Le Diable Rouge

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 Je rentrais chez moi dans une espèce de torpeur malsaine. Mon torse convulsait intérieurement et mes côtes tremblaient de concert. Ces soubresauts nerveux me faisaient un mal de chien. Et pour le clebs que j’étais en train de devenir, ce n’était que la suite logique. Si ça n’avait pas été le stress, j’aurais pensé crever dans les heures à venir. Souffle court et terrorisé à l’idée de ce que je venais de faire. Ma queue se réveillait parfois et mes angoisses semblaient venir se loger dans mes burnes. Elles se contractaient d’elles-mêmes et se mettaient à chauffer comme le four d’une locomotive. J’ai toujours adoré cette sensation et je supporte ces coups de flippe en partie grâce à ce phénomène. Je douille mentalement avec l’agréable sensation de pouvoir bander dur à tout moment. Des milliers de petites mains chinoises charbonnent de concert dans la raffinerie que sont mes bourses, avec la promesse d’un geyser futur à faire crever d’admiration Peter North. Son légendaire régime est à base d’huîtres. Le mien ; celui d’une tanche. Coquillage juvénile sorti tout droit des entrailles de Nina. Je pris une douche chaude, musique à fond et suffisamment de bouteilles de sorties pour envoyer du bois. Long Island messieurs dames, la boisson des héros. Le Long Island se compose de tequila, de rhum, de gin, de vodka et de Cointreau. Passé les deux ou trois premiers verres, si tant est qu’ils soient passés, vous prenez en pleine gueule comme une poussée d’acide. Remarquable. Il m’arrivait parfois de lâcher mon scotch pour quelques cocktails bien sentis. Je prenais une mine que je ne voyais pas venir et me réveillais, dans le meilleur des cas, habillé sur le canapé d’une inconnue. Quand les choses allaient trop loin, je me réveillais soit chez Sonia soit à l’hosto. Je guettais mon portable maladivement. Elle va bien finir par m’envoyer un message cette petite conne, pensant à Ellie. Je devenais agressif et mauvais. La trouille me rendait bête et méchant. Deuxième Long Island, Fortunate Son des Creedence et une pensée pour Sonia. Sonia…


— Tu fais quoi beauté ? lui envoyais-je par message.

— Je m’apprête à sortir.

— Génial, où ?

— Centre-ville, au Diable Rouge sans doute.

— J’ai soif t’as pas idée !

— J’imagine que tu carbures au Long Island mon tout beau.

— Ouais, je t’y retrouve dans la soirée.

— Ok.


 Quand le cœur me serre de trop, Sonia est le meilleur des remèdes. Elle représente ce que beaucoup d’hommes recherchent le temps d’une nuit. Désinvolture salvatrice et biture en bonne et due forme. Aucune honte ou retenue à avoir avec elle quant à se mettre minable. C’est aussi comme ça qu’elle nous aime. Un bon pote qu’on peut baiser salement sans avoir à trop se forcer. Elle devrait penser à ses vieux jours qui arriveront plus vite que prévu, me dis-je souvent, sans pour autant penser aux miens. Pensée lâche et égoïste. Il me restait quelques traces de coke dans le meuble du salon qui sans être trop forte avait la qualité de couper la gerbe. J’en pris deux pour accompagner le verre que je venais de remplir à nouveau et m’allumai une clope. Le regard d’Ellie entre mes cuisses flottait dans mon esprit et ses courbes parfaites m’enivraient les sens. Je venais de goûter à l’une des pipes les plus délicieuses de ma vie. La coke faisait effet comme de la coke, c’est-à-dire que le petit coup de fouet que je pris me donna envie de sortir et d’enchaîner les clopes. On a tendance à surestimer cette merde qui dans bien des cas tabasse nettement moins qu’un spliff d’herbe. Les meilleures lignes sont les deux premières de la soirée, celles qui suivent sont du gâchis.


