Chapitre 7 - Premier jour.

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Le professeur Escoffier regarda une dernière fois le dossier de Vincent D'Ambroise, avant de soupirer et le jeter à la poubelle.

Pendant ce mois et demi de cours, il s'était petit à petit pris d'affection pour ce jeune homme singulier à la verve aussi riche qu'étonnante. Le jeune Vincent était calé sur tous les sujets possibles, mais il était clair et net qu'il ne s'intéressait à aucun d'entre eux. Escoffier avait tenté de lui lancer des messages sous-jacents, mais le jeune était aussi réceptif qu'un paratonnerre en souterrain.

Le problème résidait dans le fait que chaque élève qui faisait leurs stages au Hall étaient souvent directement engagés sous contrat, jurant sur le Texte qu'ils ne révèleraient aucun secret du Hall. C'était une tactique simple de cet endroit qui était plus une sorte de temple de fanatiques qu'un simple bâtiment administratif. Les Promesses Inviolables permettaient au Hall de faire en sorte que ses employés ne pouvaient que dire la vérité dans un cadre judiciaire, le reste étant impossible à dévoiler.

Escoffier toussota ; il se faisait vieux, et aurait aimé transmettre son savoir d'aventurier à ce jeune prodige. Mais, une nouvelle fois encore, le Hall lui avait dérobé un de ses protégés. Le chagrin qu'il avait autrefois ressenti en croisant le regard d'un de ses anciens élèves, froid et austère, il allait une nouvelle fois le ressentir. Le Hall allait transformer ce jeune plein de rêves en machine à trier des dossiers, signer des documents et d'une impartialité à toute épreuve.

Nul doute que la Justice doit faire fi des sentiments, mais une Justice vide de tout cœur est aussi cruelle que le criminel qu'elle juge.

Escoffier se leva, et se dirigea vers une commode fermée à clé. Il l'ouvrit, et en sortit un livre dontil feuilleta les pages avec rêverie : son journal d'aventurier, compilant cinquante ans de voyage à travers les sept pays des Archons... Et au-delà. Que n'aurait-il pas donné pour posséder un corps plus jeune, remonter le temps à l'époque où il mangeait, combattait, buvait... et aimait de tout son soûl.

Plus personne ne se souviendrait d'Escoffier, l'aventurier qui mettait les pieds dans le plat. Son héritage se perdrait telle l'écume au fond des vagues qui sont aussi fugaces que les larmes d'un vieil homme nostalgique.

* * *

- Hâte d'y aller ! s'exclama tout sourire Henry. Pas toi ?

- J'attends ce jour depuis ma naissance ! rigola Vincent en ajustant sa cravate, puis se tourna vers son ami : Comment tu me trouves ?

- Prêt à rendre la justice avec charisme et fierté !

Vincent sourit : il avait déjà tout prévu. Dans sa mallette à double fond se cachaient grappins, crochets, fioles alchimiques et élémentaires, et toutes sortes de gadgets qu'il avait fabriqué ou acheté au marché noir. Grâce à tout l'argent qu'il avait accumulé, son coup d'éclat serait parfait, et à lui la belle vie !

Soudain, Edmond, Annette et Pascal entrèrent dans leur chambre. Eux aussi avaient revêtu des habits correspondants aux conformités imposées par leurs futurs maîtres de stages : un uniforme militaire blanc pour Pascal, une veste stylisée pour Annette et un costume d'apparat pour Edmond (son père l'avait poussé à travailler dans un atelier de peinture, mais surtout en tant que modèle).

Bref, tous étaient fins prêts à affronter leurs prochaines épreuves. Ils descendirent ensemble les escaliers, l'appréhension coupant toute envie de prendre la parole. La foudre aurait pu tomber à côté d'eux qu'ils auraient continuer à marcher jusqu'à la grille d'entrée. Là, ils se dirent au revoir et se séparèrent.

Vincent loua une calèche non loin, le cocher appartenant aux services de l'Université. Après s'être confortablement installé, Vincent regarda défiler les maisons, puis leva son regard au loin, vers la mer. Il était tellement détendu qu'aucun souvenir nauséabond ne vint troubler son esprit.

Il repensa à Lumine ; celle-ci n'avait pas été acceptée au Hall, au grand plaisir de Vincent. La jeune fille avait pourtant postulé bien avant lui, mais elle n'avait pas été recommandée par la plupart des professeurs de l'Université. Comme quoi, quand on arrivait à graisser les pattes et à brosser dans le sens du poil, il était simple de se hisser au plus haut.

