La boîte à cigare

2 minutes de lecture

Fichue crise de la quarantaine ! Encore une fois, Nathalie était partie en claquant la porte. Encore une fois sans doute, elle irait se plaindre quelque jours sur l'épaule de sa mère du manque d'ambition d'André. Malgré ses 46 ans révolus et ses deux grossesses, Nathalie était toujours une très belle femme : petite brune nerveuse et élégante, à la langue aussi acérée que ses talons aiguilles. Belle... et ambitieuse, trop ambitieuse. "PFFFF, le Rotary", soupira André en ouvrant le réfrigérateur "Quelle foutue connerie de m'as-tu-vu, encore !".

Depuis quelques mois, c'était devenu le sujet principal de leurs disputes, et le motif de ses départs claironnants. Mais cette fois, André n'en démordrait pas : il avait accepté les vacances à Saint-Tropez plutôt qu'à Belle-Ile, signé docilement le chèque de la berline allemande toutes options - "il faut bien montrer ton statut, allons !"- qui remplaçait la vieille Laguna dans le garage ... mais postuler pour un club de ronds-de-cuir bedonnants et hautains, ce n'était définitivement pas pour lui. Lorsqu' André était devenu associé principal, Nathalie s'était soudain prise d'une frénésie de luxe et de démonstration tapageuse de leur statut social qui le laissait bouche bée. Cela dit, elle avait toujours été si soucieuse de sa propre image : Même après l'amour, André ne se souvenait pas l'avoir jamais vue décoiffée. Il avala sans trop y penser quatre oeufs sur le plat –et merde pour le cholestérol !- tout en évoquant une autre chevelure, toujours ébouriffée et attachée à la diable.

En disposant ses couverts dans le lave-vaisselle, il était perdu dans des souvenirs vieux de plus de vingt ans. :

Jeune stagiaire dans le service juridique d'une entreprise d'assurance, en revenant du réfectoire, il avait retrouvé un post-it rose sur l'écran de son ordinateur :

"Rendez-vous demain à 11h 45 en salle de pause." Le message était suivi d'une petite tête souriante -à l'époque, personne ne parlait encore de "smiley"- et rédigé d'une grande écriture carrée qui le laissait perplexe. Après une courte nuit pleine d'interrogations, il avait décidé de ne pas se rendre au mystérieux rendez-vous... mais sa curiosité avait été la plus forte : à 11h50, il quittait son bureau et se dirigeait vers ce qui était pompeusement baptisé "espace-détente" : une petite pièce aveugle, équipée d'une cafetière électrique et d'une fontaine à eau.

Là, deux jeunes femmes papotaient gaiement. En le voyant arriver, la petite blonde s'était levée, puis avec un air de conspirateur, avait dit : "Bon, je retourne au standard, le téléphone ne va pas répondre tout seul !".
La plus grande avait fixé André quelques instants avant de faire un sourire radieux, et en secouant ses boucles indisciplinées, lui avait dit "Alors, tu as osé ?"

Assis à son bureau, André ouvrit le tiroir du bas et s'empara d'une jolie boîte à cigare recouverte de galuchat. Ayant sorti la clef de sa cachette, il l'ouvrit, et en sortit une petite liasse de lettres, avec, sur le dessus, un post-it rose délavé. En compulsant les différentes feuilles couvertes d'une grande écriture carrée, il se décida à saisir "pages jaunes" dans la barre de recherche du navigateur. Il savait qu'elle avait changé de vie après leur séparation...


Dans l'atelier, le tour à bois sifflait et faisait pleuvoir des copeaux jusque dans la tignasse bouclée. Se reculant afin de trouver un nouvel angle d'attaque pour la pièce qu'elle travaillait, Dominique entendit enfin la sonnerie du téléphone retentir.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Orchidoclaste ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0