Chapitre 2

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Grand et élancé, presque maigre, il s’avança de quelques pas en regardant sa montre. Sa chevelure argentée soigneusement peignée en arrière était embrasée par la lumière du soleil couchant, le couronnant d’un diadème ardent. Il avait bien entamé la cinquantaine, peut-être même la soixantaine. Son visage effilé était marqué par l’âge, de fines rides couraient aux commissures de ses lèvres, lui conférant un air sévère, amplifié par ses joues creusées. De loin, sa face semblait sculptée dans le marbre, à l’exception de deux prunelles bleues océan, étincelantes comme des saphirs. Il dégageait un charme étrange, intense. Le regard sûrement, si profond, si ténébreux qu’il devait être atrocement facile de s’y noyer. Esther estimait qu’il avait dû être splendide lors de sa jeunesse. Il approcha de l’accueil d’une démarche mesurée qui fit jouer les ombres sur son costume clair, chacun de ses gestes mus par une précision animale, hypnotique. Derrière lui se pressait discrètement une magnifique jeune femme, comme toujours, délicate présence mutique qui paraissait ne jamais quitter ses côtés. Il salua à peine les deux employés, et sans même leur accorder un coup d’œil, donna son nom et sa carte bancaire avant d’attraper la clé qu’Esther lui tendait. Elle bredouilla un vague « Bon séjour ! » un peu trop aigu, et tandis qu’elle rougissait bêtement, l’homme repartit sans un mot vers les profondeurs de l’hôtel.

  • Il n’est pas très aimable ce bonhomme, grommela Nicolas une fois que le couple eut quitté le hall.
  • Certes, acquiesça Esther. Mais sois poli, s’il te plaît, c’est un client régulier. Il ne parle jamais beaucoup, mais il donne de bons pourboires.

Esther hésita un instant avant de reprendre.

  • Enfin, le plus étrange reste la nana qu’il traîne à ses basques, je ne l’ai jamais entendu prononcer un mot depuis que je bosse ici. C’est assez flippant.
  • Pas remarqué, marmonna Nicolas avant de se replonger dans un magasine de sport qu’il gardait caché dans un tiroir.

Esther tourna dans la tête vers les ascenseurs dans lesquels l’étrange duo avait disparu. Elle était consciente d’avoir développé une affection confuse à l’endroit du mystérieux vieil homme. Il n’avait jamais échangé plus de trois mots avec elle, mais cela n’avait jamais refréné le curieux sentiment de proximité qu’elle ressentait en le voyant. En revanche, la silencieuse demoiselle qui l’accompagnait lui provoquait des frissons dans le dos. Cette dernière avait l’air très jeune, bien en dessous de la trentaine, et le suivait comme une ombre. Très pâle, des lèvres sensuelles figées en une moue dédaigneuse, elle était indiscutablement belle. Sa longue chevelure ébène lui caressait la poitrine, contrastant avec les fines robes blanches quasi transparentes dont elle s’affublait régulièrement. Au début, Esther pensait que c’était certainement là une énième croqueuse de diamant qui avait mis avec succès le grappin sur un « silver fox » fortuné. Après tout, elle en avait vu passer plus d’une ici, la chose était courante. Mais elle avait surpris des regards qui ne trompaient pas. Elle l’adorait, c’était indéniable. Depuis six ans, elle la voyait chaque année dévorer son amant des yeux avec passion, indifférente aux nombreuses décennies qui les séparaient. Quant à lui, il semblait presque l’ignorer. Il avait fallu du temps à Esther avant qu’elle ne remarque la façon dont il s’assurait qu’elle était toujours à ses côtés, d’un geste furtif ou d’un timide coup d’œil, comme s’il avait constamment peur de la perdre. Il lui souriait alors, du coin des lèvres, la pupille étincelante, et tout son être s’illuminait fugacement, comme un éclair masqué par une mer de nuages. Une histoire follement romantique avait l’air de se cacher derrière ce tandem incongru. Esther se plaisait à visualiser le vieil homme en agent secret revêche, fuyant le déshonneur et ses ennemis avec l’espionne russe dont il était tombé éperdument amoureux. Peut-être une royauté déchue, qui, faisant fit des scandales, avait tout quitté pour une jeune domestique ? Ou encore un…

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