L’enfer est pavé de bonnes punitions

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 Ma salle de bain a l’acoustique d’une petite salle de concert. J’aime y entendre le bruit de l’eau qui coule dans la baignoire. J’aime entendre le bruit du robinet d’eau qui s’écoule dans une baignoire qui se remplit. Je m’arrange pour y être quand elle se remplit et parfois passe les oreilles sous l’eau. Le bruit y est tout aussi agréable. J’aime les caresses du bout des ongles sur la peau et cette sensation de bulles de savon, d’eau chaude et de mélopée onirique m’en donne l’équivalence. Je ferme les yeux pour écouter mon souffle et mon cœur battre. Parfois, avec un peu de chance, j’arrive à m’endormir quelques minutes avec la délicieuse sensation de rendre visite à mes souvenirs. La béatitude de ces moments me rassure de nos tristes vies. Je pourrais y terminer la mienne ainsi, entre ciel et terre, le cœur léger qui flotte dans le bain moussant.


— David, tu me fais de la place ?


Ellie m’avait rejoint nue comme au premier jour. J’étais chanceux, me dis-je, de la voir ainsi. Elle transpirait le désir et m’affolait les sens.


— Viens te caler contre moi et ferme un peu les yeux.


Ma queue reposait sur ma cuisse et je sentis le contact de ses hanches et son dos vint bientôt à la rencontre de mon torse. Je passai une main entre ses reins et l’autre sur un sein. Les yeux fermés et la tête en arrière, je repartis dans mes souvenirs avec une impression de quiétude maternelle oubliée depuis des années. Les rêves affluaient, tous plus réels les uns que les autres à peine mes paupières closes. S’endormir de cette façon est du pain béni pour un rêveur. Ellie avait niché son visage contre mon épaule pour y épouser mon souffle. Nous dormions paisiblement, seuls face au monde de dehors, bercé d’un amour naissant. Au réveil, nous refîmes l’amour dans la baignoire, les yeux mi-clos de façon suave et ralentie. On se fit livrer à manger, ancré bien au chaud sur mon lit, où la musique se jouait du son de la télé. Je repris Ellie une troisième fois en attendant le livreur. Je ne débandais pas et il suffisait à nos corps de se croiser pour être dévorés par le désir. Notre indien arriva, le plat, pas le livreur, et l’on trouva un film à balancer sur l’écran avant de se ruer la bouffe.


— Il était une fois en Amérique, ça te va ? C’est un classique. C’est beau, ça dure quatre heures et onze minutes en version longue. Ça nous laissera le temps de nous endormir.

— Mets ce que tu veux, David, je ne vais pas faire long feu moi, me répondit Ellie.

— C’est parti pour Leone. J’adore ce mec. J’aime beaucoup Morricone aussi. Quel talent !

— Connais pas et je m’en tape.

— Hum, jeunesse d’abrutis. Bref, on ne va pas tout foutre en l’air maintenant.


Je ne m’attardai pas sur les réflexions d’Ellie et la pris sur mon torse, l’une de ses cuisses sur les miennes avant de lancer mon film. Je le suivis avec des yeux d’enfant. Les décors, la musique, la narration…

               À ma gauche se tenait le cercueil de Sonia, orné d’étoffes et de fleurs. Devant moi, un pupitre sur lequel j’avais posé mon texte et sous mes yeux, une foule de personnages haut en couleur. Ellie était au milieu de tous, le regard posé dans le mien et attendait que je prenne la parole. La savoir ici me donna du courage et je commençais d’une voix sereine.

Sonia était mon amie.