Une vérité aussi satisfaisante que dégoûtante, à son humble avis.

La calèche arriva à bon port en l'espace de quelques minutes, et Vincent paya le cocher avant de se tourner vers le plus grand bâtiment de toute la cité républicaine : le Hall de Justice. De près, il était titanesque. Rien que les escaliers pour atteindre ne serait-ce que l'entrée étaient presque innombrables et d'une largeur démesurée. Des centaines de personnes courraient, se traînaient ou se pavanaient en entrant ou en sortant de l'édifice.

L'église de la Justice et du Droit allait l'accueillir. Vincent gravit les marches avec la droiture qu'on attendait de lui, jusqu'au sommet atteint par les plus forts, les plus méritants. Et lui, le Ravissard, l'homme le plus recherché de tout Fontaine... Il allait voler l'inviolable au nez et à la barbe de tous. Quel plaisir et quels frissons ! Il faillit lâcher un soupir d'extase, mais rentra avant de faire une scène.

L'intérieur faisait honneur à sa réputation : le plafond semblait aussi inatteignable que la liberté pour les incarcérés, couvert de peintures d'une splendeur époustouflante, et des lustres de cristal diffractant la lumière du soleil en une explosion de couleurs projetaient des arcs en ciel sur les murs de marbre, de grès et d'andésite polie.

La foule qui bouillonnait, les employés qui tentaient de ne pas trébucher sous le poids croulant des dossiers, des juristes en tenue qui discutaient en marchant d'un pas leste... Comme sur un marché aux puces, sauf qu'on se trouvait dans le cœur de Fontaine, là où toutes les affaires d'état, les petits conflits et incidents diplomatiques étaient traités.

L'épicentre du monde, là où tout pouvait basculer.

- Bonjour ? Vous êtes M. D'Ambroise ?

L'interpellé se tourna : une dame avec un air pincé, au chignon et à la robe serrée l'observait d'un œil critique derrière ses lunettes triangulaires. Vincent s'inclina selon le protocolaire nobiliaire, et acquiesça.

- Bien. Veuillez me suivre.

À travers les couloirs, entre les flots de personnes qui ne s'arrêtaient pas une seconde, ils se faufilèrent jusqu'à une salle des archives (bien entendu, celle-ci n'était pas la principale), et la femme se tourna vers lui, un calepin à la main.

- Toutes les instructions sont inscrites dessus, lui indiqua-t-elle en lui mettant le petit carnet dans la main. Si vous voyez quelque chose qui n'appartient pas à la liste, veuillez marquer sa référence sur les pages blanches.

Le jeune homme acquiesça, et la femme parut satisfaite et le laissa à son travail. Soupirant de dépit, il commença à trier les dossiers avec l'efficacité attendue d'un étudiant talentueux et désireux de réussir. Malgré le fait que ce travail était tout sauf amusant, chaque dossier était unique et Vincent avait largement le temps d'en feuilleter une partie, gravant chaque information qu'il jugeait utile dans sa mémoire. Qui sait, peut-être que ça lui servirait un jour ?

Par exemple, un marchand du nom de Kawamura Yoshinaka était arrivé à Fontaine pour faire du commerce de teintures, mais a fini par déclencher une bagarre dans une taverne pour "question d'honneur". Les deux partis étant en tort selon la loi, l'un pour banditisme et l'autre pour destruction de biens matériels, les deux avaient été incarcérés. Plus tard, après sa libération, Yoshinaka n'avait pas pu rentrer à Inazuma à cause d'un "décret de saisie", quelque chose en rapport avec les yeux divins... mais surtout fermant les frontières du pays.

Il n'y avait pas seulement des crimes qui défilaient sous les yeux vifs de Vincent ; un cuisinier de Liyue travaillant à l'auberge Wangshu avait demandé l'autorisation de participer à un banquet en l'honneur du sacrement du Roi, qui se déroulerait dans une semaine. Comme il fallait organiser le transport du matériel (wok, four de pierre traditionnel...) et des ingrédients plus du cuisinier lui-même, ce dossier était volumineux, aussi le jeune homme en tria le contenu pour faire bonne mesure.

Au fur et à mesure de son dur labeur, Vincent trouva une certaine excitation à glaner des infos à droite à gauche parmi ces innombrables parchemins. Sumeru, Natlan, Snezhnaya... Partout, on parlait d'affaires pour la Guilde des Aventuriers, de découvertes dans des ruines antiques, de convois marchands, d'inventions et de conventions scientifiques... Au bout d'une heure, l'étudiant avait compilé tous les dossiers qu'on lui avait demandé.

