Chapitre 1 - Le Ravissard

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Quelques mois auparavant...

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- Demandez le journal, demandez le journal ! Le "Ravissard" sévit encore et toujours, échappant à la Garde Républicaine, hurla un garçon de rue en agitant un journal devant les badauds. Le vol d'une bague de grande valeur au comte Pantalone, conseiller du Roi Jean-Hughes Macronia XVe bouscule les nobles dans leur quotidien !

- C'est combien, petit ?

Le garçon se tourna : un homme, plutôt jeune, aux longs cheveux bleus et portant des lunettes devant ses yeux jaunes, qui portait un sac de courses d'où dépassait deux gros radis. Le garçon tendit sa main :

- C'est 150 Moras, m'sieur !

L'homme lui versa la somme convenue, et prit le journal. Le garçon s'extasia devant tant de piécettes : son premier salaire ! Il allait enfin manger à sa faim...

Plus loin, le jeune bleuté lut le journal avec attention, non sans percuter les passants qui se précipitaient sûrement à leur lieu de travail. Son visage fut traversé par un éclair d'inquiétude, et tandis qu'il s'avançait vers la porte d'entrée d'une immense maison de maître. Il était préoccupé, ne prenant même pas le temps de saluer le gardien en entrant dans la cour, qui le regarda avec un air bizarre.

- Hé, Henry !

Le jeune homme aux lunettes sursauta de frayeur, faisant tomber son sac de courses. Devant une réaction aussi disproportionnée, le gardien éclata de rire.

- Toujours aussi froussard, à c'que je vois ! Mais faut pas s'inquiéter comme ça, j'vais pas t'manger.

- O...Oui, bien entendu, monsieur Dupont ! Mais vous m'avez surpris, voilà tout, expliqua Henry en ramassant son sac de courses.

Le gardien remarqua le titre du journal, et le désigna du doigt :

- Il a encore frappé, hein ?

Henry acquiesça. M. Dupont lâcha un "hmpf" avant de croiser ses bras sur sa poitrine, l'air mécontent.

- Ce sale voleur n'aura que c'qu'il mérite quand la Garde Républicaine s'occupera de son cas. Franchement, il aurait pu se trouver un vrai boulot au lieu d'effrayer d'honnêtes citoyens, finit le gardien en crachant par terre.

- Oui, il aurait pu... répondit Henry, l'air soudain pensif devant le titre du journal.

- Ah, au fait !

Henry se retourna vers le gardien, qui lui avait tendu une clé.

- C'est celle du cellier, expliqua-t-il. J'ai oublié de la donner au garçon des écuries pour qu'il aille s'occuper du Blob Anémo qui met tout sens dessus dessous. Ces bestioles sont pas très dangereuses, mais Justice sait qu'elles sont très embêtantes !

- Je lui passerais le mot, promit Henry en prenant la clé.

- Ah oui, d'ailleurs, il s'appelle comment ce p'tit gars ? À chaque fois j'oublie son nom.

- Il s'appelle Vincent. Je dois y aller, merci pour la clé !

Henry fit un signe de main en s'éloignant du gardien, et soupira quand il fut assez loin. Jetant un dernier coup d'œil au journal, il le mit dans la boîte à papiers à l'orée de la porte de la maison, et y entra.

Bien entendu, il était passé par l'entrée des serviteurs, directement sur la cuisine. Dès qu'il pénétra dans cette antre, des merveilleuses odeurs de pain chaud, de beurre, de soupe et de viande ainsi qu'une voix l'accueillirent :

- T'es en retard de deux minutes ! T'as intérêt à avoir une bonne explication !

Henry baissa la tête : la voix provenait d'un petit garçon roux avec quelques mèches blanches, au regard rouge sang et aux oreilles pointues. Sa bouche entrouverte laissait voir des dents pointues, et sa mâchoire serrée présageait qu'il n'était pas réellement. Son visage néanmoins enfantin l'empêchait de le prendre réellement au sérieux ; on avait bien plus envie de lui tirer les joues ou lui frotter les cheveux.

C'est ce qu'Henry fit, tout en minaudant :

- Oh, mais qui vois-je de bon matin ? Tu as si bonne mine, Robert, que tu pourrais éclipser l'éclat de la mer !