 Une fois dehors, je pris ma voiture pour faire le trajet car l’idée de mettre du son à fond m’enchantait. Rouler de nuit, vitres teintés, avec dans le sang stups et ivresse est un réel bonheur. La musique y est indispensable et en se tenant un minimum, ce sont généralement des ballades sans trop de pépins. Quinze minutes plus tard, la voiture était garée à quelques dizaines de mètre du troquet où je devais la retrouver. C’était un bar de nuit où la faune locale était aussi éclectique qu’agréable. On y retrouvait les dealers les plus en vogue du moment, des libertins, des alcooliques, des flics, des bagarreurs, quelques commerçants du centre-ville, des hommes et femmes mariés, et tout un tas de gens paumés que Sonia et moi venions compléter. Je pénétrai les lieux, puis saluai de la tête le taulier et quelques visages familiers. Ma belle était au comptoir et faisait raquer une connaissance commune venu tuer l’ennui que sa vie de famille bien rangée lui prodiguait.


— David ! T’en as une gueule, la grande forme on dirait.

— Ouais, en plein dans le mille. Un long Island barmaid, bien tassé.

— Tu connais James, on devisait gaiement sur les bonheurs du foyer conjugal.

— Ça va mon vieux ? lui demandais-je.

— Impeccable et toi ?! Content de te voir, ça fait un bail, on est venu s’encanailler ?

— Je passe la majeure partie de mes weekends ici, si j’avais voulu m’encanailler, je serais parti voir ta femme tu crois pas ?

— Ahah t’es con ! Moi je suis venu pour ça. De l’air ! Putain j’en ai plein le cul des gosses et Vanessa.

— Tu me commandes à boire chéri ? renchérit Sonia.

— Ouais ! David, Long Island ?

— J’ai à peine entamé le premier mec.

— Ouais ! Et s’adressant à la serveuse, tu nous mets deux Long Island et une Caïpirinha ma belle ?


Il fila aux toilettes sa commande passée nous laissant seuls Sonia et moi.


— Qu’est-ce que tu fous avec ce tocard ?

— David… Il n’est pas méchant, il raque bien et lui je sais qu’il rentrera bien sagement retrouver bobonne sans m’emmerder.

— C’est un blaireau ce type. Satisfait de sa connerie. Avec sa petite vie bien rangée là, sa femme et sa fille aussi moche que con et tout à son image. J’imagine que le petit dernier emprunte le même chemin.

— David !

— Ouais désolé… Désolé. J’ai revu la mienne de petite, Ellie. Je continue de faire le con avec et pour autant m’attache de plus en plus. J’y ai toujours été attaché à cette môme, le problème c’est que maintenant je la désire. Elle me rend dingue.

— Tu devrais passer avec elle chez moi.

— Rêve.

— Je ne vous ai pas trop manqué ?! nous dis James.

— Énormément vieux, tu m’excuses.


