Chapitre 9 - Dégel

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Le bruit du moteur réveille Ruby. Il ouvre les yeux : Alexandra dort à côté de lui et la voir le rassure. Il se tourne de l'autre côté : Bob a disparu. Il se lève et va à la fenêtre : le 4x4 de Bob s'éloigne dans le sentier. Le ciel est clair. L'homme a dû partir dès qu'il a vu que le blizzard s'était levé ; il devait être pressé de retrouver sa solitude, après avoir passé sept jours entiers enfermé avec eux dans un chalet minuscule. Il aurait pu dire au revoir, tout de même ; on est peut-être des bûcherons canadiens mais on n'est pas des sauvages non plus.

Ruby se dit que, finalement, cette semaine n'a pas été si désagréable. Les blagues grasses de Bob, les sourires de connivence d'Alexandra, le rôle de femme facile et simple qu'elle jouait, les baisers furtifs dans la cuisine, tout ça les a aidés à se rassurer. Bien sûr, il aurait préféré passer ce temps seul en compagnie de la jeune femme ; d'ailleurs, il a hâte qu'elle se réveille pour profiter de cette intimité retrouvée. Peut-être aura-t-elle envie de reprendre là où Bob les a interrompus... Il retourne se coucher près d'elle et goûter au plaisir de partager son lit.

Le bruit du moteur l'éveille à nouveau. Il ouvre les yeux et Alexandra se redresse en même temps que lui. Il va à la fenêtre : le 4x4 de Bob s'approche du chalet. Il se tourne vers la jeune femme, qui s'approche de lui et baise tendrement sa bouche.

- Bonjour Ruby.

- Bonjour Alexandra.

Ils se regardent l'un l'autre et savourent ces quelques secondes sans Bob. Trop courtes secondes.

- Bonjour tous les deux ! Encore à vos cochoncetés ? Ah, pourquoi toujours attendre que je sois parti ? J'peux participer, ou même seulement regarder !

Ruby rit par politesse : Bob est revenu leur dire au revoir finalement, il l'a mérité. Alexandra rit aussi, pour se conformer à son personnage de Cassie.

- Le blizzard s'est levé. C'est pas la seule chose qui va se lever ce matin, je crois, et j'parle pas du soleil ! Ahah ! Tout ce blanc partout, je sais pas vous, moi ça me pique les yeux. Bref, j'étais sorti ; j'avais une livraison à faire, précise Bob sans nécessité - Ruby sait depuis longtemps de quoi il retourne ; Alexandra a probablement compris elle aussi. Mais je ne voulais pas partir sans vous faire la bise. On sera pas sans s'revoir, de toute façon, hein mon Grizzli ? J'espère que ta jolie poupée sera encore là quand je reviendrai, sinon, à nous deux, on trouvera bien un moyen d'te consoler, t'inquiète pas ! Allez, je vous dis à la prochaine !

Il se dirige vers la porte qu'il commence à ouvrir, puis la referme et, se retournant vers eux, leur dit, soudain grave :

    

- Bon, vous êtes bien sympathiques tous les deux, alors je vais vous le dire : je sais qui tu es. Alexandra. Lebrun. 

Ruby se fige et son sourire factice se transforme en grimace sur son visage. Bob reprend :

- Je suis pas vexé que tu m'aies pas reconnu, apparemment. On n'a jamais été présentés formellement, c'est vrai, mais on s'est quand même croisé suffisamment quand Armand m'appelait chez vous - chez lui je veux dire - pour que, moi, je te reconnaisse sans problème. Et, de toute façon, il faut être amoureux comme ce grand niais - il désigne de la main Ruby, qui rougit bien malgré lui - pour croire à un personnage aussi peu crédible que cette Cassandra. Je devais te souffler toute l'histoire du personnage, je t'ai écrit tout ton script ! C'est moi qui t'ai mis sur la voie des souvenirs d'enfance que tu nous as raconté, hier soir ; j'avais presque l'impression de m'entendre parler par ta bouche ! Tu n'es vraiment pas une bonne actrice. Quand on vit avec un mafieux, on n'apprend pas à mentir ? Mais t'es sympa quand même. Et toi aussi le Grizzli. Je vous dis tout alors. Et, Ruby, c'est pas la peine de me regarder comme le premier soir, quand j'ai cru que tu allais me tuer et que j'ai inventé cette histoire de serveuse pour en réchapper : Armand sait de toute façon.

Ruby sent monter en lui le désespoir et la rage : il pourrait le tuer simplement parce qu'il n'arrive plus à se contrôler. Mais Alexandra se jette dans ses bras : il tâche de se calmer, pour l'aider elle.

- Je ne suis pas sorti me débarrasser du cadavre de l'autre type. Bon, je m'en suis débarrassé au passage, c'est vrai, mais, si je suis sorti sans prévenir, c'est surtout pour envoyer un message à Armand. C'était difficile mais je m'suis souvenu qu'il y a une antenne réseau de secours dans la vallée juste à l'Est - je venais faire mes livraisons ici bien avant que tu n'y travailles, Ruby, je sais des choses que t'ignores encore. Elle fonctionne toujours. Je vous le dis, ça peut servir. Je n'ai pas réussi à téléphoner mais mon message est bel et bien parti.

Il hausse les épaules comme pour dire qu'il n'y est pour rien. Et il leur a joué la comédie pendant toute cette semaine ! Ses souvenirs d'enfance étaient probablement tout aussi faux que ceux d'Alexandra-Cassie. Il n'y avait donc eu que Ruby pour être assez bête pour raconter de vrais souvenirs ?

- Bon, si vous voulez mon avis, il en a pour cinq jours avant d'être ici. J'le connais assez bien pour penser qu'il viendra lui-même, et j'pense qu'Alexandra sera d'accord avec moi. Vous avez quelques heures pour fuir... Bon courage.

Il leur sourit et sort. Alexandra et Ruby s'étreignent plus fort que jamais.

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