Un autre monde existe sous la surface, une autre terre dissimulée sous les eaux, comme un continent caché et oublié, protégée par une masse astronomique de liquide dense et salé.

Mathias dépassa le feu du Mengant planté à 15 mètres du sol, et se dirigea vers le "tombant de la pointe Renard". Trois éclats blancs et rouge toutes les douze secondes, constituaient sa signature et le rendait visible jusqu'à douze milles géographiques. Il avait longé le goulet de la rade presque jusqu'à sa limite, entre la baie de Roscanvel et le "Petit Minou".

Il stoppa son embarcation au-dessus du tombant, connu des plongeurs pour descendre jusqu'à quarante mètres. Pas aussi impressionnant que son voisin, le "tombant des Belges", qui lui, s'enfonçait à plus de cinquante mètres.

Il revêtit tranquillement et méthodiquement, sa combinaison épaisse de sept millimètres et vérifia son matériel méticuleusement. Il sortit de l'étroite cale du bateau le sac contenant le corps de sa dernière victime. C'est là qu'il l'avait laissé, après lui avoir broyé la trachée.

Une fois équipé, muni d'une grosse lampe torche et d'une boussole, il bascula dans l'eau, son fardeau dans les bras et commença sa descente.

C'était presque un cérémonial, une offrande religieuse aux profondeurs et au silence. Il savait qu'il devrait respecter les paliers de décompression en remontant : aucune importance !... Il accomplissait une oeuvre, un rite sacré et ça n'avait pas de prix.

Armé de sa boussole, il sortit de la zone fréquentée par quelques rares plongeurs initiés et déposa le sac lesté de plomb sur le fond. Il sentait la force du courant s'exprimer, comme une présence vivante, un fluide vital concentré.

Il resta un moment immobile dans le flux, avant d'entamer la lente remontée.