- Cesse tes balivernes, gronda le garçon. Tu as du pain sur la planche, littéralement. Va poser ces courses sur la table et mets-toi au travail ou je te botte le derrière.

Henry obéit, un sourire aux lèvres. Robert faisait partie du peuple des fées, sensé protéger Fontaine des menaces extérieures depuis des millénaires, et ce même avant la Guerre des Archons. Néanmoins, ces derniers s'étaient mêlés au peuple des hommes, et tout le monde avait fini par tolérer leur présence. Ils vivaient plus longtemps, étaient plus sensibles aux éléments et abhorraient les humains qui les prenaient de haut.

Henry commença à couper des tranches de pain avec vitesse et précision. Cela faisait déjà depuis 15 ans qu'il travaillait dans ce manoir en tant que chef commis aux côtés de Robert qui lui était le plus ancien employé de la maisonnée. Henry avait eu beaucoup de chance ; travailler pour un noble, même si cette résidence était secondaire, était un immense honneur et lui accordait salaire, nourriture, toit et blanchissement. La vie de rêve, quoi.

Néanmoins, Henry en avait un autre, de rêve : celui de s'engager dans les forces armées de la Garde Républicaine. Ces gens-là protégeaient les habitants de Fontaine au péril de leurs vies, et étaient tous des héros à ses yeux, surtout l'un de leurs capitaines, Brigitte Leavitt dit la "Furieuse", porteuse d'œil divin depuis son plus jeune âge et qui avait repoussé bon nombre de Brutocollinus, pilleurs de trésors et monstres en tout genre, devenant capitaine à l'âge extraordinaire de 14 ans !

Henry bavait d'admiration en pensant à son héroïne, mais fut brutalement arraché de ses rêveries par Robert qui avait matraqué son commis avec un rouleau pâtissier.

- Tu rêvasses encore ! Sois sérieux, ou je te colle au récurage des latrines !

Henry sourit, gêné, et se remit au travail, non sans jeter un coup d'œil furtif à son supérieur : il avait l'air si concentré, aucun de ses mouvement n'était superflu tandis qu'il préparait les pâtisseries du matin. En un sens, Henry admirait aussi Robert, qui était un modèle de sérieux plus abordable.

Il soupira : lui, il aimait se dire qu'il était svelte, mais en vérité il se trouvait chétif. Beaucoup trop rêveur et pas assez terre-à-terre, une fois il avait confié son rêve à Robert tandis qu'ils buvaient le vin de fin de semaine, et ce dernier s'était moqué de lui, prétextant que sans titre de noblesse, de haut-faits d'armes ou d'œil divin, il ne deviendrait jamais Garde.

Mais la seule qualité dont Henry était dépourvu, c'était l'intelligence. Et contrairement à lui, Vincent en avait beaucoup.

Comme s'il avait entendu ses pensées Robert lança :

- Tu sais où est le gouapeur de service? Je l'ai cherché partout pour lui demander d'étendre le linge, mais ce garnement n'en fait qu'à sa tête. Tsk...

- Pourquoi je saurais où il se trouv... Aïe !

- Tu es la personne avec qui il parle le plus, rétorqua sèchement le chef de cuisine. Tu es donc le plus à même à le retrouver. Vas-y, je m'occuperais du reste du pain.

- D'accord... bougonna Henry en se frottant la tête. Je file, à bientôt !

- C'est ça, et n'en profite pas pour aller salir le parquet ! cria Robert tandis qu'il montait les escaliers.

Bien sûr qu'il savait où Vincent se trouvait.

* * *

Henry ouvrit la porte qui menait au toit, et le trouva assis sur la rambarde.

Vincent était un jeune homme svelte, dans le bon sens du terme. Bien qu'élancé comme Henry, il possédait une musculature prononcée gagnée grâce aux nombreuses heures à porter le foin, l'eau et le crottin des chevaux. Le visage du garçon d'écurie était fin, ciselé comme une œuvre d'art, bien que des cicatrices gâchent son portrait. Des cheveux en bataille d'un brun chocolat au lait, et des yeux d'un vert forêt qui intimidaient Henry quand ces derniers le regardaient, semblant sonder son âme.

