Chapitre 4

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Je ne sais plus si cela fait dix minutes ou quatre heures que je suis éveillée. La notion du temps est totalement chamboulée. Je réfléchis à ma vie depuis un moment déjà.

Qui me voudrait du mal ? Je n’ai pas d’ennemi !

Mais surtout, où est ma mère ? Rien qu’à cette pensée, une larme, plus lourde que les milliers d’autres déversées, s’écoule lentement le long de ma joue. Elle ne tombera jamais sur le sol bétonné.

Pleurer ne résoudra rien. Paniquer non plus. Tu es dans la réalité Alice. Tu sais très bien que dans ce genre de situation, plus tu as peur et plus la folie prendra entièrement possession de ta conscience.

J’essuie mes yeux avec mon débardeur blanc, malheureusement plein de bactéries. Mais je ne peux pas penser à ça. Fuir reste la priorité numéro un. Trouver une issue.

Ou s’en créer une.

Je tente de me calmer, de rationaliser. Ma respiration n’est pas fluide, mais je parviens tout de même à atténuer ses tremblements. J’éponge mes mains collantes sur le bas de pyjama noir que je porte et me touche le nez, réflexe inutile que je fais par forte bouffée de stress.

Une porte en métal, seule sortie évidente, me barre la route. Je remarque une trappe métallique, ressemblant à une chatière en beaucoup plus petit. Il est évident que mon corps ne passera pas, même si je suis plutôt fine. Plus par vérification qu’autre chose, j’appuie et tire dessus à plusieurs reprises. Verrouillée.

Mon regard bascule de cent quatre-vingts degrés et s’appose sur la fenêtre que je rouais de coups un peu plus tôt. Mon corps pourrait se faufiler, mais je n’aurai pas assez de force et de souplesse pour me hisser dehors. D’autant plus que je mesure à peine un mètre soixante.

Pourtant, une chose m’interpelle. Je n’ai pas froid alors que je me trouve proche de l’extérieur. Certes, la pièce est peut-être bien isolée, mais nous sommes tout de même fin novembre. La fraîcheur revient doucement. Cela signifie que je suis enfermée dans une maison qui est habitée. Assurément. Si nous allons encore plus loin, cela sous-entend que la personne qui m’a emprisonnée ici souhaite me préserver. Pour me voir me détériorer à petit feu ? Je l’ignore. Tout est envisageable.

D’un certain point de vue, je suis rassurée. Si une occasion se présente et que mon agresseur baisse sa garde, je trouverais peut-être un moyen de me sortir de ce pétrin.

En levant ma tête au plafond, je distingue une toute petite grille d’aération. Dans les films que je voyais à la télé, les survivants s’échappaient généralement par là. Mais leur conduit était souvent beaucoup plus grand !

Je suis réellement piégée dans cette pièce infâme. Je pose brusquement un doigt sur ma tempe droite et fronce les sourcils. La douleur est fulgurante. Imprévue.

Un flash me fait chuter. Un deuxième. Une succession d’images plus incongrues les unes que les autres défilent devant mes yeux, formant un épisode de ma mémoire que j’avais oublié. Jusqu’à aujourd’hui.

Je vois une baignoire remplie d’eau qui déborde. Les images sont filmées à quelques centimètres au-dessus du sol carrelé, pas plus. Mon cœur s’accélère. J’avance lentement. L’eau atteint mes mains. Je glisse sur le sol. Me sens m’étouffer, puis parviens à me mettre sur le dos. Mon souffle manque dans la petite salle de bain. Le son de l’eau qui coule abondamment m’angoisse.

Mes yeux fixent la fenêtre fermée par de puissants volets en bois. J’entends des cris. Les miens. La voix est très aiguë.

Derrière moi, une agitation. Ma mère qui m’appelle. Sa voix n’est pas celle que je connais aujourd’hui. Elle semble artificielle, incontrôlée. Puis une explosion jaillit alors que l’eau s’infiltre dans mes oreilles. Elles bourdonnent. Me font souffrir.

Une pression vient appuyer fermement au niveau de mes côtes, puis mes yeux s’élèvent d’un bond mètre en quelques secondes. Je reconnais, malgré mon jeune âge, les cheveux blonds et gras de ma mère, soutenant un visage tuméfié de bleus. Additionnez l’effroi de cette image avec des cernes tombants et une bouteille de Vodka dans la main.

Ce souvenir précis, sans doute exagéré par mon esprit, mais au fond véridique, m’arrache un aboiement de terreur ; maman m’a oubliée dans la salle de bain lorsque je n’étais encore qu’un bébé ! D’où venaient ses contusions ? Et l’alcool dans tout ça ? Trop de questions sans réponses.

Une boule fulgurante me contracte les poumons. Je n’arrive presque plus à respirer. Je suffoque.

Calme-toi Alice, ce n’est qu’un souvenir.

Cette fois-ci, je ne parviens pas à me maîtriser. Je m’affaisse contre le mur du fond et tente de reprendre mon souffle, comme un asthmatique après avoir couru dix kilomètres. Une chaleur infernale se propage dans mon cerveau en même temps que des vertiges. Je me sens partir. Rejoindre un monde meilleur, à l’extérieur de ma prison. Puis les sensations s’atténuent doucement.

Je reste à terre pendant de nombreuses minutes sans bouger. Je ressens de nouveau mes différents membres. J’ai bien cru y passer.

C’est à ce moment que je comprends pourquoi toute ma vie ma mère m’a interdit de nager. Ou en tous cas, d’apprendre. Elle voulait éviter que les souvenirs reviennent et que j’en crée une peur. J’ai toujours imaginé qu’elle avait vécu un évènement traumatisant étant plus jeune et que cette interdiction s’agissait plutôt d’une surprotection sévère. Je m’étais lourdement trompée.

Mais ce jour-là, une autre phobie était née. Elle n’avait rien à voir avec l’eau. Surtout que je ne l’ai pas dit à ma mère mais, avec mes copines, certains samedis, j’allais à la piscine pour apprendre quelques mouvements. Je n’avais aucune difficulté à me maintenir à la surface. Aucun stress.

Non, ce jour-là, autre chose avait émergé des entrailles de l’horreur. La claustrophobie avait enraciné mon esprit. Aujourd’hui, les germes jaillissent hors de la terre.

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