rappela. Polie, elle le salua, et lui annonça que tout avait été une plaisanterie idiote. Elle s'excusa de l'avoir dérangé pour si peu, à plusieurs reprises, avant de le remercier de l'avoir écouté.

Leur conversation dura peu de temps. Guère plus de quelques minutes. Cependant, elle laissa une sensation étrange. L'instinct du juriste lui hurlait que quelque chose n'allait pas. Pas du tout.

Emma Dumont avait eu l'air terrorisée. Et visiblement très pressée de se débarasser de lui.

Il n'avait pas recontacté la jeune femme, mais il n'avait pas chassé cette étrange histoire de son esprit.

Le jour où le contrat le plus étrange qu'il ait été amené à examiner de sa carrière, il hésita un instant à contacter la jeune femme qui n'avait pas vraiment quitté ses pensées depuis sa visite. Il avait soigneusement noté ses coordonnées, mais il préféra lui laisser quelques jours.

Elle devait probablement se sentir idiote d'avoir cru en ces stupidités, et autant lui laisser le temps de digérer qu'elle s'était laissé manipuler.

Il trouva un moment de libre trois jours plus tard, et il se rendit confiant chez Emma Dumont. Il était persuadé qu'elle serait bien plus détendue que lors de leur dernier échange, et qu'ils pourraient plaisanter ensemble de ce contrat fantaisiste.

Il frappa longuement à la porte, surpris de n'entendre aucun bruit.

Il allait quitter les lieux, légèrement frustré, mais un pressentiment étrange le retenait. Sourcils froncés, il se traita mentalement d'idiot avant d'appeler un ami dans la police.

L'escouade qui arriva rapidement le regarda comme s'il était fou, et il eut à subir quelques plaisanteries à peine subtiles sur le fait qu'il n'acceptait pas d'être éconduit. Stoïque, il endurait tout ça. Une fois qu'il aurait constaté que Emma Dumont était en parfaite santé, il l'oublierait définitivement et rentrerait tranquillement chez lui.

Cependant l'atmosphère potache disparut brusquement à l'instant où la porte s'ouvrait. Les visages devinrent graves et professionnelles, alors que les policiers présents se précipitaient vers le corps effondré au sol.

Impuissants, il ne purent que constater le décès de la jeune femme. Elle ressemblait à une marionnette dont on aurait coupé les fils, abandonné là, sur place. Elle avait les yeux écarquillés, et l'un des policiers fronça les sourcils.

 - On dirait qu'elle est morte de peur.

Glacé d'effroi, Matthew contemplait la victime, comprenant immédiatement que sa mort était liée au contrat étrange qu'elle lui avait fait lire. Il demanda la permission de fouiller les lieux, mais malgré tous ses efforts, la liasse de papiers demeura introuvable.

La police conclut à une mort accidentelle.

Emma Dumont était seule chez elle, enfermée à double tour, quand elle s'était subitement effondrée et était décédée. Il n'y eut même pas d'enquête. La jeune femme n'avait pas de famille et semblait avoir été assez solitaire.

Il n'y eut pas d'épitaphe. Pas de grand discours. Emma Dumont n'avait pas laissé de traces dans l'Histoire après tout.

Cependant, elle marqua l'esprit d'une personne. Matthew Perrier ne put jamais oublier cette femme qui un jour était venu lui raconter une histoire abracadabrante, qui avait prétendu que ce n'était qu'une sombre plaisanterie avant de mourir subitement deux mois plus tard.

La phrase qu'un des policiers avait prononcé avait été gravée au fer rouge dans l'esprit du juriste, lui interdisant d'oublier toute cette histoire extraordinaire.

 - Pauvre gosse. Elle a rendu l'âme...

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