Vincent regardait la ville, avec un air si mélancolique que le jeune commis s'arrêta devant ce moment en suspension, observant ses yeux verts se perdre dans le vague, les cheveux au vent. Que regarde-t-il ? se demanda henry en suivant le regard de Vincent, et soupira : ce dernier regardait le château du roi.

Depuis tout petits, Henry et Vincent étaient amis, jouant ensemble à la balle ou faisant des farces à Robert (souvent organisés par le garçon d'écurie). Enfin, amis n'était pas le mot juste : complices l'aurait été. Henry se décida à bouger légèrement, mais il savait que Vincent l'avait déjà remarqué... Peut-être même qu'il a su que j'allais monter...

- C'est le linge, non ? lança Vincent, ce qui fit sursauter Henry. Son ami brun éclata de rire, et sauta de la rambarde en sa direction. Il mit la main autour de son épaule : Je m'en suis occupé, ne t'inquiète pas !

- C'est pas ce que Robert m'a dit... souffla Henry.

Vincent lui sourit, lui tapota le dos et leva son bras vers le haut pour désigner quelque chose. Le bleu leva les yeux : les cordages et le linge avaient été attachés dans une ribambelle de couleurs, comme les froufrous des danseuses de la Moulinette Rose.

- Wow, s'extasia Henry.

- En effet, confirma Vincent comme s'il comprenait parfaitement le sens de la réaction de son ami. J'ai utilisé les théories acoustiques et de tension de l'Université, et le reste c'était du gâteau !

- Quoi ? s'exclama Henry en s'écartant. Ne me dis pas que...

Vincent sortit un livre de sous sa tunique : Théorie des Vecteurs Potentiels de Tension et Force Élastique Contrôlée. Henry blêmit : il était prohibé de voler le savoir des ingénieurs, mais l'utiliser sans accord avec les Lois...

- Tu vas avoir de gros ennuis, gémit Henry. Et moi aussi, vu qu'on nous met toujours dans le même sac !

- Relax ! rigola Vincent. Je n'ai pas construit une arme à tension exhaustive avec un générateur Anémo !

Henry lui coula un regard entendu, et ce fut un regard malicieux qui l'accueillit ; Vincent savait probablement comment construire une telle arme, mais c'était bien ça le problème ! Bien qu'Henry tentait toujours de réfréner les ardeurs de son ami, aucun argument n'arrivait à convaincre l'intrépide de faire comme bon lui semblait.

- Comment tu arrives à retenir tout ça ? demanda Henry. Les trucs de "mécanique" et aussi cette "alchimie"...

- C'est plutôt simple : tu dois juste faire des analogies (le nez d'Henry se retroussa) ! Oh, je t'entends presque penser, Henry... Ce mot n'a aucun rapport avec ce que Pietro et toi discutiez l'autre soir.

- Tu...Tu nous as entendu ? rougit le bleuté.

Vincent ricana et partit vers une pile de caisses pour y cacher le livre. Le voir utiliser ses talents de prestidigitateur était certes impressionnant, mais le lunetteux était bien plus intrigué par l'ingéniosité dont le beau brun faisait preuve pour cacher des objets. Soudain, Henry remarqua...

- C'est quoi cette bague ? demanda-t-il en désignant une bague en fer rouillée au majeur gauche de Vincent.

- Oh, ça ? Tiens, regardes par toi-même !

S'approchant de la main tendue, Henry observa le vieux bijou : il était gravé de multiples symboles, notamment celui de l'Hydro qu'il avait déjà vu sur une enseigne d'alchimiste. Et malgré la rouille et l'usure, l'objet avait l'air d'être de très bonne facture.

- Où est-ce que tu l'as trouvé ?

- Je l'ai emprunté.

Henry coula un regard de reproche à son ami kleptomane, et ce dernier lui répondit par un sourire.

- Tu devrais l'enlever, lui confia le bleuté.

Vincent passa son doigt sur la bague, comme pour la caresser, avant de serrer le poing, cette fois un air sérieux qui ne lui ressemblait guère.