Sauf un.

En provenance de Mondstat, il venait de l'Ordre des chevaliers de Favonius. Le plus étonnant était qu'il s'agissait d'une lettre de la Grande Maîtresse remplacante, Jean Gunnhildr ; ça démontrait une nouvelle fois à quel point Fontaine respectait les coutumes et us des autres pays, le dossier n'étant même pas ouvert et classifié secret. Vincent l'ouvrit, et commença à lire...

"Votre Majesté Jean-Hughes de Macronia XVe du nom.

Si je vous écris cette lettre, et je m'excuse d'avance pour ma promptitude, c'est pour vous faire part des récentes opérations menées par l'Ordre des Abysses. Ces derniers, comparés aux Pilleurs de Trésor et aux renégats Fatui, ont gagné de plus en plus de puissance au fur et à mesure des incidents liés à Stormterror. Comme vous le saviez dans mes précédentes lettres, Mondstadt avait subi beaucoup de pertes à cause de ces gredins.

Néanmoins, un aventurier valeureux a réussi à calmer l'ire de Stormterror, et ainsi mettre fin aux viles machinations de l'Ordre des Abysses. J'ai donc le plaisir de vous annoncer que je n'ai plus besoin que vos troupes patrouillent aux alentours de Mondstadt. L'Ordre seul pourra s'occuper du reste.

Avec mes plus distinguées salutations,
Jean Gunnhildr, Maîtresse Remplaçante de l'Ordre des Chevaliers de Favonius."

Donc il y avait eu une crise à Mondstadt... C'est étrange, se dit Vincent en marquant sur une feuille blanche le référencement du dossier. Aucune rumeur dans les rues ou les tavernes ne parlait d'un tel débordement... L'Ordre des Abysses ? Je me demande bien ce que ça peut être... Quand à cet "aventurier" mentionné dans la lettre, pour avoir vaincu un dragon légendaire et repoussé un ordre assez puissant pour menacer la cité libre de Mondstadt, ça devait être un sacré morceau...

Satisfait, Vincent partit à la recherche de la femme qui lui avait donné ses tâches, et la trouva dans son bureau en train de consulter des papiers (sûrement administratifs). Elle leva ses yeux vers lui, haussant ses sourcils et rajustant ses lunettes. Il sourit ; elle devait sûrement penser qu'il avait rencontré un problème ou qu'il tirait au flan.... Il présenta la liste remplie, un sourire aux lèvres.

La femme lui arracha le calepin des mains avec un air pincé, zieuta les pages en les feuilletant à toute allure, puis se tourna vers lui :

- J'espère pour vous que tout a été rangé en bonne et due forme.

- Je prône l'efficacité avant la rapidité, répliqua Vincent.

Elle leva ses yeux au ciel, avant de poser le calepin. Puis, elle croisa ses mains en mettant ses coudes sur son bureau, scrutant derrière ses lunettes le jeune homme qui attendait avec un zeste d'impatience.

- Bien. Asseyez-vous, lâcha-t-elle en lui présentant le fauteuil, et Vincent obéit, tandis qu'elle demanda : Pourquoi pensez-vous que vous serez utile au Hall ?

- C'est assez simple.

Elle leva son sourcil plus haut, et il soupira ; ce genre de test était courant et peu difficile à surmonter.

- Il y a des tonnes de personnes talentueuses, intelligentes, vives, charmantes, etc... Mais ce que vous cherchez le plus au monde, c'est de la fiabilité.

- Correct, opina-t-elle, avant qu'un sourire narquois se glisse sur sa bouche : Et qu'est-ce qui me dit que vous l'êtes ?

- Le Serment Inviolable, déclara ce dernier en mimant son sourire. Impossible d'entrer dans le Hall avec un soupçon de traîtrise dans le sang.

La femme sourit, et s'adossa sur son fauteuil, satisfaite. Ce qu'elle ne savait pas en revanche, c'est que Vincent pouvait déjouer le Serment avec une simple unique méthode : ne pas se sentir coupable. Car c'était là le secret qu'on lui avait transmis à propos de ce Serment Inviolable, qu'on utilisait partout via la volonté et le pouvoir de l'Archon de Fontaine.

En entrant dans le Hall, Vincent ne se reprochait pas de voler les documents de cette dernière, car pour lui, toute chose lui appartenait. Il n'était juste pas un de ces conquérants ou grincheux prêts à trahir n'importe qui pour une miette de pain ; non, il n'était qu'un simple voleur, et chaque chose était un trésor qui n'attendait que d'être ravi.

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