 A mon tour je filais aux toilettes. J’avais pris un peu de coke avec moi et la compagnie de James me faisait chier. J’avais l’alcool mauvais et le sentais. Je ne pouvais rien y faire. J’avais beau le savoir, j’en voulais au monde entier et une rage sourde et insidieuse parcourait maintenant mes veines. Nombre de gens mettront ça sur le compte de la boisson ou de la drogue. Il n’en est rien. J’ai ça dans le sang. Point. Les cocktails que je m’envoie au quotidien ne me servent qu’à créer l’illusion de pouvoir me canaliser. Ça aussi c’est faux. Quand ça arrive, peu importe le contexte et l’état dans lequel je suis. Une énorme vague taciturne se pointe et emporte tout sur son passage. Inutile de grimper aux arbres. Ils seront déracinés et emportés avec. Je n’ai qu’à attendre que ça passe, en essayant de limiter la casse. Je m’en veux énormément après. Et pour autant, desserrer les mâchoires m’ait impossible quand mon âme se crispe. J’avais envie de faire chier ce gros con de James. Le voir passer du rire aux larmes sans qu’il ne comprenne ni pourquoi ni comment j’avais pu en arriver là. Sa connerie spontanée me fournirait suffisamment d’occasions pour le faire chialer. Lui balancer une saloperie au visage si soudaine qu’il s’en casse la gueule du comptoir. Que son menton tape le zinc et que ses dents, après lui avoir broyé la langue se brisent les unes contre les autres. Je sortis le sachet une fois aux chiottes et me fis deux lignes. Mes bonnes résolutions s’envolaient. Et ma raison avec. L’alcool était tel que je ne savais plus vraiment si l’ivresse prédominait ou si au contraire c’était de l’extrême lucidité. J’avais l’impression d’être d’une sagacité remarquable. Et c’est le piège dans ces cas-là. Cette extra lucidité te convainc de tout avec un aplomb pas possible. Elle justifie les excès, les écarts, et donne à l’atmosphère une photo figée qui laisse le sentiment qu’elle durera éternellement. J’étais donc saoul et mal luné. Me battre était le programme le plus tentant et briser des os et du bois vivement souhaité. La coke me donna un coup de fouet minime, du moins le sentiment. Les Long Island étaient dans la place et continuaient de danser dans mon sang. Je n’ai jamais aimé les alcools blancs. Boisson de prolo au rabais et d’alcoolique. Je les supporte mal. Ils n’ont de qualité que me torcher vite et bien. Je sortis des WC retrouver James et Sonia. Les poupées dans la salle se lâchaient de plus en plus et les regards prenaient une teinte lubrique agréable.


— On s’inquiétait vieux, me dit James.

— Ouais. Faut pas. J’ai soif, tu m’as recommandé un verre ?

— Sonia a plié le sien très vite. J’ai repassé une tournée.

— La prochaine est pour moi mon brave.

— Vous êtes trop bons messieurs. Vous voulez continuer la soirée à la maison après ?

— C’est gentil Sonia, lui dis-je, mais je suis vanné, je vais rentrer après.

— Les filles dorment et si elles ne me voient pas revenir, Vanessa va me tuer, répondit James.

— Tu n’es pas obligé de rester dormir, c’est le temps de quelques verres.

— Tu devrais mon con, pour une fois que tu peux passer un peu de temps avec nana cool, sifflais-je.

— T’y connais quoi aux gonzesses ? T’as déjà réussi à garder une femme une fois dans ta vie ?

— J’ai été marié monsieur. Grandeur et décadence.

— Ouais, ça a duré combien de temps ?!

— Ça a duré le temps où je la sautais régulièrement.

— Moi j’appelle ça une amourette de branleur mon pote.

— C’est pour ça qu’après dix ans de mariage et vingt de vie commune tu passes ta soirée à mater les culs qui défilent. Photo mentale pour t’en taper une petite en rentrant à la maison ? A ce propos, comment va ta fille ?

— Commence pas à être con David…

— Aucun risque, je l’ai suffisamment été aujourd’hui. J’ai baisé la bouche d’une jeunette juste avant de venir. Génial. Et elle est à peine majeure en plus !

— Sombre merde.

— Ouais, ceci dit, n’aies crainte, ta femme est un veau et ta fille lui ressemble. Elle a pris le gros cul de sa mère et l’air nigaud de son benêt de père.

— Si c’est de l’humour je ne trouve pas ça très marrant…

— J’suis sérieux, alors quoi ? Tu me repaies un verre ou tu te décides à rentrer ? Fais gaffe à ne pas te tromper de chambre au retour. Ne saute pas la mauvaise.


 J’avais à peine terminé ma phrase que ma tête alla se fracasser contre le zinc dans un bruit sourd. Je tentai péniblement de la relever et James mit un coup de pied dans le tabouret sur lequel j’étais assis. Mon support se déroba et ma bouche vint taper le comptoir violemment. Je sentis brièvement ma langue se disloquer et des morceaux d’email virevolter dans ma bouche avant de m’étaler au sol. J’ouvris un œil hagard, la bouche en sang, et vis le tabouret sur lequel j’étais assis quelques secondes plus tôt me foncer droit sur le carafon. Rideau.

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