- Je ne peux plus la retirer.

* * *

Deux jours avant cela, la nuit

La noble tapotait distraitement la table en bois dans la vieille remise qu'elle avait magnanimement loué à un gueux. La crasse et sa poisseuse présence empestaient les lieux d'une odeur qu'elle seule pouvait sentir, et elle l'abhorrait d'une telle force que la Justice elle-même aurait dû supprimer cet endroit.

Mais il était nécessaire pour elle de venir ici, seule. Même un garde du corps n'était pas digne de confiance, et elle aurait attiré plus de soupçons. Sa seule force, c'était de se salir les mains elle-même afin d'atteindre son objectif ultime. Et dans une ville régie par des lois absurdes prônant "l'égalité"... Elle lâcha un "Tch" de mécontentement rien qu'à la pensée de ce mot.

Soudain, un bruit.

Elle se retourna, sur ses gardes. Sa main glissa sous sa robe pour toucher le manche d'une dague qu'elle gardait près d'elle ; son précepteur l'entraînait au maniement des armes depuis son plus jeune âge, elle saurait donc se défendre contre tout assaut.

Ses yeux furetaient partout, regardant les moindres recoins, mais la pénombre masquait les formes trop indistinctes. Soudain, du mouvement ; d'un coup sec, elle sortit sa dague et l'envoya voler en direction de la cible. Un bruit mat, et un miaulement craintif. Un chat déboula hors de l'ombre dans la lumière de la ville pour s'enfuir en courant.

La noble resta coite quelques instants, avant de soupirer de soulagement, et lâcha un petit rire mesquin. Elle sursauta quand une main se posa sur son épaule et qu'un murmure mielleux accompagné d'un souffle chaud se glissa à son oreille :

- Votre prudence vous honore.

Elle tourna sa tête, mais le malotru s'était déjà faufilé dans les ténèbres. Quand elle se retourna, elle le vit assis devant elle, de l'autre côté de la table. Portant une cape noire et masque qui cachait ses traits, et un grand chapeau, seul un regard vert cyanure contrastait le tout en semblant la transpercer.

- Vous êtes en retard, se ravisa la noble en reprenant contenance.

- J'ai eu un contretemps, badina le nouveau venu. Un noble dame avait perdu son chat, je me devais de lui rendre service...

La noble fit une moue dégoûtée : cet homme était sûrement le pire dans son genre, seulement son oncle lui avait confié qu'il était le meilleur dans son métier. La noble sortit une lettre cachetée d'un sceau qu'elle utilisait pour les affaires confidentielles : un griffon armée d'un hast sur un champ de fleurs.

- Voici le paiement en avance, comme convenu, expliqua la noble, mais l'homme ne bougea pas d'un pouce, son regard toujours aussi perçant. Elle continua : vous aurez le reste quand vous aurez accompli le travail, et seulement après.

Son interlocuteur ricana avec une note mesquine, agaçant profondément la noble : savait-il à qui avait-il à affaire ?

- Qu'est-ce qui me dit que vous n'allez pas m'enfler et me jeter en pâture aux Gardes.

- C'est simple : je jure sur la Justice. Lurare Veritas Respicias.

Une phrase qui hors de Fontaine était aussi utile qu'un demi-Mora. Mais lorsqu'elle prononça ces mots, un voile d'eau très fin se forma entre eux deux. Contrairement aux contrats de Liyue, ça n'était pas un serment : c'était une promesse, on jurait de ne pas mentir.

"Je ne dirais que la vérité, et seulement la vérité", tels étaient les maîtres mots à Fontaine.

Elle put presque entendre le sourire de son futur employé. Ce dernier dit à son tour :

- Credere Justicae et Judiceum

Le voile brilla quelque peu, avant de disparaître. Désormais, tant que le travail n'était pas terminé, ils ne pourraient pas se mentir, mais seulement sur le domaine de l'affaire en soit.

- Maintenant que j'ai votre parole, j'aimerais savoir : qui dois-je voler ?

- Un certain comte Pantalone. La chose à voler est une bague. Rapportez-la moi, somma la noble, et vous serez récompensé au delà de vos espérances.

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