Je retrouve les roches abruptes d’Andamarca, un village péruvien où je séjourne plusieurs semaines avec quatre étudiants de mon école. On vient aider une association locale qui œuvre pour le développement du village.

Un weekend, Zozo nous emmène avec des ânes camper à l’hôtel des mille étoiles. Zozo c’est un peu notre maman ici, elle nous fait le petit déjeuner le matin et elle s’investit beaucoup pour la communauté. Elle est née dans ce village mais l’a quitté très jeune parce qu’une déformation aux jambes l’empêchait de marcher. Ses parents l’ont envoyée à Lima dans une famille suisse pour qu’elle puisse être soignée. Elle a grandi là-bas et a recommencé à marcher après des années passées à l’hôpital. Elle est restée là-bas pour travailler, jusqu’à ce qu’elle ait assez d’argent pour s’acheter une maison à Andamarca et rentrer dans son village.

Elle ne marche pas très vite Zozo, surtout qu’elle boite toujours un peu. Mais sur les longues distances elle nous devance inévitablement. Infatigable, elle grimpe les montagnes de son rythme régulier et ne s’arrête que pour nous laisser le temps de la rejoindre. Elle nous regarde vider nos gourdes en souriant avec bienveillance, semblant puiser ses réserves dans une bosse de dromadaire imaginaire. Ses yeux sont doux et plein d’une sagesse qui n’inspire que la gentillesse.

Cette nuit-là, on dort dans un ancien enclos à lama, un carré dans un pré délimité par de petits murs de pierres empilées. Les mille étoiles sont bien là, le ciel est dégagé. Le matin on mange des pommes de terre cuites au feu de bouses séchées pour accompagner les truites que notre guide péruvien a péché dans la rivière qui longe le pré.

Je fais de belles rencontres et je prends plaisir à découvrir le Pérou avec mes compagnons de route. J’admire les montagnes majestueuses, le vol des condors et la vue du Machu Picchu. On boit de la piña colada au bord du lac Titicaca et on visite aussi la Bolivie, ce qui inclut de nombreux séjours dans des toilettes de toutes sortes.

Pourtant je n’arrive pas à profiter pleinement de ce voyage, l’absence de Chris me pèse un peu plus chaque jour. J’aimerais partager ces moments avec lui, qu’il voit ça lui aussi… Pour compenser je l’appelle tous les jours et je tiens un journal que j’écris le soir pour lui raconter mes journées en détail.

Avant de rentrer en France, je passe rendre visite à mes parents et à Antoine qui vivent maintenant en Equateur. Je pars de La Paz en Bolivie, j’ai une escale au Pérou et une autre en Colombie avant d’arriver à Quito. Je passe cinq heures à somnoler sur un banc, dans un hall quasi-vide de l’aéroport de Lima. C’est un de ces bancs à quatre places avec des accoudoirs conçus pour empêcher les gens de s’allonger. Je m’allonge quand même, le dos tordu et les jambes repliées, ma tête entièrement camouflée dans un foulard surmonté d’un chapeau en feutre péruvien. Mes écouteurs diffusent une musique douce à mes oreilles, je pense à Chris et j’essaie tant bien que mal de faire abstraction de l’inconfort de la situation.

Pour la suite de l’expérience internationale, je cherche un stage en Europe pour revoir Chris régulièrement. J’opte pour Amsterdam, une ville qu’on a déjà eu l’occasion de visiter lors de weekends en amoureux. On apprécie ses canaux, ses vélos et ses savoureux bédos. Je travaille dans une startup et je vis dans un container aménagé en studio. Je passe de bons moments avec mes collègues. Chris vient me voir de plus en plus souvent jusqu’à s’installer carrément. Ses angoisses obsédantes le rongent toujours de l’intérieur mais il profite un peu plus de la vie que dans le gris de Cergy.