Résignation

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Je m’étais résignée à ne pas me prendre la tête, mes amis devaient avoir raison. Le travail, c’est pour le salaire. Sinon, tu resterais tranquillement chez toi à bouquiner et flemmarder. Ils ont l’air heureux, eux. Moi aussi j’ai droit au bonheur, donc je vais enfiler des œillères et faire simplement mon job en respectant le programme en cherchant un autre poste au plus vite. Mais mes bonnes résolutions ont vite été brisées quand, dans la classe, le gamin qui avait été puni est entré. Je n’ai pas su ne pas le défigurer. Ce n’était plus le même enfant. Son séjour l’a transformé en zombie. Cerné, le regard vide, il est resté à sa place sans intervenir de tout le cours. Il n’a pas émis la moindre remarque, pas la moindre petite blague. Était-il sous calmant ? J’imagine que oui, mais j’irai vérifier plus tard. Je n’arrive pas à faire abstraction de son état. On dirait qu’il a été lobotomisé. Je n’en reviens pas. Mes limites ont encore une fois été franchies allègrement. Après le cours, j’essaye de croiser mon responsable, mais il n’est pas dans le bâtiment. En retournant à la cafétéria, un collègue est en train de manger des pâtes à la sauce tomate. Même si je n’ai aucun appétit, je vais me chercher la petite salade que je m’étais préparée et m’installe pas très loin de lui. Il n’a pas l’air trop surpris. Tiens, tu te décides enfin à venir manger avec tes collègues. Je le baratine avec quelques arguments pseudo sociaux et lui montre que j’ai envie de m’investir dans le poste qui m’a été confié. Ça a l’air de fonctionner, j’ai l’impression d’être crédible. Je continue sur ma lancée. Je lui propose un café qu’il accepte. On va fumer une clope ? Il accepte mon invitation. Café, clope, un duo inséparable qui permet, à chaque fois, de mettre les fumeurs d’accord. Arrivés dehors, je lui demande s’il avait vu l’état dans lequel était le gamin.

-C’est une première pour toi, on dirait.

-Oui et cela entraîne une tonne d’interrogations en moi.

-Je comprends, mais ça va passer, tracasse.

-C’est juste surprenant. En fait, quand les gosses se retrouvent dans le mitard, ils sont tellement énervés qu’ils ne mangent pas, ne boivent pas, ne dorment pas, après 3 ou 4 jours, ils finissent par chialer leur mère et s’endormir de fatigue. Quand on les sort de là, on les came à morts histoire d’avoir la paix quelques jours. Ils peuvent reprendre un rythme normal après quelques jours. C’est puissant la dose qu’on leur injecte.

-Aberrant tu veux dire ? Le gars, il a été puni parce qu’il avait sur lui un bout de shit. Juste du cannabis et pour le sanctionner, on le shoot avec une drogue beaucoup plus dangereuse ?

-Non pas de la drogue, ici c’est de la médecine, c’est un calmant.

-OK et ça arrive souvent ?

-Dès que c’est nécessaire.

-Ben merci, comme ça je suis au courant.

-Pas de quoi te formaliser, tu sais, ils n’en valent pas la peine.

-Je le remercie en écrasant ma clope et retourne dans le bureau partagé.

Putain de putain… Mais où suis-je encore tombée?

Les jours suivants m’ont bien démontré que les effets du produit qu’ils lui ont injecté diminuent progressivement. Au bout d’une semaine, il parle presque normalement. Mais pas comme avant. Il ne lâche plus de feinte, ne sourit plus. Il est là sans être avec nous. Il fait ce qu’on lui demande, juste ce qu’on lui demande. La petite étincelle qui était dans ses yeux a disparu. Et c’est ce jour-là que je me suis fixée l’objectif de lui faire retrouver le sourire et ce même dans cet environnement. Cela n’est pas facile. Mais au moins, j’ai une motivation pour continuer à travailler dans cette boîte.

Jour après jour, je teste différentes approches. Je lui pose des questions, je m’intéresse à lui, j’essaye de renouer le dialogue et de réinstaller un climat de confiance. Mais tout cela est vain. Je cherche dans la bibliothèque pédagogique des pistes que je n’ai pas encore explorées. Je consulte aussi beaucoup de sites canadiens, mais sans succès.

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