Elle m’a sauvé la vie à de nombreuses reprises et par divers moyens. J’ai conscience des affres de l’existence dont nous nous jouions régulièrement. J’ai conscience aussi que tout ceci ne peut durer éternellement. D’autres sont partis avant, je pense à son mari, dans la fleur de l’âge, il y a quelques années déjà. Elle ne laissera aucun enfant derrière elle, peu de famille également, mais une œuvre citadine, nocturne, festive, amicale, altruiste et bienveillante. Ce n’était pas la plus présentable aux yeux de beaucoup. L’honnête homme ne perdant pas de temps avec un semblable qui d’allure ne s’y prête pas ou peu. Ou en cachette. En secret, la nuit tombée et les volets clos. L’honnête homme adore Sonia autant qu’il la déteste. C’est un peu comme avec sa femme et ses enfants, mais je m’égare. Ce que j’essaie de vous dire…

Je fus stoppé net par une petite main sortie de sous le pupitre qui tirait sur mon pantalon à la manière d’un môme insistant. Je baissai la tête furtivement, la trouille au ventre, glacé d’effroi à vite essayer de comprendre ce qu’il se passait. Je pris la main dans la mienne aussi discrètement que possible et continuais ;

Ce que j’essaie de vous dire est pourtant simple. L’habit ne fait pas le moine. Sonia était une sainte au service d’ordinaires bourreaux. Ils lui ont tourné autour tout au long de sa vie. Elle les accueillait avec patience et tranquillité, soignant leurs plaies au détriment des siennes. Sonia avait quelque chose qui…

La petite main ressortit de sous le pupitre, accompagnée de sa jumelle, toutes deux gauchères et en chœur, reprirent leur jeu et tirèrent de concert sur mon pantalon. L’idée de balancer un coup de savate au hasard sous le bordel me vint et sans autre forme de procès, je m’en donnai à cœur joie. 

Prenez ça dans les dents, salopes ! Je me repris, et je repris ;

Sonia avait quelque chose d’envoûtant, de puissamment humain, et j’ai idée qu’elle soit accueillie de la plus jolie des façons là-haut. Elle veillera maintenant sur nous, pauvres pécheurs, entre les mains de Dieu, assise à sa droite.

Et puis ce fut une langue effilée qui vint s’enrouler autour de ma jambe, suivie de sa frangine qui m’entoura l’autre. Je manquai de tomber et commençais à vaciller sérieusement. Je leur avais bourré la gueule trop fort tout à l’heure et elles revenaient à l’assaut déterminées. Langues de serpent, de vampires, que sais-je, j’allais crever salement pendant mon discours dans la maison du Seigneur. Mes deux succubes s’en donnaient à cœur joie et avec une dextérité surprenante, réussirent à ouvrir ma braguette pour y plonger leurs perfides bifides et m’entourer les cuisses. Cette fois-ci, j’étais bon pour y passer. L’assemblée ne pipait pas un mot et attendait sagement la fin de ma tirade.

Deux minutes, s’il vous plaît, réussis-je à articuler.

Accroupi devant ces horreurs, je pris la première langue aperçue et tirai un grand coup dessus des deux mains dans une direction opposée l’une de l’autre pour m’en détacher. La langue se déchira d’un coup sec et j’entendis, sous le pupitre tapi au fond, un cri de rage qui n’augurait rien de bon pour la suite. Je choppai la deuxième et lui réservai le même sort.

Salopes ! Hurlais-je. Puis ce fut un geyser de sang qui partit dans tous les sens et me frappa le visage avec une violence inouïe. Je fus aspiré sous le pupitre, face à mes démons, noyé de leur venin. Je tentai d’abord de hurler, mais aucun son ne sortait de ma bouche. Je voulais fuir par tous les moyens, me sauver de ce pupitre infernal tandis que le sol maintenant s’ouvrait vers les enfers et que mes deux gardiennes m’y entraînèrent d’un ricanement dément. À mon tour je disparaissais.

Sonia ! Sonniaaa ! Onia ! Onn’ia ! Ahhh !


— David ! Réveille-toi ! Réveille-toi bordel ! C’est un cauchemar, c’est juste un mauvais rêve, juste un mauvais rêve…


Ellie accompagna ses paroles de tendresse maternelle, et contre son cœur, tout contre, je reprenais vie pour me rendormir en pleurant.

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