74. Alice

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Je me retrouve transportée au-dessus de l’île de Marajó, à l’embouchure de l’Amazone, là où le fleuve rejoint l’Atlantique. Il fait nuit, je suis allongée dans un hamac entre deux arbres. Mes parents dorment dans la chambre de l’auberge à quelques mètres de moi.

J’observe les étoiles, j’écoute les bruits de la jungle qui se mêlent aux roulements des vagues et je pense à Chris. Je rêve qu’il me rejoigne, qu’il s’allonge tout contre moi et qu’il m’enlace tendrement. En regardant la Lune je me dis qu’il peut la voir aussi, que nous sommes reliés par ce rayon de Lune.

Un son s'élève soudain, une douce mélodie qui enfle et occupe peu à peu tout l'espace. C’est un chant d’une mélancolie si profonde que je frémis dans la chaleur tropicale de la nuit. Je tends l’oreille et reconnais les intonations exaltées d’un chœur religieux. Ce sont des dizaines de femmes qui chantent dans l’église du village de pêcheur que j’ai visité avec mes parents dans l’après-midi.

Elles s’adressent d’une même voix déchirante au dieu qu’elles imaginent. Elles chantent à sa gloire car c’est grâce à lui qu’elles acceptent leurs vies de misère et de souffrance. Parce qu’il est bon et juste, elles croient qu’il ne peut pas laisser faire ça sans rectifier le tir. Alors elles clament haut et fort qu’elles attendent une vie meilleure après la mort.

Je comprends mal cette ferveur. Pour moi, la religion est surtout un bon moyen de faire accepter l’inacceptable aux plus faibles pour mieux pardonner l’impardonnable aux plus forts. Ces femmes sont résignées à subir leur condition et n’attendent que la mort pour s’en libérer… et si elles avaient raison ?

Je me laisse porter par leur chant, le regard plongé dans les étoiles. Je suis touchée par la pureté de leurs voix, la foi inébranlable et l’espérance aveugle qui les animent. Ce n’est pas à dieu que ce chant s’adresse. C’est à l’humanité tout entière, à la Terre et au cosmos. C’est un appel, un message d’amour et d’union pour mon cœur qui s’ouvre à mesure qu’il capte ses vibrations. Mon âme se détache petit à petit de mon corps et s’en va rejoindre les âmes de ces femmes, mes sœurs.

J’ai l’impression de communier avec elles. Je me sens si proche à présent que je ressens l’humanité profonde de chacune d’elles. Malgré mon enveloppe charnelle, j’éprouve un sentiment d’unité absolue avec ces femmes, mais aussi avec toutes les femmes de la Terre, tous les hommes de tous temps et les arbres, les dauphins et chaque être vivant jusqu’aux pierres, aux océans, aux mers et aux volcans…

Je souris en me revoyant toucher du doigt la sensation d’unicité qui ne m’a pas quittée depuis mon retour dans l’au-delà.

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