LA TOILE

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Deyn n’a pas dormi depuis trois jours. La semaine a été rude. Le travail, sa récente séparation et cette toile qui l’obsédent. Le monde sort progressivement de la torpeur hivernale. Les premières feuilles ornent timidement les branches dénudées par l’hibernation de la végétation. Les griffures noires sur fond blanc s’effacent du paysage de gravure monochrome, laissant place aux couleurs printanières enveloppant l’atmosphère d’une de toile de Monet. L’artiste retrouve le plaisir de la solitude. Une brise fraîche lui caresse la nuque tandis qu’il se tient debout, imperturbable au dessus de son œuvre : un puzzle de couleurs et de courbes dansant sur un fond bleu-nuit, telle une nébuleuse à l’aube de sa création. Une étoile est morte libérant l’espace pour une entité plus vaste, plus profonde, plus lumineuse et expansive. Méditer sur les derniers événement survenus dans son existence, Deyn n’en a pas envie. A quoi bon ? Il ne veut pas gâcher son énergie à se remettre en question. Quelque chose de plus intense lui prend les tripes. Il doit l’exprimer. Seul, au milieu du royaume bitumineux de cet immense terrain vague, ces peintures, cette toile à ses pieds, il a la sensation de vivre un moment hors du temps. Les balbutiements d’un univers inexploré lui chuchotant ses premiers émois.

Le soleil descend sur l’horizon. La luminosité commence à manquer. Gilmore doit rentrer. Le crépuscule monte doucement, enveloppant le monde de son voile bleu argenté. Ses mains et ses vêtements maculés de peintures, le pans de lin à l’arrière de sa voiture, il éprouve une satisfaction emprunte d’une légère frustration. Il reste beaucoup à faire. Son œuvre n’est pas aboutie. Cependant il émane d’elle une promesse mystérieuse, une lucarne sur une dimension différente, dont il serait la clef. Sa frustration grandit à mesure qu’il s’approche de chez lui. Demain, après le travail, il devra racheter de l’acrylique et n’aura donc pas le temps de continuer son ouvrage.

La lune brille au dessus des bâtiments entourant le terrain. Le temps semble n’avoir aucun impact sur l’atelier improvisé de Deyn. Comme une image figée sur un écran. Une ombre surgit de nulle part traverse soudain la friche. La silhouette tourne quelques instants autour des traces laissées par l’artiste à l’endroit où il peint, puis disparait aussi soudainement qu’elle est apparue.

Une pluie battante s’acharne sur le pare-brise du véhicule de Gilmore qui rentre de l’usine, déçu de ne pouvoir continuer sa création. Deux jours se sont écoulés depuis qu’il a racheté de la peinture. Le climat ne semble pas vouloir s’appaiser. L’ambiance a été tendue au boulot, ce matin-là. Deyn, pressé de rentrer se reposer, a de plus prévu d’aller au Domino Sugar. Son groupe préféré y donne un concert ce soir-là dans le cadre de sa tournée européenne, pour la sortie de son nouvel album. Le goût amer laissé par la pression au travail s’atténue à l’idée de se détendre en écoutant du bon son, avec une bonne bière et quelques bons amis d’enfance. Domino Sugar, cette vieille fabrique de tissus transformée en pub-theater accueille la scène musicale de tous horizons. Son atmosphère particulière et chaleureuse où les stars se fondent dans la masse de fans, en toute simplicité. Un endroit où la célébrité retrouve son humanité, où le public se sent privilégié.

Oswin Osborne, chanteuse et leader du music-band Wild Anarchist adore mélanger les genres. Elle est particulièrement fière de leur troisième album. Un mix audacieux de Reggae et de space rock. Surprenant.

La foule est chaude ce soir-là. La jeune femme se sent quelque peu nerveuse de présenter son dernier « bébé ». Elle n’en est pas à sa première tournée. Cependant, cette fois-ci, Oswin se retrouve « de l’autre côté du miroir », nerveuse de jouer sur la scène mythique qu’elle a toujours rêvé de fouler. La jeune femme ayant passé son adolescence à fréquenter cet endroit à l’aura magnétique. Le public scande le nom de son groupe. Osborne se jette sous les projecteurs.

Deyn sirote sa bière, sourire aux lèvres. Une bonne soirée depuis longtemps bien méritée. Les Wild Anarchist se sont déjà produits sur les scènes les plus populaires du Royaume Uni, mais Gilmore vivait en Nouvelle Zélande, à cette période. Quelle surprise qu'à son retour à Edimbourg son groupe préféré donne un concert au Domino Sugar. Ce lieu mythique qui marqua la jeunesse de tous ceux de sa génération.

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